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C’est en 1953 que Patrick Paré s’est installé sur une ferme défrichée par des Irlandais à Saint-Pierre-de-Broughton. Avec son épouse, Rita Roy, il y a élevé ses quatre enfants. C’est aussi ici qu’il s’est révélé être un fin patenteux, un bâtisseur qui a multiplié les projets au fil des ans.
À l’origine, la ferme, typique, comptait quelques vaches laitières, des porcs et une érablière. Les 60 hectares cultivés permettaient d’alimenter les animaux. Mais ce qui intéressait avant tout Patrick, c’était la forêt. C’est pourquoi l’agriculteur a régulièrement acquis des lots de bois, quand une bonne occasion se présentait, tout en exploitant l’érablière attenante à la ferme. « Ce qui a été le moteur de la ferme, explique-t-il, c’est ma stratégie d’acheter des lots déboisés et d’y planter des sapins de Noël. »
Après 25 ans d’élevage et de culture des sols, en 1978, Patrick Paré tirait suffisamment de revenus des sapins de Noël et des autres ressources forestières pour s’y consacrer exclusivement. Bois pour la pâte ou pour le sciage, selon le marché, et bois de chauffage ont toujours été en production. L’érablière a aussi connu un important développement : de 2000 entailles à ses débuts, elle en compte maintenant 7000. Et elle est sous tubulure depuis 30 ans!
Les premières patentes
D’aussi loin qu’il se rappelle, notre patenteux a toujours aimé fabriquer des outils et autres objets utiles. « Je me souviens d’avoir chauffé le poêle à bois de la cuisine au rouge pour pouvoir travailler le fer! C’est à la chaleur du poêle que j’ai forgé un crochet à pitoune, possiblement ma première réalisation. » Notre patenteux nous exhibera d’ailleurs ce crochet historique plus tard dans la visite. Une panoplie d’outils qu’il a fabriqués ou transformés ont d’ailleurs contribué à leur façon à la réalisation de ses projets.
Il se souvient aussi que sur la ferme paternelle, il jouait, même tout jeune, le rôle d’homme à tout faire. Il a réparé les attelages et ferré les chevaux, les tracteurs de l’époque! Un de ses plus amusants souvenirs lui vient de son adolescence. « J’avais 15 ans, et mon père venait d’acheter sa toute première voiture, une Chevrolet 1938. Il en avait l’usage exclusif, d’autant plus qu’il n’y avait qu’une clé pour la faire démarrer. À l’insu de mon père, j’ai toutefois réussi à m’en sculpter une copie. Au lieu de se fâcher, mon père a dit que si j’étais assez habile pour me fabriquer une clé, je devais bien être en mesure de conduire la voiture! »
Comme beaucoup de fils d’agriculteurs de l’époque, Patrick a passé plusieurs hivers dans les camps de bûcherons. Ces séjours dans la nature sauvage ont aiguisé son sens de la débrouillardise. Il raconte, par exemple, comment il a réussi à récolter des arbres inclinés vers un ravin sans en perdre un seul, au grand étonnement du chef de chantier. Il y a également développé un talent pour la construction. Un talent qu’il a ensuite mis à contribution à sa ferme.
Notre patenteux nous montre d’ailleurs une photo où on le voit devant un hangar à machinerie qu’il a construit avec ses jeunes frères en 1945 et qui tient encore fièrement debout. Beaucoup plus récemment, il a construit pour un voisin un garage d’inspiration européenne. Ce type de bâtiment compte des porches sous lesquels on peut travailler dehors à l’abri des éléments.
Une érablière modifiée
Patrick Paré récolte et transforme l’eau d’érable depuis des décennies. Il fut l’un des précurseurs du système à tubulure, il y a maintenant une trentaine d’années. Son esprit novateur lui a permis de transformer ou d’améliorer plusieurs équipements. Par exemple, il a converti son évaporateur du bois à l’huile. Profitant de l’occasion, il l’a équipé d’une sonde avec interrupteur pour couper automatiquement le brûleur en cas de manque d’eau.
Le moteur diésel qui actionne la pompe à vide produit aussi l’électricité alimentant la pompe du réservoir principal, l’activant lorsqu’une autre sonde indique qu’il est plein. Soulignons que le moteur électrique en question provient du compresseur d’un climatiseur d’automobile. Cette habile récupération n’est qu’une des nombreuses que nous montrera notre patenteux lors de notre visite. Avouant fréquenter les centres de récupération, il y trouve souvent, comme par magie, une pièce qui s’insère parfaitement dans l’un de ses projets. En voici une autre illustration : devant la cabane à sucre, une ancienne citerne de lait en acier inoxydable sert maintenant de réservoir pour l’eau d’érable.
Un soin particulier a été apporté à la conception du réseau de tubulure et des collecteurs. Une des idées les plus intéressantes consiste sans contredit en l’ajout, au bout des lignes de collecteurs, de ressorts de capots d’automobiles. « Quand une branche tombe, le ressort absorbe la secousse, explique notre patenteux, ça réduit considérablement les dommages. »
Dans la cabane à sucre, une table accueille toute une panoplie d’outils, certains inventés ou modifiés, servant à assembler les tubulures et les collecteurs. On y reconnaît une ancienne bouchonneuse à bouteilles de vin servant maintenant à fixer les sections de tubulure aux raccords. Dans un même ordre d’idées, notre patenteux a doté la cabane à sucre de deux treuils, qui lui simplifient la vie. L’un d’eux, muni d’un contrepoids, sert à soulever le dôme de la bouilleuse lors des opérations d’entretien. Le contrepoids allège la charge, et un double système d’ancrage assure qu’elle ne retombera pas sur la personne qui travaille dessous. L’autre treuil, emprunté à une tente-roulotte, seconde l’acériculteur dès qu’il doit soulever une charge trop lourde.
Être patenteux, c’est aussi appliquer des techniques innovatrices dans ses activités agricoles. On doit ainsi souligner que Patrick Paré a été un des premiers au Québec à fertiliser son érablière avec les cendres des brûleurs. « Avec les années, ça fait une différence. J’ai des érables qui ont retrouvé la santé grâce à cet amendement. » Il a aussi procédé à plusieurs opérations de drainage forestier dans son érablière. On aperçoit d’ailleurs un peu partout de ces ponceaux construits avec des tuyaux de béton solidement arrimés ensemble avec un câble d’acier. Les chemins forestiers, l’équivalent de six kilomètres, ont été tracés de façon à favoriser l’écoulement de l’eau et à valoriser des zones à fort potentiel de rendement. Pour entretenir ses chemins, il a adapté une faucheuse horizontale pour tailler les arbres verticalement. Autrement, la végétation envahirait les voies d’accès.
Des outils à sa main
Puisqu’il passe beaucoup de temps dans son atelier, notre patenteux s’est peu à peu équipé de tous les outils nécessaires à la réalisation de ses projets. Il lui arrive ensuite de les modifier, selon ses besoins. C’est d’ailleurs pour une raison de sécurité qu’il a doté sa perceuse à colonne d’un interrupteur contrôlé par le pied. « Quand on travaille avec les deux mains, il est dangereux de lâcher la pièce pour couper l’alimentation, en cas de problème. Avec un interrupteur au pied, dès que je sens qu’il peut y avoir un problème, je lève le pied et la perceuse s’arrête. »
Quand il ne travaille pas dans son atelier, on peut deviner que notre patenteux se trouve quelque part dans un de ses lots de bois. Il a passé le flambeau des opérations forestières et acéricoles à son fils il y a quelques années, mais pas question pour lui de quitter cette forêt qu’il aime tant.
Notre lecteur devinera que pour aller dans le bois, notre patenteux a su s’équiper à sa façon. Son VTT est muni d’une banquette, qu’il peut retirer simplement en enlevant des goupilles. Cette conversion rapide du véhicule le fait passer du mode balade à celui du travail en forêt en un tournemain.
Les plus beaux exemples de conversion sont probablement les deux tracteurs Oliver, que Patrick Paré a modifiés à son goût. Achetés neufs il y a quarante ans, ces tracteurs agricoles, deux pièces de collection, travaillent encore, cette fois dans le bois, avec la puissance des premiers jours! Pour leur ouvrir les chemins forestiers, notre patenteux a ajouté des gardes, en dessous, pour en protéger les pièces névralgiques. Il a aussi construit sur l’un une cage de sécurité, et une cabine renforcée sur l’autre. Puisque ces tracteurs sont appelés à accomplir des tâches telles qu’activer un treuil, une chargeuse ou encore une fendeuse, M. Paré a pensé installer un contrôle de l’alimentation du moteur à l’arrière.
« Quand le système hydraulique exige plus de puissance, je peux contrôler les révolutions du moteur à distance, sans avoir à remonter dans la cabine. C’est beaucoup plus pratique et sécuritaire de cette façon. »
Pour ces mêmes raisons, il a doublé les commandes sur la chargeuse, afin de contrôler les opérations d’un côté comme de l’autre. « Ça évite de faire le tour du chargement », explique le forestier. Achetée il y a cinq ans, cette chargeuse à bois a subi d’autres modifications. Patrick Paré l’a avant tout pourvue de gardes * protégeant les raccords du système hydraulique, afin de les protéger lors du travail en conditions difficiles.
* Ajout : Selon la compagnie Woody, le modèle présenté ci-dessus serait plus âgé que mentionné. Il aurait plutôt 15 ans. Soulignons que depuis, la compagnie Woody a doté toutes ses machines de telles gardes.
Le second tracteur Oliver, un modèle 1975 à quatre roues motrices, portait la fendeuse, lors de notre passage. On remarque sur cet accessoire une tablette bien pratique, évitant à l’opérateur de se pencher constamment pour prendre les bûches à refendre. Cette plaque d’acier inoxydable fait partie des trouvailles extirpées par notre patenteux d’un centre de récupération des métaux.
Ce tracteur est aussi doté d’une commande de puissance du moteur sur l’aile arrière. Le câble reliant le levier à l’intérieur de la cabine a simplement été extrait du système de freinage d’une automobile.
Comme tout bon producteur agricole, Patrick Paré possède une remorque polyvalente. Il admet d’entrée de jeu ne pas l’avoir construite lui-même, mais en avoir passé la commande à un ami, qui l’a exécutée selon ses propres spécifications. Comme il l’explique, avec ses côtés amovibles et ses roues en tandem, la remorque peut servir à plusieurs fins, tant pour le transport du bois en longueur ou du bois de chauffage que pour celui de la terre et du sable en vrac.
La parcours de notre patenteux se dessine sur 80 ans. Éleveur et producteur, il demeure aujourd’hui intensément actif, alors que son fils a pris la relève des opérations forestières et acéricoles. Il faut dire que M. Paré a toujours été un homme engagé. On le compte parmi les fondateurs du Regroupement forestier de Lotbinière. Il s’est toujours impliqué dans sa communauté, travaillant même à la réfection de l’église du village. « J’ai fait un peu de tout dans ma vie, résume notre patenteux. Souvent, les gens m’ont demandé de trouver des solutions à des problèmes techniques, et j’y suis toujours parvenu. »
Patrick Paré tire une légitime fierté de voir comment les bâtiments et les machines qu’il a construits traversent l’épreuve du temps. Normal quand on a mené une vie de bâtisseur!