Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
C’’est ironiquement un refus d’admission à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de l’Illinois qui a mis la Dre Tina Widowski sur la piste du bien-être animal : celle qui a appris des pionniers de cette question scientifique continue aujourd’hui, après plus de 30 ans d’enseignement, de recherche et de collaboration avec l’industrie, à rehausser les standards pour améliorer la qualité de vie de millions d’animaux, en particulier des volailles.
Depuis l’enfance, la petite Tina Widowski, élevée dans la plus grande ville de l’Illinois, caresse le rêve de devenir vétérinaire ou zoologiste. « Ayant grandi à Chicago, la majorité des interactions que j’avais eues avec des animaux, c’était avec des animaux de compagnie ou lorsque j’allais au zoo. Même si je ne connaissais rien aux animaux de la ferme, je voulais entrer à l’école de médecine vétérinaire », relate-t-elle.
Malgré l’excellence de son dossier académique, elle est refusée à sa première tentative sous prétexte qu’elle n’a pas suffisamment d’expérience avec les animaux de la ferme. Pour améliorer ses chances d’être acceptée lors d’une éventuelle deuxième tentative d’admission, elle commence au début des années 1980 à travailler au sein du laboratoire du professeur Stan Curtis, véritable précurseur du bien-être animal et instigateur de nombreuses améliorations dans l’élevage porcin.
« C’est là que je me suis aperçue que ma passion pour la biologie et le comportement animalier pouvait se traduire autrement que par la médecine vétérinaire », se souvient celle qui a poursuivi ses études à la maîtrise et au doctorat en sciences animales à l’Université de l’Illinois.
Déménagement à Guelph
C’est son mari, titulaire d’un doctorat en architecture de paysage, qui met le couple sur la piste canadienne grâce à une offre d’emploi à l’Université de Guelph.
Tina Widowski se joint donc à des chercheurs chevronnés, dont Ian Duncan, de la première génération de chercheurs à s’intéresser au bien-être animal, avec qui elle complète un postdoctorat. Ses travaux porteront surtout sur les volailles : à ce jour, elle a supervisé plus d’une centaine d’étudiants aux cycles supérieurs et participé à la rédaction de plus de 230 articles scientifiques.
Mais c’est surtout le temps passé à l’extérieur du laboratoire, les deux pieds sur le plancher des vaches, qui lui permet de véritablement mettre les besoins des animaux à l’avant-plan et de maintenir des projets de recherche pertinents pour l’industrie.
« On obtient des résultats intéressants en laboratoire, mais c’est toujours avec un nombre restreint d’animaux. C’est très important d’aller dans des fermes – et d’y amener les étudiants – pour garder contact avec les réalités de l’industrie. Ça permet de développer des choses qui sont appliquées directement sur le terrain, de changer le monde et d’influencer ce que les agriculteurs font. C’est très enrichissant. Mes meilleures idées viennent des agriculteurs eux-mêmes », insiste-t-elle.
Les logements aménagés
Les résultats de la recherche de Tina Widowski lui servent aussi à rehausser les standards de toute l’industrie, elle qui siège au comité scientifique du Conseil national pour les soins aux animaux d’élevage (CNSAE), une division de Santé animale Canada qui élabore les codes de pratiques à l’intention des éleveurs de diverses industries de production animale. À titre d’exemple, en 2016, cette organisation s’est engagée à ce que d’ici 2036, les cages conventionnelles soient complètement éliminées des pratiques d’élevage au pays.
Le travail de Tina Widowski et de nombreux chercheurs, agriculteurs et organismes gouvernementaux avec qui elle collabore a en effet démontré que malgré le fait que ces cages conventionnelles permettent aux poules pondeuses de demeurer en bonne santé, elles les empêchent de s’adonner à des comportements naturels, tels que nicher, se percher ou encore picorer. « Donc, dans plusieurs pays, en Europe premièrement, puis ici avec le concours des Producteurs d’œufs du Canada, on s’est engagés à bannir ces cages conventionnelles. Tout le monde était d’accord sur le fait que si de meilleures technologies étaient disponibles pour le bien-être des animaux, nous devrions les utiliser », note-t-elle, précisant que la transition est en avance sur le calendrier de mise en œuvre, avec presque la moitié des fermes s’étant converties aux cages aménagées, sur parquet, en volière ou sur libre parcours.
Dans ces milieux – en particulier dans les environnements enrichis (enriched colonies) auxquels s’intéresse Tina Widowski –, les poules ont accès à de la nourriture et à de l’eau en permanence, évidemment, mais aussi à des nids pour pondre, des perchoirs et des zones où gratter et picorer.
« Nous sommes en train de regarder si d’autres améliorations peuvent être apportées. L’idée est d’encourager les comportements naturels des animaux. Dans les environnements enrichis, les poules peuvent exprimer les comportements qui sont importants pour elles, mais elles ne sont pas libres de courir partout. Il y a moins de risques qu’elles se blessent entre elles, comparativement aux environnements sans cage où des milliers d’animaux peuvent cohabiter », indique la Dre Widowski, précisant que les deux modèles sont considérés comme acceptables en vertu du code de pratiques du CNSAE.
Nouvel intérêt de recherche : les blocs à picorer
Parmi les nouvelles avenues étudiées pour améliorer le bien-être animal, Tina Widowski s’intéresse entre autres aux blocs à picorer dans le cadre d’un projet en démarrage pour réduire le picage des plumes chez les coqs à chair. « Ça commence à être un sujet d’intérêt en Europe, mais il n’y a pas beaucoup de recherche à ce sujet. On aimerait les tester dans différents contextes d’élevage, mais aussi comparer les différents types de blocs actuellement disponibles sur le marché », explique-t-elle, précisant que certains blocs sont composés d’éléments minéraux – calcium, phosphore, etc. – et d’autres contiennent des grains et des fibres.
« Peut-être que ces blocs vont permettre aux poules de choisir elles-mêmes certains éléments de leur diète? » avance-t-elle.
Quant au futur de la recherche, la Dre Tina Widowski anticipe aussi que le bien-être animal devra être appréhendé selon une perspective pluridisciplinaire. « Il va falloir parvenir à trouver un juste équilibre entre la santé des animaux, des humains et de l’environnement », conclut-elle.