Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
En mai dernier, Jean Caron, docteur en agronomie à l’Université Laval, a jeté un pavé dans la mare du milieu agricole en publiant les résultats de sa plus récente étude. Le chercheur a étudié une vingtaine de sites en Montérégie, tous en grandes cultures, où les sols argileux, a-t-il pu constater, sont largement compactés. Il s’est particulièrement intéressé à l’évolution des bénéfices de ces producteurs. Selon ses analyses et en projetant des pertes de rendement de 1 % par année, de même qu’un coût de machinerie et d’intrants (engrais, pesticides, etc.) utilisés aux niveaux actuels, s’ils ne font rien, ils seront déficitaires d’ici 30 ans (voir le tableau). Ces données sont basées sur le coût de l’azote et du maïs en décembre 2022 et une estimation de diminution du rendement de 1 %, tirée d’une évaluation de chercheurs américains considérée comme réaliste, selon les observations de son équipe de recherche de l’Université Laval.
Pour en venir à cette conclusion, Jean Caron a commencé par établir un diagnostic de l’état des sols. « On a observé de la compaction à grande échelle et 40 % des sols étudiés présentaient des problèmes de conductivité et de structure, dit-il. Dans 90 % des sites, l’air se diffuse si difficilement que les plantes ont des problèmes de respiration importants. Les racines manquent d’oxygène et on perd une partie de l’azote appliquée, car elle n’est pas absorbée par les plantes. » Le chercheur établit un lien avec le poids grandissant de la machinerie et son usage.
L’une des conséquences de la compaction, selon lui, c’est qu’elle a un effet direct sur la réponse aux engrais. « Nous avons analysé les rendements avec 250 kg d’azote à l’hectare, qui est plus de deux fois les doses recommandées, et il y a zéro relation entre la dose et le rendement. Même qu’après un certain seuil, les rendements baissent. » Bref, le chercheur estime que ces investissements sont non seulement à perte, mais nuisibles au-delà d’un certain niveau.
Qui plus est, son étude révèle que les producteurs qui obtiennent les meilleurs rendements ne sont pas ceux qui fertilisent le plus. « Au contraire, dit-il. À 50 kg à l’hectare appliqué au départ de la saison, plus un 50 kg maximum plus tard, leur fertilisation est bien en bas de la dose recommandée, mais ils peuvent arriver à des rendements jusqu’à 14 tonnes à l’hectare. Ce qu’on a remarqué, par exemple, c’est que leurs sols sont très oxygénés. »
Impact des interventions spécialisées de conservation sur le profit net d’entreprise en maïs-grain
Le choix d’investir dans la qualité des sols
Jean Caron a estimé l’incidence financière d’un investissement dans l’amélioration de la qualité des sols. Les profits nets seraient moins importants les premiers 10 ans, mais finiraient par se stabiliser et se maintenir à long terme.
L’agriculteur Paul Caplette, de Saint-Robert, en Montérégie, est justement passé par là. Son virage, à la fin des années 1990, visait avant tout à augmenter son rendement et ses bénéfices. « Le prix des engrais et pesticides n’arrêtait pas de monter », souligne celui qui connaissait aussi à l’époque des problèmes de compaction. Il a adopté des pratiques de santé des sols, notamment en diversifiant ses cultures, soit en passant de 80 % de production de maïs-soya à huit cultures. L’incidence financière a été notable. « Entre 2006 et 2018, on a baissé notre utilisation des pesticides de 30 %, dit-il. Nous sommes passés de pouvoir nourrir 10 000 citoyens à 15 000 et nos bénéfices nets ont augmenté. Dans l’ensemble, on a réduit la quantité d’engrais de 25 à 50 %. »
Des mauvaises années moins mauvaises
Même sans avoir d’enjeu de compaction, l’agriculteur Jean Lapierre a souhaité obtenir un meilleur contrôle des coûts. Cela l’a poussé à intégrer plusieurs recommandations visant la santé des sols, délaissant du même coup la culture du maïs pour celles du canola et du blé d’automne. « Ma production était coûteuse en temps, en engrais et en carburant, raconte le producteur de Saint-Nazaire-d’Acton, en Montérégie. À la fin des années 90, sur 225 hectares, je mettais 100 tonnes d’engrais. Maintenant, sur 350 hectares, j’en mets 25 tonnes. » Résultat : ses bénéfices sont identiques, mais il a gagné en quiétude. « Nos sols sont résilients face à la météo, précise-t-il. Il ne pleut pas beaucoup ce printemps, mais je ne suis pas inquiet. Je n’ai plus ça, des mauvaises années. » Son de cloche similaire pour Paul Caplette, pour qui les mauvaises années sont « moins mauvaises » désormais. Dans un contexte de changements climatiques, voilà qui lui inspire la réflexion suivante : « On ne peut pas se battre contre eux, mais on peut prendre contrôle au lieu de juste les subir. »
Un peu mieux ailleurs
Marc-Olivier Gasser, chercheur à l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA), a publié au début juin une vaste étude sur la santé des sols dans le cadre de laquelle 426 sites ont été étudiés dans la province. Son diagnostic varie selon les cultures et les secteurs. « En moyenne, les terres de la partie sud des basses-terres du Saint-Laurent allant jusqu’à Québec sont effectivement les moins en santé, mais elles sont stables, dit-il. Ailleurs, la situation s’est améliorée. » Il rappelle que les facteurs qui influencent la compaction sont : les types de cultures, les types de sols et les pratiques agricoles. « Les plus à risque sont, dans l’ordre, les sols argileux, loameux et certains tills, explique-t-il. Les cultures annuelles et maraîchères sont également plus à risque que les cultures pérennes, comme les pâturages, les vergers et les vignobles. »