Politique 27 juin 2017

La nouvelle banque fédérale pourrait dézoner des terres

Ottawa est sur le point d’adopter une loi qui risque de permettre de contourner des lois provinciales comme celles sur la protection du territoire agricole ou sur l’environnement dès qu’un projet sera financé par la future Banque de l’infrastructure du Canada (BIC).

L’Union des producteurs agricoles s’est adressée aux sénateurs et aux députés du Québec dans les deux capitales en se disant préoccupée et en demandant de scinder le vaste projet de loi « omnibus », qui met en place plusieurs mesures du dernier budget Morneau tout en fixant le cadre juridique de la BIC. L’idée était de pouvoir étudier les effets de la BIC sur le territoire agricole séparément des autres mesures budgétaires.

Le sénateur québécois André Pratte a d’ailleurs tenté de le faire scinder. « On n’a pas suffisamment de temps pour étudier la BIC », a-t-il commenté à La Terre le 19 juin, en citant notamment la question du risque pour l’argent public associé à la nouvelle Banque et du respect des juridictions provinciales comme celle sur la protection du territoire agricole.

Le Sénat a cependant rejeté la scission du projet de loi après un vote de 38 contre 38 que le président de l’assemblée a tranché dans le sens de la volonté du gouvernement Trudeau, le 19 juin au soir.

L’adoption du projet de loi C-44 n’est donc plus qu’une formalité puisque le vote à la Chambre des communes y était déjà favorable. Le gouvernement n’a d’ailleurs pas la même interprétation de la portée de sa loi.

L’Assemblée nationale contre

L’Assemblée nationale n’est pas de l’avis du gouvernement fédéral. Le 31 mai, elle a adopté unanimement la résolution suivante :

« Que l’Assemblée nationale affirme l’application de toutes les lois du Québec aux éventuels projets soutenus par la Banque d’infrastructure du Canada et que, pour refléter clairement cet état de droit, elle exige des amendements au projet de loi C-44. »

Le Bloc québécois a critiqué sévèrement le projet de loi C-44. « Cachée dans ce projet de loi mammouth, il se trouve une disposition qui risque d’avoir un impact très important sur la protection du territoire agricole », a commenté dans une lettre le député du Bloc québécois Simon Marcil. Celui-ci estime que la loi prévoit que la BIC « jouira de tous les privilèges et immunités du gouvernement fédéral, et ce, pour tout projet d’infrastructure qu’un investisseur privé voudrait construire ». Le projet d’infrastructure de la Banque échappera aussi aux lois environnementales ou aux règlements municipaux. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement fédéral vient imposer son pouvoir pour contourner des lois et des règlements provinciaux. C’est le cas notamment pour les nouveaux aéroports ou aérodromes sous juridiction fédérale. Selon plusieurs observateurs, la BIC permettra d’étendre ce pouvoir à des projets du secteur privé, qui seront garantis ou financés par celle-ci.

Il est d’ailleurs possible que la Banque investisse au Québec dans le Réseau électrique métropolitain, dont l’impact en zone agricole est connu. Pour le moment, les 1,28 G$ du fédéral dans ce projet sont issus de l’enveloppe de 21 G$ sur 11 ans pour le transport collectif et l’infrastructure verte. Le premier ministre Trudeau a toutefois évoqué la possibilité que le financement provienne plutôt de la BIC. Les sommes annoncées serviraient alors à d’autres projets d’infrastructures au Québec.