Photomontage : Judith Boivin-Robert/TCN
Des ennemis voraces dans les champs de fruits et légumes
Patricia Blackburn
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Au cours de l’été, Francis Desrochers est passé 13 fois dans ses champs de pommes de terre pour appliquer des fongicides, alors qu’il ne le fait normalement que cinq fois durant la saison. Comme bien des confrères de plusieurs régions du Québec, le producteur de Saint-Paul, dans Lanaudière, doit lutter sans relâche, cette année, contre un ennemi très virulent, dont la présence est exceptionnelle : le mildiou.
« On a fini l’application [de fongicides]. Les récoltes vont commencer. Ç’a aidé à contrôler la maladie, mais j’ai quand même des champs infectés. Pour les producteurs, ça veut dire des pertes de rendement et des légumes qui pourrissent dans le sol », témoigne celui qui est président des Producteurs de pommes de terre du Québec.
Au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), l’agronome Isabelle Couture affirme n’avoir jamais été témoin, auparavant, d’une propagation aussi généralisée de la maladie fongique. Si le champignon est particulièrement agressif dans les productions de pommes de terre et de tomates, d’autres espèces de mildiou ont aussi attaqué les laitues, les oignons, les crucifères et les concombres.
« Ç’a été très présent à l’échelle provinciale et dans toutes les cultures. C’est très rare qu’on va voir des épisodes de mildiou. On avait vu quelques cas l’année passée dans la tomate, mais c’était marginal et en fin de saison, tandis que cette année, ç’a démarré relativement rapidement et ça n’a pas lâché, car il a plu tout le temps », explique la conseillère en horticulture maraîchère.
Elle précise que ce champignon voyage par les vents.
Normalement, dès qu’il y a un épisode de sécheresse, le champignon n’a plus d’humidité pour pénétrer la feuille, donc il meurt de sa belle mort. Mais cette année, les conditions étaient toujours propices pour que la maladie se maintienne dans l’air et puisse aller contaminer d’autres champs.
Incapables d’appliquer des fongicides
Outre le mildiou, plusieurs maladies fongiques et bactériennes qui reviennent chaque année ont pris les champs d’assaut avec plus d’intensité qu’à l’habitude en 2023, relève Isabelle Couture, parfois en faisant pourrir les fruits et légumes, parfois en diminuant le calibre et le rendement. Les crucifères ont, par exemple, souffert de l’alternaria, soit un champignon qui déclasse les produits.
Une autre agronome, Nadia Surdek, explique que la pluie a été tellement fréquente et abondante que les agriculteurs n’ont pas été en mesure d’aller au champ au bon moment durant la saison pour appliquer les traitements préventifs. « Des fois, les champs s’asséchaient enfin. Le producteur se préparait à aller faire le traitement, mais là, il retombait un autre coup d’eau qui l’empêchait d’y aller. C’était vraiment décourageant », fait valoir la cheffe d’équipe des secteurs maraîcher et fruitier pour le groupe PleineTerre, actif en services-conseils.
Des insectes dans les petits fruits
La drosophile à ailes tachetées a aussi profité de l’humidité pour se reproduire plus rapidement que d’habitude, aidée par des températures ni trop chaudes ni trop froides qui sont optimales pour son développement, signalent Elizabeth Ménard et Annabelle Firlej, chercheuses spécialisées en entomologie à l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). Cette petite mouche à fruit exotique a envahi les cultures de petits fruits plus tôt que prévu dans la saison. « Dans le bleuet en corymbe, c’est une année où il y a jusqu’à 50 % de pertes chez les producteurs qui ne font aucune intervention, rapporte Mme Ménard. Un portrait que trace aussi Violaine Joly-Seguin, agronome au Club conseil du Corymbe. « De ce que j’ai vu, c’est la pire année, autant chez les producteurs de bleuets biologiques que conventionnels », constate-t-elle.
Le recours aux insecticides, là aussi, a été compliqué par les courtes fenêtres d’application et par la pluie qui venait lessiver les produits, ajoute Mme Firlej. « Ceux qui s’en sont bien sortis ont eu recours aux filets d’exclusion sur les cultures. C’est une technique qui marche très, très bien, autant contre la drosophile à ailes tachetées que d’autres ravageurs qui ont aussi profité de l’humidité, cette saison, comme le scarabée japonais et la mouche du bleuet. Le problème, c’est que ce n’est pas applicable partout et c’est très coûteux, même s’il existe des subventions. »
Une cellule de crise
Vu l’agressivité des différents types de mildiou qui se propagent rapidement par les airs, une « cellule de crise » a été créée par le Réseau d’avertissement phytosanitaire du MAPAQ pour « éteindre le feu », relève l’agronome Isabelle Couture. Un protocole d’intervention serré a été élaboré afin de détruire immédiatement les plants porteurs ou symptomatiques. On y suggérait une application régulière de fongicides préventifs. Grâce à ces efforts, dit-elle, la situation serait maîtrisée, à l’heure actuelle. « J’ai beaucoup suivi les mildious dans le concombre. On disait aux producteurs de traiter tous les cinq jours ou, au plus, tous les sept jours. On a de bons outils. Si les producteurs n’avaient pas autant pulvérisé, ç’aurait été bien pire. »
Recours aux hélicoptères
Incapables d’entrer aux champs pour l’application de fongicides à un certain moment de l’été, des producteurs de pommes de terre de Lanaudière, de la Montérégie et de Québec ont recouru à l’arrosage par hélicoptère, raconte le président des Producteurs de pommes de terre du Québec, Francis Desrochers. Dans Lanaudière, par exemple, plusieurs fermes se sont mises ensemble et ont fait appel à une entreprise privée. « C’est la première fois qu’on faisait ça. Ça pouvait coûter entre 27 et 40 $ l’acre. Ç’a aidé », constate-t-il.