Brigitte Maillette et Michel Guérin ont fait quelques détours avant de se retrouver à la tête de l’entreprise Les Fromages du verger. Un virage à 180° pour ces deux gestionnaires dans l’industrie pharmaceutique devenus tour à tour pomiculteurs, producteurs d’agneaux puis fromagers.

En quête d’une meilleure qualité de vie pour leur famille, Brigitte et Michel souhaitaient quitter le secteur pharmaceutique pour se lancer en affaires. « Mon année de maternité, ç’a été la plus belle de ma vie! Au travail, je partais deux jours et j’avais 200 courriels qui m’attendaient au retour. Nous avions toutes nos soirées et toutes nos fins de semaine, mais nous n’avions pas le temps de faire quoi que ce soit », déplore-t-elle.

Tous deux cueilleurs de champignons, Brigitte et Michel songent d’abord à transformer leur passe-temps en entreprise. « Mais avec trois enfants, il faut que tu en cueilles, des champignons! » plaisante Brigitte. Amateur de fromages de brebis, le couple remarque que les produits de brebis du Québec se font plutôt rares. Voilà le filon qu’il exploitera.

Habitant l’ouest de l’île de Montréal, Brigitte et Michel y cherchent, en vain, un site parfait pour leur fromagerie. Le train de banlieue les amène finalement à Saint-Joseph-du-Lac, « le pays de la pomme », où ils se portent acquéreurs d’un verger en 2007. Au départ, ils souhaitent exploiter le volet pomiculture et bâtir une fromagerie, sans toutefois garder de brebis. La Ville refuse cependant leur projet, craignant l’augmentation du trafic des camions de lait. De plus, la Commission de protection du territoire agricole du Québec exige que leur entreprise produise la moitié de la matière première nécessaire à la fromagerie.

Les deux producteurs en devenir ne se laissent pas décourager, bien au contraire. « Nous nous sommes dit : “Nous allons les avoir, les brebis” », poursuit Brigitte. Ils prendront possession des lieux au mois de juillet, en pleine récolte des pommes d’été, sans savoir combien d’amateurs d’autocueillette déferleraient chez eux!

Mais il n’y a pas de temps à perdre puisque le lait doit être transformé en fromages. Le couple se lance donc dans le développement de recettes avec l’aide d’un consultant. Aujourd’hui, sa « carte » de fromages compte toute une gamme de produits frais ainsi que d’autres plus complexes, dont le Brebichon, une pâte molle à croûte lavée à la pomme; L’Authentique, le traditionnel feta pure brebis; le Bohème; et le Pommé. D’ailleurs, le lait de brebis, déjà fruité, se conjugue à merveille avec la pomme, explique Brigitte.La suite est un feu roulant. Après la saison des pommes à la mi-octobre, il faut construire la bergerie, car les pensionnaires arrivent en décembre. Les brebis débarquent finalement le 24 décembre, juste à temps pour les fêtes. « Soixante brebis d’un coup. Wow! Et nous finissions de poser les clous », se rappelle Brigitte. Elle poursuit alors son apprentissage du métier par la lecture d’un document sur les maladies des ovins. Quitte pour une bonne frousse, elle se demande dans quelle galère Michel et elle viennent de s’embarquer!

La fromagère prend grand soin de ses produits; elle lave et tourne les meules tous les jours pendant quelques semaines.

« Mon ancien patron nous a rendu visite et il pensait que je fabriquais ça sur mon rond de poêle! », raconte-t-elle, amusée.

Malgré leur jeunesse, Les Fromages du verger ont déjà raflé plusieurs honneurs, dont trois prestigieux Caseus pour leur Brebichon et leur Louché. Ce fromage à tartiner, dont le caillé est prélevé à la louche, a aussi remporté un premier prix de l’American Cheese Society. D’ailleurs, le Louché se retrouve au menu de grandes tables telles que Toqué! et Au Pied de Cochon. Un baume pour les débuts difficiles de Michel et Brigitte.

En effet, lors des premiers agnelages, ils perdent 30 % des petits à la suite d’une infection bactérienne. Un coup dur pour Brigitte qui amène les agneaux les plus faibles à la maison, les enveloppe dans une couverture, les sèche et les cajole toute la journée pour les voir mourir quelques heures plus tard. Puis, trois semaines après l’ouverture de la fromagerie, la crise de la listériose éclate. Même si leurs fromages sont élaborés à partir de lait pasteurisé, les clients sont frileux devant leurs produits artisanaux.

Ces écueils sont maintenant un lointain souvenir. Le troupeau atteindra cette année le cap des 100 brebis, et la production fromagère a doublé depuis les débuts. De plus, Julie, la sœur de Brigitte, donne maintenant un coup de main à la fromagerie.

Fromagère et agricultrice
Brigitte parle d’agriculture avec une belle fraîcheur. Il faut l’entendre raconter ses premières tentatives pour manipuler ses brebis, courant derrière elles pour les attraper. « Il a fallu apprendre la psychologie du mouton », confie l’agricultrice, qui a pu compter sur les conseils de Jean-Pierre Goyette, l’éleveur qui a vendu le troupeau au couple.

À tout cela se greffe un volet agrotouristique, puisque Michel et Brigitte reçoivent les gens à bras ouverts, que ce soient les écoliers ou les retraités. Durant le « temps des pommes », en septembre et octobre, ils s’affairent aux fourneaux. Leur casse-croûte, La brebis affamée, offre des plats mettant leurs produits à l’honneur. Ainsi, entre l’agrotourisme, les pommes, les fromages et les animaux, les deux entrepreneurs ne chôment pas. Pourtant, ils ne retourneraient pour rien au monde à leur ancienne vie.En plus de son « or blanc », la ferme produit plus d’une centaine d’agneaux annuellement. Durant la belle saison, ceux-ci profitent d’un pâturage aménagé au cœur du verger. Une fois engraissés, les agneaux de marché sont transformés en une variété de coupes qui sont vendues à la boutique de la ferme. Les visiteurs peuvent également y faire le plein de toute une déclinaison de plats cuisinés, de fromages et de pommes, tous mitonnés par les artisans des Fromages du verger.

Et lorsque Brigitte voit sa fille Noémie, 8 ans, s’amuser en l’aidant à la fromagerie ou en secondant papa à la bergerie, elle sait qu’elle a vraiment fait le bon choix pour sa famille.