Patrimoine 30 août 2024

Le maïs lessivé, une tradition méconnue, mais bien vivante

Tout le monde connaît le maïs sucré, mais peu de gens ont entendu parler du maïs lessivé. Cette tradition est pourtant plusieurs fois centenaire et elle est propre à la fois aux Premières Nations et aux allochtones. « Ce sont les autochtones qui ont transmis ça aux colons », explique Johanne Paquet Sioui, semencière et agricultrice de la nation wendate, établie dans la région de Québec. Elle cultive le maïs blanc, utilisé pour produire le maïs lessivé.

Johanne Paquet Sioui

Le maïs lessivé est produit à partir d’un maïs blanc à très gros grains qu’on retrouve en différentes variétés. Il est d’abord séché, pour ensuite être réhydraté lorsqu’on est prêt à le consommer. Il est facile à conserver et à transporter. Johanne Paquet Sioui précise que le maïs blanc a plusieurs avantages nutritionnels.

Il contient beaucoup moins de sucre que le maïs sucré. Comme il y a beaucoup de diabète dans notre communauté, c’est un gros avantage, et il contient aussi plus de fibres et de protéines.

Johanne Paquet Sioui, semencière et agricultrice de la nation wendate

Afin de perpétuer et populariser de nouveau cette tradition, la semencière a commencé à cultiver le maïs blanc en 2021, à Saint-Gabriel-de-Valcartier, où elle peaufine sa production. Au départ, elle n’a planté que les deux tiers des semences qu’elle avait. « On n’a planté que les plus beaux grains qu’on sélectionne à la main. » La première étape est de s’assurer d’une régénération des semences, dit-elle, expliquant que les épis de maïs blancs de type iroquoien doivent faire autour de 13 po. Elle teste également l’approche des couloirs solaires, où les rangs sont espacés non pas de 30 po, mais de 60 po.

Sylvain Béland

La tradition du maïs lessivé est également perpétuée par les francophones, dont Sylvain Béland, de Sainte-Ursule, en Mauricie. Ce dernier peut, pour sa part, compter sur des semences plus que centenaires, qui ont été transmises par ses grands-parents. « J’ai commencé à le cultiver il y a dix ans, en prenant la relève de mes cousins », dit cet ingénieur de métier, qui se décrit comme un gentleman farmer. Pour laisser ses terres reposer, il cultive le maïs blanc une année sur deux. Il le transforme également pour en faire le fameux maïs lessivé. « J’utilise la recette de sœur Berthe, qui prend du bicarbonate de soude », dit-il. 

Il vend son maïs lessivé à des personnes âgées. « Elles le mangent revenu à la poêle dans du beurre ou dans de la soupe au pois, précise-t-il. Avant, les gens achetaient du maïs en conserve de marque Maheu dans les épiceries, mais il ne s’en vend plus. »

Johanne Paquet Sioui a aussi comme objectif de lessiver le maïs, ce qu’elle tentera de faire pour la première fois cette année. « Traditionnellement, on utilisait de la cendre pour le lessiver, mais le bois, de nos jours, contient des métaux lourds », explique celle qui est à la recherche d’une méthode optimale de lessivage, qui pourra aussi se faire à large échelle.

Car à terme, son ambition est de produire du maïs lessivé sur une cinquantaine d’hectares. Les terres où elle cultive présentement n’ayant pas la qualité désirée, elle déménagera l’an prochain ses pénates à Saint-Henri de Lévis, où elle poursuivra son rêve. « Même si cela me coûte une fortune […], je réapproprie pour nous cet aliment ancestral. C’est mon héritage : un témoignage de conviction [et de lutte] contre la malnutrition, dit-elle. […] Cultiver sur des dizaines d’hectares, c’est, je crois, la seule façon de régénérer des semences ancestrales afin de se réapproprier des aliments ancestraux. […] Ils sont plus résilients que les modernes. Les cultiver, les vendre, les transformer, faire connaître notre héritage matrimonial et en tirer un profit c’est ce que je souhaite aux prochaines générations. »

Le maïs blanc lessivé étape par étape

Sylvain Béland, de Sainte-Ursule, procède selon les étapes suivantes pour produire son maïs lessivé, aussi appelé nixtamalisation.

  • Épluchage du maïs
  • Séchage des épis
  • Égrainage des épis
  • Conservation des grains à l’abri de l’humidité 
  • Réhydratation des grains en les faisant tremper durant plusieurs heures (comme pour les haricots secs)
  • Lessivage. Cuisson des grains dans de l’eau avec du bicarbonate de soude. Traditionnellement, on utilisait de la cendre, puis de la soude caustique (« Oui, celle qu’on prenait pour récurer! » lance-t-il.)  Retrait de l’enveloppe des grains, qui flottent ensuite à la surface de l’eau.
  • Nouvelle cuisson des grains, à deux ou trois reprises, jusqu’à ce que le goût de bicarbonate de soude ait disparu. 
  • Mise en conserve, sous pression, dans un pot Mason.