Prévention 16 janvier 2019

Morts accidentelles d’enfants :82 % auraient pu être évitées

Entre 2002 et 2015, pas moins de 17 enfants sont morts dans les fermes du Québec et 284 ont dû être hospitalisés pour des traumatismes graves. Le pire, c’est que la grande majorité de ces accidents aurait pu être évitée. Cela est d’autant plus bouleversant que le deuil d’un enfant est ce qu’il y a de plus difficile à porter.

En tant que responsable des soins palliatifs pédiatriques au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, le Dr Claude Cyr est régulièrement confronté à la mort d’enfants. Sachant qu’au Québec, les accidents graves qu’ils subissent sont plus fréquents en milieu rural, il a réalisé une étude sur le sujet avec la docteure résidente Gabrielle Spiegle-Morin. Les résultats qui seront officiellement publiés plus tard cette année sont renversants : 82 % des accidents mortels impliquant des enfants à la ferme au Québec auraient pu être évités par de simples mesures de sécurité. 

De plus, l’analyse au cas par cas des données provinciales indique que les deux tiers des 284 enfants ayant subi des traumatismes graves nécessitant au moins trois jours d’hospitalisation en raison d’accidents survenus à la ferme auraient également pu être prévenus. 

Les Drs Claude Cyr et Gabrielle Spiegle-Morin sont arrivés à ce constat en épluchant tous les rapports de coroners dans les cas de décès, et après avoir analysé les recommandations nord-américaines sur le travail des enfants à la ferme.

Claude Cyr soutient que la ferme est un milieu de vie exceptionnel pour les enfants. Il assure cependant que de simples moyens de prévention auraient évité la majorité des accidents graves ces dernières années. Gracieuseté de Claude Cyr

Un problème sérieux

Les analyses réalisées par les chercheurs ont déterminé trois causes d’accident, à commencer par un environnement non sécuritaire à la ferme. Par exemple, de jeunes enfants qui jouent sans surveillance dans la cour où circulent des tracteurs et des véhicules lourds. « Je pense à un enfant d’âge préscolaire qui courait derrière le tracteur pour monter avec son papa. Le père ne l’a jamais vu et, malheureusement, il a passé dessus », relate le Dr Cyr. 

D’autres accidents sont aussi causés par des tâches demandées à des enfants alors que ceux-ci n’avaient pas entièrement les capacités requises. Finalement, il arrive que les consignes de sécurité n’aient pas été clairement expliquées par les adultes. Dr Cyr évoque ici l’exemple d’une jeune fille décédée après que ses cheveux se furent enroulés dans la vis sans fin d’un équipement agricole. 

Deuil difficile

Le Dr Cyr rappelle que le deuil est terriblement difficile à porter. « Perdre un enfant, c’est universellement le stress le plus important qu’un humain puisse vivre », témoigne celui qui est une sommité dans le domaine du deuil associé à la mort d’un enfant, lui qui a cosigné le livre sur le sujet intitulé Ce vif de la vie qui jamais ne meurt, publié en 2017 aux éditions Novalis.

Les répercussions psychologiques s’aggravent lorsqu’un enfant perd la vie à la suite d’un accident qui aurait pu être évité par le parent. « Voir son enfant mort à côté du tracteur, c’est une image indélébile », conclut avec compassion le Dr Cyr, lui-même père de famille.


Des accidents tragiques

Les accidents impliquant des enfants à la ferme sont souvent passés sous silence. Ce sujet devient même tabou en raison de la charge émotive et de la culpabilité ressentie par ceux qui restent. Par contre, les décès font les manchettes, comme l’illustrent les extraits ci-dessous.

Un enfant de 10 ans est mort d’une manière horrible, suffoquant après avoir été enseveli dans un chariot à grain, dans une ferme du Témiscamingue.

5 juin 2017, Journal de Montréal

Une famille de Sainte-Marguerite, en Beauce, vit un cauchemar. Le petit Noah, cinq ans, est mort à la suite d’un accident survenu mercredi avec le tracteur de la ferme conduit par son grand-père. L’enfant se serait retrouvé coincé sous le tracteur en marche.

15 juin 2016, TVA

Jasmin Turgeon, 17 ans, de Compton, travaillait comme employé de ferme lorsqu’il a été happé par la pelle d’un tracteur alors qu’il tenait un piquet. Le godet se serait décroché et serait tombé sur le garçon.

10 juillet 2014, La Tribune

Des outils de prévention en ligne

Des agriculteurs de longue date diront que ce n’est pas l’Internet qui leur montrera comment s’occuper de leurs enfants à la ferme, mais en vérité, plusieurs sites proposent d’excellents outils d’éducation et des moyens pour diminuer le nombre d’accidents graves.

Quelles tâches peuvent être réalisées sécuritairement par un enfant selon sa tranche d’âge? Quelles sont ses limites et comment lui enseigner à bien forcer? Dans un document de sensibilisation produit en 1999, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) affirme que la majorité des parents ont tendance à surestimer la capacité des jeunes à agir de manière sécuritaire. Le document numérique La sécurité des enfants à la ferme, un investissement pour l’avenir, fournit des indications pertinentes. Il sera mis à jour prochainement.

C’est souvent après un accident que les parents se disent : « Maintenant, je me rends compte que c’était dangereux! »

La sécurité des enfants à la ferme, un investissement pour l’avenir, CNESST

Le site américain cultivatesafety.org/work, en anglais seulement, décrit en détail à l’aide de vidéos explicatives les critères sur lesquels les parents devraient se baser avant de confier une tâche à un enfant. Une version légèrement moins étoffée, en français, a été produite par l’Association canadienne de sécurité agricole et peut être consultée à l’adresse semainesecuriteagricole.ca, sous l’onglet Ressource.

Outre les sites Web, mentionnons que le programme Sécurijour offre aux jeunes de 7 à 12 ans une journée de formation sur la prévention et la sécurité à la ferme. Chaque année, plusieurs fédérations régionales de l’Union des producteurs agricoles organisent de telles journées. Le docteur Claude Cyr salue cette initiative, mais fait remarquer qu’il incombe aux parents de renforcer la sécurité dans les fermes.


6 moyens pour éviter qu’un enfant ait un accident

1 – Entourer la balançoire et l’aire de jeux des enfants en bas âge d’une clôture de 1,2 m de hauteur afin qu’ils puissent s’amuser sécuritairement.
Une barrière de 800 $, ce n’est pas cher pour préserver leur vie.

2 – Effectuer une tournée des lieux et supprimer tous les risques graves de danger. Par exemple : un accès à la préfosse non sécurisé, des outils électriques branchés, des gardes enlevés sur les prises de force, des clés laissées dans le contact des tracteurs, un accès trop facile aux silos, etc.

3 – S’assurer que l’enfant qui travaille à la ferme a les capacités nécessaires pour réaliser la tâche et que l’outil est adapté à sa taille et à sa force. Il doit pouvoir atteindre aisément toutes les commandes d’une machine. Il vaut mieux éviter de le forcer s’il ne se sent pas à l’aise d’effectuer une tâche.

4 – Montrer spécifiquement les sources de danger à l’enfant, les pièces mobiles qui peuvent lui happer les doigts ou une partie du corps, les risques associés à l’utilisation d’un outil, aux décharges électriques, au fait de travailler près des grands animaux, ou encore lui expliquer comment un tracteur ou un VTT peut se renverser.

5 – Obliger l’enfant à porter l’équipement approprié : des bottes de travail antidérapantes, des vêtements serrés, des protecteurs auditifs et des lunettes de sécurité. On lui impose également d’attacher sa ceinture de sécurité sur le tracteur et de porter un casque à bord du VTT. 

6 – Faire signer un contrat à l’enfant par lequel il s’engage à respecter les règles. Ce contrat fictif n’a aucune valeur légale, mais il le conscientise au sérieux accordé à la sécurité à la ferme.