Conférencière, formatrice et auteure, la semencière Lyne Bellemare a mis en place un programme pour faire revivre la culture du lin textile au Québec.

Tout a commencé il y a 4 ans, quand l’une de ses employées, amatrice de textiles anciens, a apporté à Lyne Bellemare quelques semences de lin, dont la fibre habillait les premiers colons européens. « Pourquoi on n’en ferait pas pousser? » lui a-t-elle proposé.

Il n’en fallait pas plus pour interpeller la passionnée de semences ancestrales.

« Durant la pandémie, on a réalisé que nous étions très dépendants des semences que nous importions pour nous nourrir, mais c’est la même chose pour les fibres textiles », dit Lyne Bellemare, pour qui il est important que le Québec regagne son autonomie à ce chapitre. Photo : BettinaVan Hassen
« Durant la pandémie, on a réalisé que nous étions très dépendants des semences que nous importions pour nous nourrir, mais c’est la même chose pour les fibres textiles », dit Lyne Bellemare, pour qui il est important que le Québec regagne son autonomie à ce chapitre. Photo : BettinaVan Hassen
Le lin de Palestine figure parmi la douzaine de variétés de lins testées par Lyne Bellemare et les participants au Programme de sauvegarde du lin textile.  Photo : BettinaVan Hassen


« Le lin habillait les colons français durant l’été alors qu’on utilisait la laine durant l’hiver. On l’utilisait aussi pour les linges de maison et pour les sacs de farine et de grains, explique la propriétaire de Terre Promise, située à Sherbrooke en Estrie. Toutes les familles en faisaient pousser. »

Après une première année de culture et de recherche sur le sujet, elle s’est mise en frais de trouver des semences québécoises, avant de réaliser… qu’il n’en existait plus. « Les graines de lin n’ont une durée de vie que de deux ans, ça explique pourquoi elles ont disparu », déplore-t-elle. Outre la perte de savoir-faire et de biodiversité, elle souligne également l’enjeu de l’autonomie du Québec.

Durant la pandémie, on a réalisé que nous étions très dépendants des semences que nous importions pour nous nourrir, mais c’est la même chose pour les fibres textiles.

Lyne Bellemare, semencière

Poursuivant ses recherches, Lyne Bellemare a dégoté, dans des banques et auprès de particuliers, différentes variétés de semences d’Europe, des États-Unis et de l’Ouest canadien qui conviendraient au climat québécois. Elle a ensuite lancé le Programme de sauvegarde du lin textile, de culture citoyenne du lin. « Ce n’est pas juste aux semenciers d’assurer la pérennité de tout ça. La population peut aussi jouer un rôle », dit-elle. 

Lyne Bellemare teste différentes variétés de partout dans le monde, qui seraient en mesure de pousser sous nos latitudes, comme le lin de Roumanie (ci-contre). « Les graines de lin n’ont une durée de vie que de deux ans, ça explique pourquoi elles ont disparu au Québec », explique Lyne Bellemare.

Ainsi, les particuliers intéressés sont invités à cultiver chez eux de 5 à 10 grammes de lin sur 1 à 2 mètres carrés. Ils notent ensuite les caractéristiques observées du plant. Afin de combler les frais de gestion, l’entreprise reprend une partie des semences pour les revendre et les citoyens participants conservent l’autre partie. « L’idée pour nous est d’arriver à faire nos frais, explique Lyne Bellemare. Mon objectif est de trouver une variété qui performerait bien au Québec. » La bonne nouvelle, c’est que cette dernière est également parvenue à mettre la main sur des semences québécoises qu’elle fait pousser sur ses terres cette année.

Autre nouvelle réjouissante pour Lyne Bellemare : la cohorte 2024 du programme de sauvegarde est complète, avec 43 citoyens participants. « Il y a trois ans, trois citoyens avaient participé, raconte-t-elle. Je suis agréablement surprise de sa popularité. » 

Lyne Bellemare a en outre appris qu’une filière du lin textile est présentement en développement au Québec. L’histoire a donc des chances de se poursuivre…

Le saviez-vous ?!

Lyne Bellemare tient un blogue dans lequel elle relate l’histoire de différentes cultures québécoises. Voici ce qu’on y apprend sur l’usage et la culture du lin au Québec…

• La culture a fait son apparition sous l’impulsion de l’intendant Jean Talon, qui voulait que la colonie gagne en indépendance et en autonomie, en faisant elle-même pousser du lin et du chanvre.

• En 1749, Pehr Kalm, explorateur, botaniste, naturaliste et économiste agricole, constate qu’on sème du lin partout dans la province. 

• Dans les années 1950, des siècles de culture de lin ont brusquement pris fin, balayés par une fibre bon marché originaire de l’Inde : le coton.

• Les draps d’été neufs étaient raides et piquants. La coutume voulait que ce soient les garçons qui couchent dans les draps neufs, car leurs longs caleçons les protégeaient des égratignures possibles. Quant aux taies d’oreiller, elles étaient faites dans de vieux draps : une toile neuve aurait irrité le visage. Les vêtements de bébé, surtout les couches, étaient confectionnés avec les bonnes parties de serviettes ou de draps usés, pour éviter que les tissus neufs ne blessent la peau fragile du bébé.

• On rapporte que quand un homme voulait se marier, il demandait à sa douce : « Tu veux-tu user un drap de lin avec moi? » 

Source : Terre Promise, Micheline Champoux, Université du Québec à Trois-Rivières, PROVENCHER J. (1996). Les Quatre Saisons dans la vallée du St-Laurent. Éditions Boréal, Montréal, l’Encyclopédie canadienne.