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Le prix des terres agricoles est en hausse depuis plusieurs années au Québec. Au cours de la dernière décennie, le phénomène s’est accéléré, entraînant les prix à des niveaux qui donnent le vertige. Un vertige pour les producteurs en place, mais également pour leur relève.
À la suite de la réalisation des dernières études de coût de production dans le secteur des grains, les Producteurs de grains du Québec (PGQ) nous ont lancé le défi d’illustrer d’un point de vue économique l’enjeu du prix des terres pour une relève. En considérant les prix, les rendements et les charges observées sur le terrain pour une année de production normale, quel serait l’écart entre la rentabilité économique de la terre et son coût de possession?
Pour relever ce défi, nous avons tout d’abord retenu le profil de deux fermes types qui souhaitent amorcer un processus de transfert à leur relève. La première reflète la moyenne des observations du Portrait technico-économique du secteur Maïs-grain et soya 20191, alors que l’autre est plus performante dans ses rendements. Les deux fermes types exposées précédemment sont actuellement rentables. Elles font leurs paiements (charges, capital et intérêts), sont en mesure de rémunérer le travail des exploitants et génèrent des liquidités afin de réaliser des investissements dans leurs entreprises. Mais quelle serait la réalité économique d’une relève qui ferait l’acquisition de l’une ou l’autre de ces deux entreprises?
Bien évidemment, « ça dépend »! Considérant que plusieurs options peuvent être envisagées, cherchons tout d’abord à répondre à la question suivante :
En posant l’hypothèse que les performances seront similaires à celles actuellement observées dans l’entreprise, quelle pourrait être la dette maximale que la relève serait en mesure de supporter?
Idéalement, une entreprise en bonne santé financière devrait avoir des remboursements d’emprunt inférieurs à sa capacité de remboursement. C’est ce qui lui permet d’avoir un coussin de sécurité en cas d’imprévus à court terme. Elle pourra aussi à plus long terme autofinancer certains investissements. L’analyse des résultats économiques de nos deux fermes types indique que les dettes ne devraient pas dépasser de 8 300 à 13 850 $/ha. Considérant la valeur des terres qui tourne autour de 35 000 $/ha, le défi est grand pour la relève. Même en réduisant autant que possible les prélèvements pour s’offrir très peu de rémunération, ce ne serait pas suffisant.
Quelques stratégies
Devant cette situation qui n’est pas nouvelle au Québec, diverses stratégies sont envisagées par les entreprises agricoles et leur relève. Elles peuvent être analysées individuellement ou de manière combinée.
L’objectif de cet article n’est pas de vous donner une recette toute faite. Les stratégies retenues sont généralement différentes d’une entreprise à l’autre.
Voici cependant quelques réflexions :
Est-ce qu’il est logique d’étaler une dette sur plus de 22 ans? Cette question est louable : la terre n’est pas un bien « dépréciable » et elle prendra encore de la valeur. Toutefois, augmenter la durée d’un prêt à 30 ans ne vous donne que 30% plus de capacité d’emprunter. Encore là, on est loin d’acheter la terre à sa valeur marchande;
Les congés en capital de plus en plus offerts par les institutions financières sont-ils une solution? Il faut demeurer prudent avec cette stratégie. Cela permet d’enlever une pression les premières années du transfert, mais inévitablement, le capital sera à rembourser. Comment l’entreprise réussira-t-elle si aucune nouvelle marge de manœuvre supplémentaire n’est dégagée? On pourrait se retrouver face au même mur, tôt ou tard;
Louer le fonds de terre possédé par une fiducie familiale plutôt que d’en être propriétaire foncier est-elle une solution envisageable? Cette option a également ses avantages et ses inconvénients. Le taux de location devient ainsi l’élément économique qui figure au cœur des discussions. Il doit bien évidemment permettre de couvrir les paiements sur la dette et les charges récurrentes des propriétaires. Il doit également représenter pour ces derniers un montant annuel qui reflète leurs attentes.
Informez-vous sur les nombreuses stratégies utilisées dans les transferts d’entreprises. Évaluez les aspects économiques et, bien sûr, fiscaux de chacune de celles-ci. N’oubliez pas de prévoir les autres investissements. La terre, c’est possiblement l’actif le plus important d’une entreprise en grandes cultures. Il n’en demeure pas moins qu’il y aura assurément d’autres investissements à faire, que ce soit pour entretenir son parc de machinerie, pour les bâtiments ou pour innover. Il faut se rappeler que chaque transfert est unique, puisque chaque ferme et chaque individu qui fait partie de l’entreprise est différent.
En terminant, la vente de sa terre à la relève demeure un événement que plusieurs anticipent avec crainte. En effet, plusieurs défis, dont ceux en lien avec les aspects économiques, peuvent paraître complexes. Pourquoi ne pas y consacrer aujourd’hui quelques heures? Avec de bons chiffres (vos chiffres), une ouverture d’esprit et de bons conseils, les probabilités de franchir le fossé économique d’un transfert seront grandement améliorées.
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1 https://www.pgq.ca/media/655780/resultats_finaux_mais-grain_mai-2021.pdf
https://www.pgq.ca/media/655692/resultats_finaux_soya_mai-2021.pdf
Stéphanie Brazeau, conseillère en gestion agricole au Groupe ProConseil
Francis Goulet, directeur du Centre d’études sur les coûts de production en agriculture
Cet article a été publié dans le cahier GRAINS de mars 2022