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Pas besoin de rouler longtemps dans les rangs autour de La Pocatière pour récolter des témoignages accablants. Dans ce coin du Bas-du-Fleuve, les deux années de sécheresse risquent de donner le coup de grâce à quelques entreprises.
Cette deuxième année de sécheresse arrive à un bien mauvais moment pour Rémi Hudon et sa conjointe Catherine Lord : leur ferme laitière caprine de Rivière-Ouelle est en pleine expansion depuis cinq ans.
« Nos récoltes de foin font dur, mon homme, on capote! Il faut faire venir du foin de Saint-Hyacinthe, ce qui nous coûtera 25 000 $ de plus, rapporte Rémi Hudon. Notre ferme a de bonnes performances, mais disons que des liquidités de trop, on n’en a pas. Le lait de chèvre, ce n’est pas les marges de la vache laitière ni de la volaille. » Et comme l’an dernier, il s’attend à acheter de la moulée plus fibreuse pour pallier le manque de foin, ce qui entraînera un déboursé supplémentaire de 7 000 $.
Rémi Hudon consacre une douzaine d’heures par jour à la traite, à l’alimentation et au nettoyage de ses 290 chèvres, qui produisent 300 000 litres annuellement. À cela s’ajoute son métier de pêcheur d’anguilles, une tradition familiale vieille de 250 ans. « On a tellement d’ouvrage que ça me brûle par en dedans juste de penser à ce qu’on a à faire. Le problème du foin, on n’en avait vraiment pas de besoin! » lance-t-il.
Certains abandonneront
Chez Desjardins Entreprises–Côte-du-Sud, l’agronome et directeur des marchés agricoles Paul Julien prévoit malheureusement que quelques fermes de la région cesseront leurs activités, notamment en raison de la sécheresse. « Ce sera le coup de trop pour des entreprises déjà fragiles financièrement et vulnérables. Il y en a – ceux qui n’ont pas de relève par exemple – qui abandonneront aussi par découragement », explique-t-il.
Le directeur fait remarquer que le manque d’eau depuis deux ans s’additionne à d’autres facteurs, dont la baisse du prix du lait et la hausse des taux d’intérêt. « Dans le laitier, mais aussi dans le bovin et l’ovin, on voit un resserrement des liquidités chez plusieurs fermes. Et davantage de retards de paiement qu’à l’habitude », constate M. Julien. Il souligne toutefois l’importance de ne pas céder à la panique. « On aide les entreprises à réduire la pression sur leurs liquidités en augmentant leur marge de crédit, en restructurant la dette ou en donnant congé de remboursement de capital », propose-t-il en guise de pistes de solution. La majorité des entreprises sont d’ailleurs en mode solution, assure M. Julien.
« On est rendus à tout vendre »
Vendre l’ensemble du troupeau vache-veau, c’est la difficile décision que viennent de prendre Kathy Anctil et son père, de Saint-Philippe-de-Néri. « Il faut acheter du foin, car on n’en a pas assez. Ça coûte alors plus cher de nourrir les animaux que le prix qu’on recevra pour la vente des veaux à l’automne », résume Mme Anctil. Son père a déjà envoyé six vaches à la réforme, mais ce n’est pas assez. « On est rendus à tout vendre. Sauf qu’avec le nombre de vaches sur le marché, les gens ne veulent pas payer. On nous a offert 10 000 $ pour 10 vaches et 10 veaux. Il y a une limite à perdre de l’argent », se désole-t-elle.
« C’est triste »
Le 30 juillet, lorsque La Terre rencontre Sylvain Bélanger, il est en pleine deuxième coupe. Même après le passage du doubleur d’andain, on a de la difficulté à reconnaître le foin frais coupé.
« Il y a des endroits mieux que d’autres, mais je dirais que le rendement est de 25 à 30 % d’une deuxième coupe normale. C’est triste ! » résume le producteur laitier de Saint-Jean-Port-Joli. Il rapporte que chez lui, la première coupe a généré la moitié du rendement habituel. Ces passages presque à vide exigent cependant les mêmes dépenses en temps et en carburant, ce qui consterne Sylvain Bélanger et son frère. « En fauchant, on se dit que si la pluie finit par arriver, ça pourrait redécoller pour une troisième coupe », espèrent-ils. Prévoyant que le foin sera encore plus rare cet hiver, les producteurs ont déjà fait venir deux camions-remorques de balles carrées.
Récolter 80 balles au lieu de 500…
À Montmagny, les cultures fourragères de Jean-Pierre Denault ont été affligées par le gel. La sécheresse leur a ensuite donné le coup de grâce. « Pour te donner une idée, avec la première coupe, on remplit habituellement un plein silo et la balance est faite en balles. Cette année, on a rempli de misère la moitié du silo. » Sa deuxième coupe n’a pas été meilleure… « Il y a même un champ de graminées où on a récolté 80 balles sur 12 acres. Normalement, on en aurait fait 500 ! » témoigne le producteur de lait. L’état de son maïs ensilage le fait également sourciller. L’impact sera évident sur les finances de son entreprise, qui pourrait être déficitaire cette année, estime M. Denault.
« On est rendus au plan Z »
Pascal Pelletier affirme que ses champs de foin « sont sur le respirateur artificiel »; idem pour ses champs de maïs ensilage. « On s’était dit qu’acheter du maïs ensilage serait notre plan Z, mais à voir le temps sec qu’ils nous annoncent encore, on est rendus au plan Z », analyse le producteur laitier sous régie biologique situé à La Pocatière. Lors du passage de La Terre, M. Pelletier et sa famille venaient tout juste de recevoir un plein chargement de balles rondes. « Quand on a vu le camion arriver ce matin, on a eu un petit soulagement. Ce qui nous donne une chance, c’est qu’aussitôt qu’on a constaté que c’était une deuxième année de sécheresse, on s’est mis sur le téléphone pour acheter du foin bio, qu’on a trouvé à Saint-Mathias-sur-Richelieu [en Montérégie]. »
« On va payer toute l’année »
En plus de souffrir de la sécheresse, les fourrages de Liliane Lavoie, à Saint-Pascal près de Kamouraska, ont subi une attaque de sauterelles! « Il n’y a presque plus rien dans les pâturages », indique la copropriétaire d’une ferme laitière certifiée biologique. Ses réserves étant à sec, elle prévoit acheter pour près de 30 000 $ de foin d’une qualité probablement insuffisante. La piètre qualité des pâturages a réduit la production quotidienne de lait d’environ 4 litres par vache, et Liliane Lavoie craint de ne pas la voir remonter. « En bio, on ne peut pas utiliser plus de 40 % de suppléments [protéiques] dans la ration, et le choix est plus limité. On ne pourra donc pas compenser. On va payer toute l’année pour cette deuxième sécheresse », résume-t-elle.
Sainte irrigation
À Saint-Jean-Port-Joli, les cultures du maraîcher Michel Beausoleil ne souffrent pas de la sécheresse, grâce à son système d’irrigation qui fonctionne à plein régime depuis un peu plus d’un mois.
« Un fruit, c’est de l’eau. La première chose qu’un maraîcher doit faire, surtout dans une terre de sable comme ici, c’est de s’assurer d’un bon apport en eau. Je n’ai pas une grande réserve, mais mon système goutte à goutte est super efficace », indique le producteur de bleuets, de framboises et de mûres.
Il précise qu’en conditions de sécheresse, un plant mal irrigué produit moins de fruits et limite sa croissance, ce qui handicape aussi la récolte de l’année suivante. Cela ne se produira pas chez M. Beausoleil qui, au contraire, s’attend à une bonne récolte, en partie grâce à la chaleur!