Régions 3 janvier 2025

Une ferme allumée par la cocréation

VAL-D’OR – Des travailleurs autonomes de Val-d’Or, en Abitibi, ont mis leurs billes en commun pour faire l’acquisition d’une résidence en zone agricole avec l’objectif d’exploiter une petite ferme-école susceptible d’assurer leur autosuffisance alimentaire, mais surtout d’inspirer la communauté à poser quelques gestes dans cette direction. 

Il y a bien longtemps que Caroline Trudel n’a pas mis les pieds à l’épicerie. Depuis quelques années déjà, cette touche-à-tout — elle est designer numérique, a fondé l’espace de coworking de Val-d’Or et donne des cours de jardinage — produit la majeure partie des aliments qu’elle consomme. Jusqu’à cet été, elle devait cependant le faire sur des terres en location. « Je n’avais plus assez d’espace chez nous, et je ne pouvais pas donner mon cours de jardinage parce qu’il fallait que ce soit sur une terre agricole », fait valoir celle qui partage sa vie entre l’élevage de poules, de lapins et d’abeilles et la gestion des bureaux partagés qu’elle a ouverts au centre-ville de Val-d’Or, il y a cinq ans.

Lorsqu’elle a voulu acheter une maison, Louis-Éric Gagnon, un artiste multidisciplinaire qui loue un bureau dans ces locaux, y a vu une occasion de devenir lui aussi propriétaire. « Ce qui n’est pas simple à Val-d’Or », précise-t-il. « Rapidement, je me suis rendu compte que c’était aussi d’embarquer dans un projet », poursuit celui qui apprend désormais à prendre soin des poules et des lapins, bien que ses responsabilités à la Ferme Dharma reposent surtout sur la « paperasse ». 

Partager tant le logement que la ferme procure des avantages, s’entendent-ils pour dire. Pour la gestion des horaires, évidemment, fait valoir Caroline, qui a pu s’absenter le temps d’une fin de semaine sans tracas. « C’est vraiment un avantage qu’on soit plusieurs, d’autant qu’on a tous des forces différentes », poursuit-elle, évoquant la capacité de son conjoint, Jonathan Marquis, qui est mécanicien et soudeur, de construire à peu près tout — dont une grelinette beaucoup plus légère que ce que l’on trouve sur le marché. « Ç’a aussi été un avantage financier. On a une immense maison et un immense terrain. Ce que j’aurais dû mettre sur la maison, si j’avais été seule, je vais l’investir dans la ferme. »

Grâce à ses compétences en mécanique et en soudure, Jonathan Marquis peut fabriquer de ses mains toute une gamme d’installations et d’outils adaptés aux besoins de la ferme. Photo : Émilie Parent-Bouchard

Une expérience documentée

Louis-Éric Gagnon compte documenter l’expérience dans une série documentaire intitulée Les mains dans la terre, qui verra le jour au printemps. Caroline Trudel, qui s’est spécialisée en design thinking et en intelligence collective lors de sa maîtrise en création numérique, veut faire de sa petite ferme-école un projet d’étude personnalisé qui pourrait servir à inspirer la communauté. 

« Tous mes calendriers de légumes, les semences que j’utilise, la famille botanique, la quantité de légumes pour être autosuffisante sur une année, tout ça est disponible gratuitement sur mon site Web. C’est de rendre les données de notre projet disponibles à tous », illustre celle qui invite déjà la petite communauté créée autour de la ferme à faire des propositions pour la faire évoluer.

On veut créer un projet pour la communauté, donc il faut que le besoin vienne de la communauté. Il faut qu’on sache ce qu’eux veulent et qu’on s’adapte.

Caroline Trudel

Petit guide de la permaculture en Abitibi-Témiscamingue

En plus de l’élevage d’animaux de basse-cour, Caroline Trudel souhaite élaborer des méthodes de permaculture et d’élevage de subsistance adaptées au climat de l’Abitibi-Témiscamingue. 

Elle s’appuiera sur les expérimentations de ses trois « mentors » : Marie Thévard (qui a écrit le livre Le jardin vivrier) et Dominic Lamontagne (auteur de La ferme impossible) pour l’autosuffisance, puis Wen Rolland pour la permaculture et sa petite forêt nourricière. Une corvée de plantation d’arbres fruitiers a d’ailleurs réuni une poignée de Valdoriens à la ferme à la fin octobre. 

« Je veux y aller avec des variétés qui sont vraiment plus adaptées à notre climat, qu’on n’ait pas besoin de serres chauffées pour les cultiver. Au niveau des vivaces, c’est sûr qu’on est vraiment plus limités. Et Wen est en zone 5; il n’a aucune idée de ce qui pousse ici, mais moi, je veux être capable de connaître toutes les vivaces comestibles et tous les fruitiers qui poussent ici », indique Caroline Trudel, mentionnant qu’un tel outil serait le premier à être adapté à la zone de rusticité 2. 

Les producteurs notent d’ailleurs qu’avec les changements climatiques, l’écart se rétrécit entre ce qui est cultivable en zone 2 et en zone 3 (correspondant au climat du Saguenay, où Marie Thévard est installée depuis une trentaine d’années). « Il y a certaines choses qui ont été essayées dans le temps qui n’étaient pas efficaces et qu’on peut réessayer maintenant. Parce que la saison a changé et les écarts de ­températures aussi », souligne Jonathan Marquis.