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SAINT-ISIDORE – Par un beau vendredi du début juin, un groupe de producteurs et d’agronomes observe le va-et-vient d’un arrosoir au-dessus de quatre types de sols : un sol à nu et compacté, un sol couvert de trèfle, un autre avec des graminées et un sol forestier. L’eau s’écoule en surface du sol compacté, sans le traverser. À l’inverse, l’eau passera au travers du sol forestier, n’en laissant pratiquement pas couler en surface. Bref, le sol forestier a agi à la fois comme une éponge et comme un filtre.
« Le sol idéal est celui de la forêt. On veut que notre sol soit le plus près possible de ça, explique Odette Ménard, agronome et ingénieure, qui, depuis 14 ans, promène la Caravane des sols, dont c’est la première sortie de la saison. Initiative du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, la Caravane vise à expliquer les principes et pratiques derrière des sols en santé.
Nous sommes au Domaine Labranche, à Saint-Isidore, en Montérégie, où le propriétaire , Louis Desgroseilliers, a constaté que certaines de ses vignes poussaient difficilement et produisaient moins. « Je soupçonnais un problème de compaction », avoue-t-il.
« Première étape : faire un diagnostic », explique Odette Ménard. Et ce fut fait ce jour-là, en creusant un grand trou dans le sol. Conclusion : 27 po de compaction dans le secteur problématique, un héritage, apprendra-t-on, de l’époque maraîchère et du lourd équipement utilisé plusieurs années auparavant sur cette parcelle.
Tout au long de la journée, les participants ont appris les atouts d’un sol en santé et la façon de le développer. « C’est très systémique, dit Mme Ménard. C’est un processus de guérison qui prend jusqu’à 8 ans et c’est un ensemble de choses. Chaque fois qu’on l’améliore, on a un gain : de productivité, de volume de production, d’argent et je dirais même… de bonheur. » Que ce soit par l’usage d’une sous-soleuse, les cultures de couverture ou la réduction du poids des véhicules, les solutions sont nombreuses pour y arriver.
La Caravane explique le rôle (et les limites) des drains, les conséquences du poids de la machinerie, mais également comment mieux utiliser cette dernière en s’assurant de balancer le tracteur pour répartir son poids et ne pas avoir plus de 3 500 kg à la roue) ou de réduire la pression dans les pneus à 12 PSI maximum.
Parmi les pratiques étudiées, on explique comment avoir recours à la sous-soleuse, dont les dents perceront le sol en profondeur. Il faut aller à 4 po sous le seuil de compaction, donc, dans le cas du vignoble, à 31 po. Mais avant d’activer sa sous-soleuse, il faut avoir semé des cultures de couverture, des plants dont les racines pourront se déployer, aidant à aérer et à nourrir le sol. On en compte plus de 45 variétés. « Je réalise l’importance de la diversité dans la culture de couverture. Jusqu’ici, on plantait juste du gazon », dit Louis Desgroseilliers.
Ainsi, plus les plants et les sols seront en santé,
mentionne-t-on, mieux ils résisteront aux agressions extérieures et aux aléas de la météo. « Ça a changé ma perspective des choses, résume Dany Slater, propriétaire de Clos sans frontières, un autre vignoble de la région. Ça donne une connaissance plus approfondie. On comprend comment ce qu’on plante vit en interaction avec l’écosystème. C’est important d’évoluer avec les nouvelles connaissances. »
En terminant, Odette Ménard offre ce conseil à ceux qui soupçonnent avoir de la compaction : « Trouvez un agronome qui sait faire des trous et accompagnez-le dans le champ! »
Des habitudes difficiles à changer
Les enjeux de la compaction des sols sont connus depuis longtemps et pourtant, dans plusieurs régions et productions, l’état des sols est resté le même. « On lutte contre le tabagisme depuis des années, mais il y a encore un tiers des gens qui fume, dit Odette Ménard, agronome et ingénieure au ministère de l’Agriculture du Québec. Le système commercial agricole nous a rendus dépendants à la grosse machinerie, aux engrais, aux pesticides, etc. Il y a toujours quelqu’un pour nous vendre une solution facile. »
Pour elle, changer ses pratiques et être moins dépendant de ce système est d’abord une question de prise en mains et d’appropriation des connaissances de la dynamique des sols et de l’état de son propre sol. « Il y a plein de solutions pérennes, mais la réalité, c’est que ce n’est pas si facile de changer! Il faut être fait fort pour faire autrement que le voisin! fait-elle remarquer. L’adoption des nouvelles pratiques suit une courbe normale dans la population. Et pour certains, ça prendra une crise. »
Selon Éric Lapierre, producteur de canola en Montérégie, c’est beaucoup une question d’âge. « Les jeunes sont plus ouverts à ces idées-là, croit-t-il. La transition se fera naturellement, avec eux. » Il affirme, par ailleurs, que l’accompagnement est la clé. « Avec les clubs en agroenvironnement, dit le producteur. On est quand même choyés au Québec. »