Régions 18 novembre 2020

Saint-Hyacinthe a dépensé près de 90 000 $ pour dézoner une terre agricole

La Ville de Saint-Hyacinthe met les bouchées doubles pour tenter de dézoner une terre agricole de 24 hectares (ha) sur son territoire. Jusqu’à maintenant, elle a dépensé près de 90 000 $ en frais d’avocat et d’agronome, révèlent des factures dont La Terre a pu prendre connaissance. Cette tentative de dézonage irrite le président de la Fédération de l’UPA de la Montérégie, Jérémie Letellier, qui ne peut concevoir la disparition d’une terre ayant une excellente valeur agronomique. Mais paradoxalement, le dézonage de cette terre vise à construire une usine qui profiterait à un groupe… d’agriculteurs, propriétaires de la marque Exceldor.

Les dates clés

Décembre 2019 : La CPTAQ refuse la demande de dézonage de la Ville de Saint-Hyacinthe puisqu’elle « constitue une perte définitive de la ressource sol dotée d’un très haut potentiel agricole ».

Juin 2020 : Lors de l’orientation préliminaire, la CPTAQ communique son intention de refuser la demande de dézonage de la terre de 24 hectares, cette fois initiée par la MRC des Maskoutains. La MRC affirme avoir de nouveaux arguments qu’elle fera entendre en audiences à la CPTAQ. La date de ces nouvelles audiences n’est toutefois pas encore connue.

Rappelons que la coopérative Exceldor souhaite construire une usine d’abattage de volailles à Saint-Hyacinthe pour relocaliser l’usine désuète de Saint-Damase. Le projet représente un investissement de 200 M$ et 600 emplois. Une phase 2, prévue dans quelques années, nécessiterait 200 M$ d’investissements pour créer 400 emplois supplémentaires. Le genre de retombées qu’aucune ville ne voudrait perdre.

Aux dires de la Ville et d’Exceldor, le seul terrain disponible pour installer l’usine se trouve cependant sur une terre de 24 ha présentement en culture.

La Ville tente donc de convaincre la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) d’accepter sa demande de dézonage. Et elle ne lésine pas sur les moyens pour y arriver, ayant versé 87 641 $ seulement en honoraires professionnels pour présenter son dossier devant la Commission, soit 11 379 $ à l’agronome Daniel Labbé et 76 262 $ au cabinet d’avocats aujourd’hui nommé Therrien Couture Joli-Coeur entre décembre 2015 et avril 2020.

Le détail de ces factures a été obtenu par la Fédération de l’UPA de la Montérégie. « On a fait une demande d’accès à l’information, car les citoyens doivent savoir. Et on s’est rendu compte que c’est beaucoup d’argent payé en frais d’avocat par les contribuables et même par les agriculteurs qui restent dans cette région. Nous avons aussi fait une demande pour obtenir l’entente secrète que la Ville de Saint-Hyacinthe a signée avec Exceldor, mais impossible de l’avoir », explique Jérémie Letellier. Une résolution du conseil municipal votée lors de la séance du 15 octobre 2018 laisse entendre que cette entente secrète est une proposition confidentielle signée par le maire ou le directeur général afin de favoriser l’implantation d’Exceldor en sol maskoutain.

Jérémie Letellier
Jérémie Letellier

Un dossier qui dépasse les frontières de Saint-Hyacinthe

La Ville de Saint-Hyacinthe a également été chercher les appuis des autres maires de la région pour son projet de dézonage. Même le premier ministre François Legault s’est montré favorable au dézonage de la terre lors d’une visite dans la région le 25 août dernier. Cette pression politique et économique crée une levée de boucliers encore plus forte de la part de la Fédération de l’UPA Montérégie. « Pour nous, ce n’est pas juste un dossier de Saint-Hyacinthe, c’est un dossier emblématique pour toute l’agriculture de la province. Il faut en comprendre l’impact. Si ça passe, ça donne le signal que n’importe qui qui possède assez d’argent et d’influence politique peut réussir à dézoner une terre », dénonce son président. Il ajoute du même souffle : « Les politiciens ont une logique électorale. Ils veulent une grosse annonce comme quoi ils ont créé des jobs. Mais la terre agricole, il faut y penser pour 200 ans. C’est elle qui va nourrir les gens. Et c’est contradictoire de la part de Saint-Hyacinthe qui se dit une technopole agroalimentaire, car la richesse de Saint-Hyacinthe vient justement de ses terres qui sont les meilleures. Pourquoi les dézoner? »

Le maire de Saint-Hyacinthe, lui-même agriculteur, a refusé la demande d’entrevue de La Terre.


« On va tout faire pour que la CPTAQ nous donne les droits »

René Proulx
René Proulx

Après avoir essuyé un premier refus en 2019 face à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), la Ville de Saint-Hyacinthe, la MRC des Maskoutains et la coopérative Exceldor contre-attaquent. Elles présentent de nouveau une demande à la CPTAQ pour dézoner la terre de 24 hectares où la construction de la nouvelle usine est projetée. Les audiences ne sont pas encore fixées, mais cette fois sera la bonne, croit René Proulx, président d’Exceldor. « On est loin d’être découragés. On a appris des choses, on a fait nos devoirs, le dossier est solide. On va tout faire pour que la CPTAQ nous donne les droits  », assure-t-il.

René Proulx est optimiste. Son groupe a ciblé des superficies qui seront proposées à la CPTAQ afin de compenser la perte de terres agricoles lors du dézonage. Sans vouloir révéler sa stratégie, il affirme que des annonces seront faites « au moment opportun » et que les superficies seront bonifiées comparativement à la première tentative auprès de la Commission.

Mordicus à Saint-Hyacinthe

Les municipalités avoisinantes de Saint-Damase (où se trouve l’abattoir actuellement) et de Saint-Pie se disent en mesure d’offrir des terrains et des infrastructures nécessaires à la construction du nouvel abattoir, et ce, sans dézoner aucune terre agricole. La coopérative Exceldor, qui appartient à des producteurs agricoles, tient cependant mordicus à se construire à Saint-Hyacinthe. « Cinquante pour cent de nos employés demeurent à Saint-Hyacinthe. On va passer de 250 à 600 employés [avec la nouvelle usine]. Il faut faciliter le transport des employés et avoir accès au transport en commun, car nous aurons beaucoup d’immigrants comme employés », explique le dirigeant. L’accès à d’énormes volumes d’eau et à du gaz naturel fait aussi partie de la liste d’arguments, sans oublier que le site convoité donne directement accès à l’autoroute 20 et au centre de distribution d’Exceldor situé à Beloeil, autant de critères « non négociables », affirme M. Proulx.