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L’école rurale préservée par Jean-Paul Paré, producteur bovin, forestier et acéricole de Saint-Pierre-de-Broughton, permet de retracer l’histoire du système d’éducation tel qu’il était appliqué dans nos campagnes il y a 100 ans jusqu’à tout récemment. Mordu de patrimoine, M. Paré, qui a passé quelques années sur les bancs d’une telle école rurale, nous explique le détail de sa passion.
Une étrange brume flottait dans le rang 16 lors de notre arrivée. La petite école était enveloppée d’un voile de mystère. Il faut dire qu’elle a beaucoup voyagé cette école, dans l’espace comme dans le temps, pour s’enraciner enfin ici, sur la terre M. Paré.
Lorsqu’il était âgé de huit ans, la petite école rurale de son rang a fait retentir sa cloche pour la dernière fois. L’école du village allait prendre la relève. « J’aurais aimé alors que mon père l’achète, explique Jean-Paul Paré. Mais pour lui, ce bâtiment n’avait guère de valeur et c’est un voisin qui l’a achetée à l’encan pour en faire un poulailler qui tient toujours debout aujourd’hui. » C’est que tout jeune, le Beauceron était déjà sensible et attaché aux objets du patrimoine, leur accordant la valeur de témoins de notre histoire.
L’occasion se présente en 2006 de faire l’acquisition d’une autre petite école, dans la même paroisse, mais dans le rang 1. En fait, il négocie avec les propriétaires pour l’obtenir en échange d’un voyage de planches de pin rouge. « Les propriétaires voulaient en faire une étable, explique-t-il. Je les ai donc convaincus de l’intérêt de l’échange pour de belles planches neuves. » En fait, la valeur de ce bois, environ 1500 $, est à peu près équivalente au prix qu’a coûté la construction de l’école, en 1935.
Mais une fois l’entente conclue, il a fallu déplacer le bâtiment sur 17 kilomètres pour le déposer sur les fondations où nous le trouvons aujourd’hui. De plus, M. Paré a dû couper le toit afin de faire passer le bâtiment sous les fils électriques. Et pour compliquer les choses, le transporteur a dû incliner l’école sur sa plateforme pour la faire passer sur le tablier d’un pont qui était trop étroit.
Durant l’hiver 2006, Jean-Paul Paré s’est activé à restaurer l’intérieur de l’école. Plusieurs couches de peinture ont dû être enlevées avant de tomber sur le bleu original. « C’était un bleu plutôt éclatant, explique le restaurateur. Selon ma documentation, cette couleur avait la propriété de garder les jeunes bien éveillés. » Au printemps suivant, ce fut au tour de l’extérieur de subir sa cure de rajeunissement.
Mais comme le dit le collectionneur, l’école, qui avait même servi d’habitation à une famille d’Irlandais pendant quelques années, n’avait d’école de rang que le nom. La belle enveloppe était vide. « Heureusement, explique notre hôte, j’avais déjà une belle collection de pièces liées à l’histoire de l’enseignement. C’est fou ce que j’ai trouvé dans le haut de mes garde-robes. » Il a toutefois fallu ouvrir la chasse aux objets d’époque pour compléter la collection.
Cette école typique pouvait accueillir 32 élèves. Elle couvrait les sept années d’enseignement élémentaire, et la maîtresse devait diriger avec peu de moyens et beaucoup de courage les études d’un groupe hétérogène. Par dons, échanges ou achats, le collectionneur a trouvé plus de 400 objets directement liés à l’enseignement rural. Il a fait de sa petite école un musée de l’enseignement dont il ouvre les portes durant les week-ends de l’été.
Comme une présentation statique des objets ne l’intéressait pas, il a engagé de jeunes animateurs, formés par ses soins, qui transmettent la petite histoire que cachent souvent les objets. En ce sens, la densité de l’histoire contenue dans une salle si petite est phénoménale. Pas surprenant que les visiteurs y passent de longues heures sans se lasser.
Jean-Paul Paré explique avoir établi des liens d’amitié avec un conservateur du Musée de la Civilisation du Québec, Guy Toupin, qui l’a beaucoup aidé à comprendre la signification de certains objets. « Il y a des choses que je connaissais pour les avoir utilisées jadis, mais Guy m’a été très utile au fur et à mesure que la collection s’est développée. » À ses dires, le musée considère sa collection comme unique, certains objets étant paraît-il aujourd’hui impossible de trouver ailleurs au Québec.
Pour notre part, nous avons eu droit à une visite hors saison guidée par le propriétaire en personne. Ce dernier, généreux de son temps, s’amuse manifestement en nous montrant un échantillonnage de sa collection. Dans l’entrée, des vêtements d’époque et une rangée de vieux contenants en fer blanc qui, à la campagne, servaient de boîtes à lunch. « Il n’y avait pas de boîte Mickey Mouse dans nos rangs à l’époque », rappelle M. Paré. Toujours à l’entrée, un traîneau tiré par un chien servait à transporter les enfants qui vivaient trop loin pour franchir la distance à pied.
Des documents d’époque expliquent ainsi comment, lors des semailles, de la période des foins, des récoltes ou encore de la saison des sucres, les garçons se mettaient systématiquement à manquer les classes. En temps de nécessité, l’école passait
deuxième. Il arrivait aussi que les jeunes filles passent de longues périodes loin des bancs d’école à aider leur mère aux « relevailles » après un accouchement.
Le matériel scolaire montre la prédominance de la religion dans l’enseignement. Mais au-delà de l’histoire sainte, les mathématiques, le français, des notions d’anglais, de l’histoire et de la géographie étaient enseignés. Du point de vue du mobilier, les pupitres devaient répondre aux besoins des élèves de tous âges et, par conséquent, s’ajuster pour accommoder les tout-petits comme les plus vieux. Leur fabrication était souvent locale, des producteurs agricoles s’engageant même à en fournir au besoin.
L’enseignante provenait parfois d’un rang voisin, mais aussi d’un village plus éloigné. Elle logeait alors dans une chambrette à même l’école. On peut deviner que dans cet espace réduit, la jeune femme devait s’ennuyer ferme. D’autant que la fenêtre donnant sur la cour était condamnée afin d’éviter toute visite intempestive d’un soupirant de passage. Une correspondance témoigne d’ailleurs de cet isolement.
On comprend bien qu’en sauvant cette école, c’est tout un pan de notre histoire que le producteur agricole de Saint-Pierre-de-Broughton remet en lumière. Selon lui, si la collection représente bien ce que l’on pouvait trouver dans une école de rang au début du siècle dernier, la collection ne sera probablement jamais complète. Chaque semaine, il déniche un nouvel objet, un coffre à crayons, une vieille mappemonde, qu’il intègre dans la collection.
C’est ainsi que la visite peut se prolonger de longues heures, selon ses disponibilités. Pour plusieurs d’entre eux, cette visite fait remonter à la surface des souvenirs oubliés. Pour les plus jeunes, c’est l’occasion de se plonger dans le décor vivant des petites écoles d’antan.
S’il n’en tient qu’à lui, Jean-Paul élargira la présentation, sur son terrain, à une caserne de pompiers et une boutique de forge. Son musée de l’enseignement a attiré 300 personnes l’an dernier, et il croit qu’en étoffant la présentation, il pourrait à la fois augmenter le nombre de touristes et les garder dans la région pour un séjour plus long. Mais pour l’instant, cela demeure des projets.
Chose certaine, le patrimoine n’est pas une cause perdue dans cette ferme de Saint-Pierre-de-Broughton.