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La falsification du sirop d’érable n’est pas souhaitable, mais elle peut survenir. Comme la production du sirop d’érable s’accomplit en concentrant les sucres contenus dans la sève par un processus long et coûteux, cela en fait un produit dispendieux comparé à d’autres agents sucrants.
L’incitatif de fraude par l’ajout de sucres bon marché, que l’on appelle adultération, peut donc se présenter aux différents acteurs de l’industrie acéricole à des fins de gains économiques. L’adultération nuit considérablement à la qualité du sirop d’érable ainsi qu’à l’industrie acéricole dans son ensemble.
En effet, l’adultération modifie la composition du sirop d’érable et induit la perte de confiance des consommateurs qui se voient floués. En plus d’affecter le consommateur, l’adultération pourrait nuire à la réputation du sirop d’érable québécois, ce qui risquerait d’entraîner une diminution dramatique des exportations internationales. Comme celles-ci représentent environ 60 % de la production québécoise, cela risquerait de mettre en péril la prospérité de l’industrie acéricole.
Innover pour éliminer les risques
Afin de lutter contre la fraude alimentaire, des méthodes détectant l’ajout de sucres dans le sirop d’érable ont été mises au point depuis les années 1980. Néanmoins, ces méthodes ne couvrent qu’un nombre limité d’adultérants : elles ne permettent pas de détecter par exemple l’ajout de saccharose contenu dans le sucre de betterave qui compose majoritairement le sirop d’érable. Avant la présente étude, le sucre de betterave représentait l’adultérant pour lequel peu de solutions de détection étaient disponibles.
Le chercheur du Centre ACER Mustapha Sadiki a relevé le défi de faire la différence entre le saccharose du sucre de betterave et celui du sirop d’érable. Par la suite, il a pu détecter tous types d’adultération afin de garantir l’authenticité du sirop d’érable.
Différencier le saccharose du saccharose
Comment différencier une molécule de saccharose qui provient de la betterave de celle de l’érable? La réponse réside dans la propriété de chaque plante et dans la structure chimique du saccharose. Chaque molécule de saccharose est composée de différents atomes, dont le carbone (Figure 1). Le carbone est présent dans la nature sous forme de deux isotopes : le carbone 12 (12C) et le carbone 13 (13C). Ces isotopes sont absorbés par les plantes en différentes proportions pour former leurs nutriments, dont des sucres comme le saccharose (Figure 1). Le saccharose retrouvé dans chaque plante posséderait donc des ratios variables de 12C et 13C.
La méthodologie développée par le Centre ACER consiste à établir des valeurs de référence pour les ratios de 12C et 13C du sirop d’érable et du sucre de betterave et tester si ceux-ci présentent des différences. Pour ce faire, nous avons étudié une multitude de sirops d’érable authentiques de diverses régions de production du Canada et des États-Unis ainsi que de nombreux échantillons de sucre de betterave de multiples provenances dans le monde.
Les ratios de 13C/12C ont été analysés par un système appelé EA-LC-IRMS (Figure 2). Cette méthode permet à la fois de mesurer le ratio isotopique des carbones totaux et des carbones spécifiquement dans le saccharose contenu dans le sirop d’érable et dans le sucre de betterave.
Les résultats indiquent qu’il existe une différence entre les ratios isotopiques des carbones totaux dans le sirop d’érable comparé au sucre de betterave. Nous pouvons ainsi distinguer le sirop d’érable du sucre de betterave avec cette méthode non ciblée. De plus, les résultats montrent également que cette différence de ratio isotopique existe aussi spécifiquement dans le saccharose (Figure 3). Le saccharose contenu dans le sucre de betterave est donc assez différent pour qu’on puisse le distinguer de celui dans le sirop d’érable.
Vérifier l’authenticité du sirop d’érable
Ces valeurs de ratio isotopique des carbones totaux et des carbones dans le saccharose du sirop d’érable et du sucre de betterave sont fixes et distinctes. Par conséquent, elles peuvent être utilisées comme référence pour nous permettre de détecter l’adultération par le sucre de betterave. En effet, lors de l’analyse d’un sirop d’érable adultéré par le sucre de betterave, le ratio isotopique du carbone obtenu se révélera à la fois différent de celui du sirop d’érable authentique et du sucre de betterave pur.
Pour développer des méthodes de détection de l’adultération plus performantes et plus rapides, d’autres paramètres ont été étudiés. Nous avons également établi des valeurs de référence pour la composition en sucre, la teneur en acides organiques et la conductivité électrique dans le sirop d’érable. Ces valeurs pourront appuyer les analyses de ratio isotopiques des carbones pour vérifier l’authenticité du sirop d’érable.
Avec le SpectrAcerMC et son service analytique à la fine pointe de la technologie, le Centre ACER était déjà en mesure de repérer une majorité d’adultérants potentiels dans le sirop d’érable. Le développement de cette nouvelle méthodologie qui mesure les ratios isotopiques des carbones à la fois de manière ciblée et non ciblée dans le sirop d’érable complète l’expertise du Centre ACER. Avec cet ajout dans notre parc analytique, nous sommes désormais en mesure de détecter tous les adultérants potentiels et de vérifier l’authenticité du sirop d’érable.
Une innovation utile pour d’autres industries
Bien qu’elle ait été mise au point pour l’adultération du sirop d’érable, cette méthode pourrait être transposable à toute autre industrie agroalimentaire qui produit des aliments à haute valeur ajoutée.
Qu’est-ce qu’un isotope?
Chaque atome est composé de protons, d’électrons et de neutrons (Figure 1). Un isotope est une version d’un atome qui contient un nombre variable de neutrons. Par exemple, la forme de carbone la plus commune, le carbone 12 (12C), est composée de 6 protons et 6 neutrons, alors que le carbone 13 (13C) possède 6 protons et 7 neutrons. En laboratoire, on arrive à différencier le 12C du 13C par leur poids. En effet, comme le 13C a un neutron supplémentaire, il est plus lourd.
Carbones totaux versus carbones
Carbones totaux : carbones de tous les composés présents dans le sirop d’érable (les autres sucres, les vitamines…).
Carbones : carbones spécifiquement dans le saccharose contenu dans le sirop d’érable et dans le sucre de betterave.
Jack Bauer et Luc Lagacé, Centre ACER
Cet article a été publié dans l’édition de septembre 2022 du magazine Forêts de chez nous.