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Depuis toujours, Léon Courville s’est senti animé par un profond désir d’habiter à la campagne. Montréalais d’origine, l’économiste a eu une brillante carrière d’abord en tant qu’enseignant – il a remplacé Jacques Parizeau aux HEC en 1975 –, puis à titre de président et chef des opérations à la Banque Nationale du Canada.
À 55 ans, en 2002, il prend sa retraite pour se consacrer entièrement au développement de son vignoble, le Domaine Les Brome. « Une bénédiction en soi », admet-il aujourd’hui, puisqu’il avait encore l’énergie nécessaire à cette époque pour se lancer dans cette aventure. Quelque chose manquait à l’intellectuel œuvrant au sein d’une grande institution bancaire. Une force irrésistible le poussait à mettre la main à la pâte, à créer sa propre entreprise.
Un concours de circonstances l’amène à acheter une ferme de 60 acres à Lac Brome dans les Cantons de l’Est en 1981. Amateur de ski, il louait une maison à Sutton durant l’hiver pour faire du ski avec ses deux fils. Un jour de pluie, il passe par hasard devant cette terre abandonnée dont il gravit péniblement le chemin d’accès pour arriver devant une curieuse maison construite sur pilotis et habitée par une famille de ratons laveurs. En se retournant, il tombe béat d’admiration devant la vallée du lac Brome qui s’étend à ses pieds. « Il n’y en a pas de ça chez Rona », dit-il encore surpris d’avoir vu son « offre de fou » acceptée. Basée sur ses moyens, précise-t-il, cette offre d’achat correspondait au contexte économique d’alors avec des taux d’intérêt à 18 %.
Tout en développant son vignoble, Léon Courville a pris soin de conserver l’érablière et le boisé attenants. Il a d’ailleurs bûché lui-même tout le bois nécessaire à la construction de ses bâtiments, notamment le chai et une nouvelle cabane à sucre. Une belle « talle » de noyers cendrés sert ainsi à la finition intérieure, où l’hôte cherche à créer une ambiance feutrée pour accueillir les visiteurs.L’endroit devint vite son refuge. « Ah! que j’avais donc le goût de vivre à la campagne, confie-t-il. C’est devenu une oasis, un lieu de ressourcement. Dès que j’avais un moment de libre, il fallait que je sois ici. À partir de ce moment, ajoute-t-il, j’ai arrêté de faire du ski. Je me suis mis à bûcher. Quel plaisir d’être dans le bois! Presque tous les jours de l’année, je me retrouve dans la forêt. On avance à son rythme. Les paysages, la lumière, les couleurs, tout ça demeure encore une source d’émerveillement. »
Léon Courville estime que le fait de vivre à la campagne l’a amené à vivre au rythme de la nature. « Le sirop d’érable, c’est le premier don de la nature au printemps, constate-t-il avec ravissement. Et avec un vignoble, explique-t-il, la relation avec les éléments est encore plus déterminante, puisqu’il est impossible de le recouvrir d’un parapluie. Il s’agit donc de s’adapter. L’universitaire qui a écrit Piloter dans la tempête n’a eu d’autre choix que de mettre en pratique ce qu’il enseignait, entre autres que la planification ne mène nulle part.
« À la campagne, reconnaît-il, on devient vite généraliste. Je n’étais pas manuel du tout quand je suis arrivé ici. J’ai appris à souder, à faire de la plomberie et de l’électricité. Il faut tout faire parce qu’on dépend de nous-mêmes. On développe son sens de l’autonomie, et celui de la débrouillardise. »
Le contact étroit avec la nature lui fait apprécier davantage les quatre saisons. À la campagne, observe-t-il, les saisons sont mieux démarquées. S’il goûte autant le printemps, l’été que l’automne, il préfère de loin la saison froide. « L’hiver, confie-t-il, c’est vraiment magnifique. N’est-ce pas en cette saison qu’il est possible d’admirer les plus beaux cieux? La nature nous appelle davantage. Il y a plus de variétés, c’est plus majestueux. » L’hiver lui donne accès à la forêt où il en profite pour couper son bois. Tous ses bâtiments sont d’ailleurs désormais chauffés grâce à une fournaise au bois installée à l’extérieur, qu’il prend plaisir à alimenter avec de grandes bûches.
Léon Courville apprécie aussi les gens de sa région d’adoption. Les ruraux, considère-t-il, ont des rapports plus conviviaux. Moins pressés, « les gens prennent le temps de se parler », contrairement à la ville « où il faut arriver avant d’être parti ». Prendre le temps, autre bonheur de la campagne!
Parmi les meilleurs
Sans vraiment en être conscient, Léon Courville a mis la main sur un site idéal pour établir un vignoble à flanc de colline. C’est d’ailleurs parce qu’il était amateur de vin qu’il a choisi cette production. Et tant qu’à faire, pourquoi ne pas se hisser parmi les meilleurs? Il prend rapidement la décision d’implanter un cépage ayant déjà fait ses preuves en Ontario pour faciliter sa production.
Malgré la rigueur du climat, pensait-il, des bons soins, du talent et des méthodes appropriées lui permettraient de produire un vin de qualité.
« Il existe 8000 cépages de par le monde, et j’étais convaincu qu’il était possible de se tailler une place enviable ici, au Québec. »
Son pari semble gagné puisque dans un test à l’aveugle, l’ex-premier ministre du Québec, Bernard Landry, n’a pu faire la différence avec des vins de Bourgogne, notamment pour la Cuvée Charlotte, du nom de sa petite-fille. L’ancien premier ministre lui a par la suite téléphoné pour le féliciter et lui confier qu’il n’aurait pas cru qu’un vin québécois puisse battre des vins quatre fois plus chers.
« Cela m’aurait coûté pas mal moins d’acheter un vignoble en Californie, s’amuse Léon Courville. Mais c’est ici que je veux vivre. Malheureusement, l’univers du vin est fait de lenteur. Il faut une quinzaine d’années pour atteindre la rentabilité. Il n’y a pas un banquier qui va prêter pour ça. »
Le vigneron est bien placé pour le savoir. Même s’il a tout financé avec ses propres réserves, il a récolté à ses débuts un avis négatif du ministère du Développement économique, nécessaire à l’obtention d’un permis. Il peste encore contre « ces gens qui ne connaissent rien et qui se permettent de te mettre des bâtons dans les roues ».