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RIVIÈRE-DU-LOUP – L’agriculteur Étienne Lamy a pris la parole publiquement, il y a quelques jours, pour parler des idées suicidaires qu’il a eues l’automne dernier, et de la façon dont il s’en est tiré, notamment avec l’aide d’une travailleuse de rang. Comme quoi il y a toujours une lumière au bout tunnel, a-t-il témoigné.
Son récit touchant a eu lieu à la fin du congrès annuel de la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ), à Rivière-du-Loup, le 3 mars. Étienne Lamy s’est alors dirigé vers le micro, avec ses deux feuilles de papier, qu’il tenait un peu nerveusement. Tout son groupe d’agriculteurs de la relève de la Mauricie s’est également levé pour l’entourer, par solidarité. Dès ses premiers mots, la salle s’est tue. Le jeune agriculteur de 28 ans a raconté avoir été impliqué, avec son tracteur, dans un accident de la route lors duquel un motocycliste a perdu la vie, l’automne dernier. Étienne a décrit le choc post-traumatique qui s’en est suivi, les cauchemars, l’insomnie, et le souhait d’en finir. Sa décision était prise de passer à l’acte. Quelques heures avant de commettre l’irréparable, une discussion avec ses parents a tout changé. « En soupant avec mes parents, j’ai éclaté. Je me suis mis à pleurer. Je leur ai dit que ma seule porte de sortie était de m’enlever la vie. Je ne voyais plus aucun moyen de me sortir de cette histoire. […] C’est là que mon père a contacté Martine Fraser, travailleuse de rang chez ACFA [Au cœur des familles agricoles]. Je ne la remercierai probablement jamais assez pour son bon travail », a-t-il dit, spécifiant qu’il a ensuite entrepris des consultations avec un psychologue et qu’il va mieux maintenant.
Plusieurs personnes dans la salle avaient les yeux pleins d’eau. D’autant plus que la travailleuse de rang, Martine Fraser, était dans l’auditoire. Étienne Lamy en a profité pour s’approcher d’elle, la remercier solennellement et lui remettre un chèque de 1 000 $ venant de sa ferme pour soutenir l’organisme ACFA.
Inspirant
« Voir un témoignage comme celui-là, je trouve ça beau et inspirant, a par la suite mentionné Martine Fraser à La Terre. Ça permet aux gens de voir la figure d’un producteur qui ose dire qu’il a eu besoin d’aide et qu’il a eu des impacts positifs de le faire. Les gens mettent aussi un visage sur les travailleuses de rang. Ils voient qu’on est super accessibles, et qu’on est comme eux. »
Crédit vidéo : Frédéric Lavoie
Assis dans la salle avec les membres de la relève provenant de l’Abitibi-Témiscamingue, Simon Leblond n’a également rien manqué du message d’Étienne Lamy, « Ça vient me chercher ce qu’il a dit », confie-t-il. Car M. Leblond ne s’en cache pas, lui aussi avait planifié son suicide il y a deux ans, alors qu’il a été contraint de vendre sa ferme. « J’avais 200 vaches à bœuf. Financièrement, c’était très difficile; je n’arrivais pas. Physiquement, ça n’allait pas non plus. Je ne dormais plus, je travaillais trop. J’ai pogné le mur », explique-t-il. La situation s’est envenimée avec son associé qui était lui aussi « brûlé ». L’institution financière les a incités à vendre. « Mais le démantèlement m’affectait plus que je pensais. Moi, je ne viens pas d’une ferme et j’avais travaillé 10 à 15 ans pour tout bâtir. Démanteler, c’était plus qu’un échec. Je mettais fin à un rêve. […] Mon plan était fait : je liquidais la ferme et je finissais ça, avec une arme à feu, probablement. »
Finalement, le fait d’être nommé parrain de l’enfant de son cousin et de parler avec un travailleur social lui a fait voir la vie autrement. « J’en suis un qui a passé au travers », dit celui qui est aujourd’hui représentant pour une compagnie d’alimentation animale en Abitibi.
Difficile de se montrer faible, surtout quand les requins attendent
« En agriculture, ce n’est pas toujours évident de dire que tu ne feel pas. On est encore moins habitués de parler de suicide. Ça nous rend mal à l’aise », exprime Simon Leblond, qui est encore amer d’avoir dû démanteler sa ferme bovine à Palmarolle, en Abitibi-Témiscamingue. La travailleuse de rang de sa région, Isabelle Talbot, précise que « dans le milieu agricole, les gens [qui sont en détresse] gardent ça secret, souvent pour ne pas se montrer faibles ». M. Leblond abonde dans le même sens, soulignant qu’il faut demander de l’aide, mais aux bonnes personnes. « On va se dire les vraies choses; la majorité des gens sont très solidaires, mais pas tout le monde. Certains, s’ils ont l’opportunité de grossir leur entreprise en profitant d’un voisin qui ne feel pas, ils vont le faire », déplore-t-il.
Quoi faire quand ça ne va pas?
« Ceux qui s’en sortent sont ceux qui demandent de l’aide », souligne Isabelle Talbot, travailleuse de rang embauchée par le Centre de prévention du suicide du Témiscamingue. Demander de l’aide permet à la personne en détresse d’être conseillée pour prendre du recul face à sa situation afin de voir des solutions qui lui étaient invisibles et de lâcher prise sur différents éléments.
Une personne qui broie du noir peut avoir de la difficulté à contacter de l’aide. D’où l’importance que son entourage le fasse pour elle ou avec elle, dit Ginette Lafleur, directrice adjointe de l’organisme Au cœur des familles agricoles. « Il y a 60 % des demandes d’aide qui sont faites par des tiers », souligne-t-elle.
Et les signes? « Il faut surveiller les changements de comportement, explique-t-elle. Par exemple, quelqu’un qui vient facilement la larme à l’œil, qui a maintenant vraiment la mèche courte, qui devient hyper stressée, qui ne sort plus du travail, qui augmente sa consommation d’alcool, etc. »
Isabelle Talbot ajoute que certaines situations sont plus à surveiller, comme les transferts de ferme qui tournent mal, les ventes de ferme obligées ou les séparations.
Est-ce qu’on parle ou pas de suicide à quelqu’un qui semble en détresse? « Oui, tu peux lui poser directement la question : « Est-ce que tu as des idées suicidaires? » », recommande Ginette Lafleur.
Pour une aide d’urgence : 1 866 APPELLE (277-3553)
Pour l’aide d’un travailleur de rang : 450 768-6995