Actualités 26 septembre 2014

Petite bête, gros défi!

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Petite bête attachante, le lapin semble tout simple à élever. L’élevage professionnel exige toutefois une bonne dose d’organisation, une qualité que possède Julien Pagé. Portrait d’un éleveur-chef d’orchestre.

En 1980, Claude Pagé, le père de Julien, se lance tête première dans la production cunicole, un secteur plutôt marginal à l’époque. Un choix parfait pour cet original qui aime sortir des sentiers battus, selon son fils. « Mon père voyait déjà le potentiel de cette viande santé », raconte-t-il. Pour se faire la main, Claude débute avec une dizaine de lapins. S’ensuit une décennie d’apprentissage sur le tas. Puisque la ferme ne suffit pas à faire vivre la famille, Claude continue de travailler comme scaphandrier, tandis que sa compagne, Jocelyne, participe activement aux travaux de la ferme.

À l’aube des années 90, la Ferme Besner-Pagé amorce un virage important en s’inspirant des techniques d’élevage des pays européens, qui possèdent une longueur d’avance en la matière sur le Québec. Cette décision fait augmenter d’un coup l’efficacité et la productivité de l’entreprise, qui prend son essor. De nouvelles cages plus faciles à nettoyer et des mangeoires de capacité accrue font leur entrée dans le clapier. Ces modifications diminuent de façon draconienne les manipulations et la charge de travail. L’éleveur ajoute également au confort de ses pensionnaires en doublant la superficie du bâtiment pour un même nombre de lapins. Et pour ces petites bêtes sensibles aux changements de température, il adoucit la ventilation du bâtiment.

De père en fils
Julien Pagé travaille très tôt à la ferme. « Pour avoir goûté à ça jeune, je sais qu’avoir 100 arpents pour se promener constitue une richesse », confie le jeune trentenaire. Dès l’âge de 17 ans, il gérait une bonne partie de l’entreprise. Ses études collégiales en Gestion et exploitation d’entreprise agricole, où il tâte de la production laitière, porcine et des grandes cultures, lui permettent de confirmer son choix. « J’ai su que la production cunicole était faite pour moi », affirme-t-il. Question de ne pas mettre tous ses lapins dans le même clapier, il se forme pour devenir scaphandrier, à l’instar de son père. Il gagne ainsi sa croûte durant sa jeune vingtaine, sans jamais mettre de côté son intérêt pour la ferme. « J’y revenais aussitôt que j’avais du temps libre », raconte Julien. Son arrivée comme associé dans l’entreprise a été officialisée au printemps 2003. Tout comme son père, Julien travaille d’arrache-pied à l’amélioration des résultats technicoéconomiques de la ferme.

C’est dans cette optique qu’il a introduit l’insémination artificielle il y a un peu plus de trois ans. Une économie de 15 à 20 heures de travail…par semaine! « Je ne travaille pas moins, mais je compte les heures travaillées avec le sourire », précise l’agriculteur, qui rénove actuellement les installations pour améliorer l’aspect sanitaire.

« L’agriculture, c’est comme la musique, ça prend un talent naturel. De la passion aussi, mais surtout un cours de débrouillardise 101! »

Plombier, électricien, comptable, fiscaliste, vétérinaire, ingénieur, il ne compte plus les métiers qu’il pratique dans une journée. « Moi, je suis bon en tout, mais expert en rien », avoue-t-il, sourire en coin.

pere_fils2002Justin et Antoine préfèrent encore jouer, mais sont néanmoins très curieux. « C’est important pour moi qu’ils connaissent l’agriculture. Je considère ça comme un épanouissement personnel », explique le fier papa.Julien et sa conjointe, Annie Martel, physiothérapeute, ont trois enfants : Thomas, huit ans, Justin, cinq ans et Antoine, trois ans. Leurs petits mousses participent avec bonheur au quotidien de la ferme.« Thomas aime compter les bébés et les répartir. Il commence même à gérer les employés et à donner des ordres! », s’amuse le père.

L’animal et sa chair
La Ferme Besner-Pagé compte 400 mères et leur suite, des animaux de races Nouvelle-Zélande et californienne, reconnues pour leur bon rendement en viande et leur robe d’un blanc immaculé. L’éleveur favorise toutefois la génétique européenne par le biais de l’importation de lapereaux d’un jour, qui seront intégrés au troupeau reproducteur. Bien que de nature docile, le lapin possède un tempérament qui se module à l’environnement. « Tout est dans la façon dont il est élevé. On n’entre pas dans les bâtiments avec des timbales », illustre Julien, tout en faisant remarquer qu’il ne porte pas trop de marques de morsures et d’égratignures!

Alors que dans la nature le lapin cesse de se reproduire durant la saison hivernale, dans le clapier, les animaux ont droit à l’été à longueur d’année avec 16 heures de lumière quotidiennes. Après une trentaine de jours de gestation, la lapine donne naissance à une dizaine de lapereaux, qui ne pèsent qu’une cinquantaine de grammes, l’équivalent d’une petite souris. Onze jours après la mise bas, la femelle est réinséminée, bien qu’elle demeure avec ses petits pendant 35 jours. À la fin de cette période, maman quitte le nid et déménage dans une autre salle pour poursuivre sa gestation. Une fois les lapereaux sevrés commence alors l’engraissement, jusqu’à ce qu’ils atteignent un poids d’environ 2,5 kg, à l’âge de 10 semaines. À quatre mois, les lapins sont considérés comme adultes et peuvent se reproduire. Une femelle produit ainsi une soixantaine de lapereaux par année.

La routine d’un élevage

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Julien conduit son élevage en « tout plein, tout vide », c’est-à-dire que dans chaque « chambre », les animaux sont regroupés selon leur stade de production et exigent les mêmes soins et manipulations. À la Ferme Besner-Pagé, une chambre contient 68 cages. Chaque jour, Julien fait la tournée visuelle des chambres et s’assure que tous ses pensionnaires ont suffisamment d’eau et de la moulée. Tous les lundis matin, il supervise les mises bas tandis que le jeudi, il s’occupe de l’opération insémination artificielle et sevrage. « C’est une régie qui peut sembler compliquée », admet ce perfectionniste, qui la maîtrise quant à lui parfaitement. Par conviction, l’agriculteur a également fait le choix de ne pas utiliser d’antibiotique, malgré les difficultés que cette pratique occasionne, notamment en ce qui a trait à la mortalité. « Chaque jour, de dois relever un défi technique, sans compter les décisions économiques », ajoute celui dont les journées de travail oscillent entre 12 et 15 heures.

L’entreprise met en marché entre 300 et 400 lapins chaque semaine, vendus au détail par les différents transformateurs de la province. Le produit est offert toute l’année, mais l’automne marque le début de la période pointe, qui s’étend jusqu’en mai. Les festivités de Noël et du Nouvel An, la Saint-Valentin et Pâques constituent des moments particulièrement effervescents pour l’éleveur.

L’originalité dans l’assiette
La chair est une viande blanche, au goût délicat, faible en gras et facile à cuisiner. « Toutes les recettes de poulet peuvent être adaptées au lapin. Il faut juste prendre le temps de cuisiner », explique l’éleveur. À son avis, le lapin constitue un produit de choix pour ceux qui ont le goût de surprendre leurs invités. « C’est sûr qu’ils n’en auront pas mangé la veille! », plaisante-t-il. Quatre personnes peuvent facilement se partager une bête entière, un coût par portion fort abordable. « Une bonne bouffe, avec du bon vin : le lapin, je le situe là! », résume-t-il.

Depuis quelque temps, le marché du Québec offre aux consommateurs de plus en plus de découpes. Malheureusement, les producteurs doivent composer avec la concurrence féroce des produits congelés en provenance d’Europe. En effet, tout n’est pas rose dans le monde du lapin. Au cours des dernières années, les quelque 50 éleveurs ont connu des relations parfois orageuses avec les acheteurs. « Nous n’avons pas réussi à obtenir un noyau de production homogène au Québec », témoigne Julien Pagé. Signe des temps, de plus en plus de producteurs doivent travailler à l’extérieur pour joindre les deux bouts. « Il s’agit d’un constat plus triste », avoue-t-il, lui qui préside le Syndicat des producteurs de lapins du Québec. Ce contexte difficile ne l’empêche pas de regarder droit devant. « Mon objectif a toujours été de ne pas grossir, mais d’exploiter le plus efficacement ce que j’ai. »

Envie de vous lancer?
Pour ceux et celles qui aimeraient tenter l’aventure de l’élevage du lapin de chair, le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ) possède plusieurs ouvrages de référence qui traitent tant de démarrage de la production que d’aspects plus techniques ou de références économiques. La liste peut être consultée sur le site Web du CRAAQ.

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