Le Festival de la galette de sarrasin se déroule à Louiseville, en Mauricie, pour une raison bien simple : sa proximité avec le lac Saint-Pierre. Le rapport? Chaque année, ce dernier inonde les terres avoisinantes, réduisant de ce fait la durée des cultures. « Le sarrasin pousse très rapidement et c’est parfaitement adapté pour ça », explique Pierre Ricard, qui comme son père, son grand-père, son arrière-arrière-grand-père, y cultive la céréale dans la région… De fait, ils en sont à la 6e génération.

Avec son frère, Pierre Ricard est parvenu à bâtir, en 30 ans, un véritable petit empire du sarrasin.

Son frère Alain et lui ont pris la relève des Jardins Ricard au début des années 1990. Ensemble, ils ont contribué à perpétuer cette tradition, notamment avec la Confrérie des sarrasins, organisation qui s’ingénie à faire découvrir les galettes dans des événements, tant auprès des immigrants qu’auprès des plus jeunes générations. « Les jeunes ne connaissent plus ça! » dit Alain, qui a pris sa retraite il y a quelques mois.

Pourtant, dès les premiers temps de la colonie, cette culture était omniprésente.

Tous les premiers colons en cultivaient parce que c’était facile à faire pousser et nourrissant.

Pierre Ricard

La culture du sarrasin a chuté considérablement au Québec ces cent dernières années, passant de 92 000 hectares (ha) en 1918, à 19 000 ha en 1955 et à 4 000 ha en 1970. Selon Pierre Ricard, cela s’explique entre autres par le soutien à d’autres cultures. « À un moment donné, le gouvernement a donné jusqu’à 300 $ l’hectare aux agriculteurs pour qu’ils fassent pousser du maïs-grain et ç’a attiré beaucoup de gens, dit-il. »

Pierre Ricard y voit également une question d’image. « Le sarrasin a longtemps été vu comme de la nourriture de pauvre. On a juste à penser à la série Séraphin, dit le producteur. Bref, c’était un aliment de pauvre… et de l’ancien temps. » 

Cela dit, le sarrasin a effectué une petite remontée, passant de 4 000 ha en 1970 à 5 400 hectares en 2022. Les deux frères Ricard y ont sans doute contribué, en trouvant le moyen de bâtir, en 30 ans, un véritable petit empire du sarrasin. Ils ont acquis cinq autres entreprises de cultivateurs, de transformateurs et de distributeurs de l’industrie, en mettant notamment la main sur l’autre grande marque de sarrasin Au Moulin Bleu. Ils sont passés de 30 à 250 tonnes de farine vendues annuellement. En plus de leur propre culture du 60 à 90 ha (selon l’ampleur des inondations durant l’année), ils achètent des grains à des cultivateurs de Lanaudière, de Mauricie, du Lac-Saint-Jean et du Bas-Saint-Laurent.

Ça prend un certain volume pour assurer la rentabilité. Le fait d’acheter du sarrasin de plusieurs régions diminue aussi notre risque. Y a toujours une région où ça pousse moins bien. Chez nous, l’an passé avec la pluie, c’était épouvantable.

Pierre Ricard

Question rentabilité, il fait valoir que ce ne sont pas toutes les terres qui offrent le même niveau de profitabilité. « Je suis rentable parce que nos terres sont inondables et valent moins, dit-il. Ça ne serait pas le cas à Saint-Hyacinthe. Mais dans le nord, au Lac-Saint-Jean, par exemple, où les saisons sont plus courtes et où on ne peut pas faire pousser de maïs, c’est rentable», explique-t-il. Selon lui, c’est dans ces régions que la production a des chances de reprendre.

En plus de leur propre culture du 60 à 90 ha, les Ricard achètent des grains à des cultivateurs de Lanaudière, de Mauricie, du Lac-Saint-Jean et du Bas-Saint-Laurent. Photos : Photos : Sophie Lachapelle

L’avenir de l’entreprise semble assuré,  puisque les deux fils de Pierre, dans la vingtaine, y travaillent déjà et comptent prendre la relève. « C’est récent, ça fait environ deux ans qu’ils ont vraiment embarqué. Mais c’est normal. Quand on est plus jeune, on réalise moins la valeur de ces choses-là. » 

Quant à l’avenir du sarrasin lui-même, selon Pierre Ricard, il s’agit d’une culture des plus actuelles. « Comme il pousse très vite, avant même les mauvaises herbes, on n’a pas besoin d’engrais ou d’herbicides, explique le producteur. Il est parfait pour les cultures de rotation qui améliorent la santé des sols et en plus, c’est sans gluten! » 

Dans un récent rapport, l’organisme écologique Équiterre encourageait les gouvernements à miser sur cette culture. L’avenir nous dira si l’organisation sera entendue…

Le saviez-vous ?

  • Traditionnellement cultivé au Népal, en Chine et en Sibérie, le sarrasin, ou blé noir, a fait son apparition en France au XIIe siècle, au retour des Croisés.
    En Amérique, le sarrasin est arrivé avec les premiers conquérants européens.
  • Aujourd’hui, les plus grands producteurs de sarrasin sont la Russie et la Pologne. Dans ces pays, le sarrasin constitue un aliment de base, consommé principalement sous forme de soupe et de porridge. En France, la Bretagne est la région qui produit et qui consomme le plus de sarrasin : elle est reconnue pour ses crêpes de sarrasin. Le Canada et les États-Unis sont aussi d’importants producteurs. Une très grande proportion de leur production est exportée en Asie, grand consommateur de pâtes alimentaires à base de sarrasin : le soba.
  • Il est souvent considéré à tort comme une céréale à cause de son importance dans l’alimentation et de son appellation courante « blé noir ».
  • Contrairement à son nom, le sarrasin n’a rien du blé. Il s’agit d’une plante annuelle à fleurs et appartient aux polygonacées.
  • Comme le sarrasin est sans gluten, il n’est pas panifiable, d’où l’intérêt d’en faire notamment des galettes.
  • Le sarrasin concassé ou entier rôti, nommé « kasha », consommé surtout en Europe de l’Est, acquiert une saveur et une coloration plus prononcées. En Amérique, le sarrasin est surtout transformé en farine.