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À la recherche du temps perdu
À la Ferme laitière du Ruisseau, à Saint-Hermas, Dominic Daoust est seul maître à bord. Pour lui, être en mesure de s’occuper d’un troupeau de 155 vaches laitières relève avant tout d’une question d’efficacité. Les deux machines qu’il nous présente visent justement à répondre à sa recherche du temps perdu.
C’est en 1999 que Dominic rachète la ferme paternelle, devenant ainsi le représentant officiel d’une quatrième génération de Daoust à y produire du lait. Derrière cette relève se cache tout un historique, puisque la ferme a fait partie des terres expropriées en prévision de la construction de l’aéroport de Mirabel, en 1969. Durant une décennie d’incertitude, aucun investissement n’a été fait dans les bâtiments et la production a même cessé pendant six ans.
Incapable d’envisager une vie sans production laitière, la famille Daoust a acheté une ferme, tout juste hors de la zone expropriée, pour y transférer ses opérations, en 1980. La décision de rétrocéder les terres à leurs propriétaires, notamment une importance communauté de producteurs agricoles, a permis à la famille Daoust de réintégrer la Ferme du Ruisseau en 1989. À ce moment-là, des investissements importants dans les bâtiments ont permis de moderniser les installations.
Un développement rapide
Dix ans plus tard, après avoir passé toute sa vie à soigner les animaux et à s’occuper des champs, Dominic Daoust a officiellement pris possession des lieux. Digne représentant de la relève, le jeune producteur s’est alors lancé dans une phase d’expansion accélérée. « Entre 1999 et 2009, nous sommes passés d’un quota de 36 kilos à 109 kilos par jour de matière grasse, explique le producteur laitier. Avec un tel investissement, je n’avais pas beaucoup d’argent pour acheter de l’équipement, ou même pour embaucher de la main-d’œuvre. » Aujourd’hui, il reçoit un coup de main d’un employé à temps partiel, mais c’est Dominic qui accomplit encore l’essentiel des tâches.
Un Segway dans l’étable
Pousser le fourrage devant les animaux et retirer les refus chaque matin représente une opération fastidieuse pour un homme seul. Il faut pousser avec une gratte le long de la barrière d’alimentation et refaire l’opération cinq ou six fois par jour. Dominic songeait à une façon plus simple d’accomplir cette tâche, mais n’arrivait pas à trouver la solution. Un tracteur à gazon modifié aurait peut-être fait le travail, mais il le trouvait encombrant et peu agile dans son étable où les animaux sont entravés.
C’est en visionnant le film Le Flic du Mail, avec ses filles, que l’illumination s’est produite. Dans ce film, l’acteur principal, Kevin James, effectue ses rondes sur un Segway. Ce véhicule électrique à une place permet de se diriger en déplaçant le poids de son corps. En soi, il s’agit d’une invention qui a beaucoup fait jaser, mais dont la commercialisation est quelque peu limitée à cause de son coût élevé. S’il pouvait mettre la main sur un modèle usagé, pas trop cher, il ne faisait aucun doute dans l’esprit de notre patenteux qu’il pourrait en faire un outil de travail dans son étable.
Un Segway dans l’étable
« J’ai eu la chance d’en trouver un à Saint-Hyacinthe avec des pneus surdimensionnés, explique Dominic. La première chose que j’ai validée avant de l’acheter, c’était sa puissance. Puisque je voulais non seulement me promener, mais aussi lui faire accomplir des tâches, je voulais m’assurer qu’il avait suffisamment de puissance pour le faire. »
Une fois convaincu, il a versé 4000 $ pour son nouveau jouet et l’a transporté dans son atelier pour lui faire subir une greffe inattendue. « Mes cousins doutaient ouvertement du résultat, rappelle-t-il avec un sourire. Pourtant, le prototype a fonctionné du premier coup et il roule encore après deux ans et demi. »
Dominic Daoust a bien étudié la machine, portant le nom technique de gyropode, avant d’intervenir. Il lui a construit un châssis supplémentaire, solidement arrimé sous le véhicule, et l’a dotée d’une gratte en aluminium. Ce choix de matériau assure une bonne solidité à l’assemblage tout en le gardant assez léger pour ne pas nuire au fragile équilibre du Segway. En fait, selon notre patenteux, la lame avant lui confère même une stabilité supplémentaire.
Un véhicule polyvalent
On a droit à une touche futuriste alors que notre patenteux nous montre comment il se sert de son Segway pour pousser l’ensilage devant ses vaches.
Un simple levier permet de soulever la lame lors des manœuvres. Reposant sur un support flexible, elle peut facilement suivre le contour des murets et aussi s’adapter aux dénivellations du plancher de l’étable. Des bandes d’usure en téflon permettent une opération tout en douceur.
Pour réaliser la lame, inspirée de ses observations d’un camion de déneigement, Dominic a eu droit à un coup de main de son cousin, prénommé Dominic aussi, machiniste de profession. Deux chaînes ajustables permettent de donner un angle à la lame, selon les travaux à réaliser.
Après plus de deux ans d’activités intenses, le Segway ne lui a jamais fait faux bond. Les deux batteries qui alimentent le moteur électrique ont suffisamment d’autonomie pour garantir une grosse journée de travail. Tous les soirs, la machine est branchée au chaud, le Segway n’aimant pas le froid, cela étant son seul inconvénient.
C’est avec enthousiasme que Dominic nous fait une démonstration de son étrange véhicule. Il explique en même temps que quelques heures suffisent pour se familiariser avec son maniement. Dans son étable, il doit toutefois se méfier du revêtement de céramique des dalots d’alimentation, qui peuvent devenir glissants quand ils sont humides.
Au Salon de l’agriculture, tenu à Saint-Hyacinthe en janvier dernier, le représentant des ventes de l’entreprise Équipements Pierre Champigny d’Acton Vale, distributeur des Segway pour le Québec, Hugo Bertrand, nous a montré un appareil doté d’une lame sur le même principe que la machine de notre patenteux. Il a souligné s’être inspiré de celle de Dominic Daoust, présentée sur Youtube il y a quelques mois. Il compte intéresser les producteurs laitiers à en faire l’acquisition. Notre patenteux ne s’offusque pas de ce rebondissement, au contraire. « Je pense que cette machine peut être utile aux producteurs laitiers, explique Dominic. Je me suis même offert pour lui donner des conseils pour améliorer sa version. » Mais selon le patenteux, acheté neuf, le Segway pour étable représente une facture un peu salée.
Un épandeur à ripe maison
Pour la litière des vaches, la Ferme du Ruisseau utilise un mélange de ripe de bois et de paille de soya. Deux fois par jour, on ajoute de la litière sous les vaches. Encore une fois, il s’agit d’une opération exigeante en main-d’œuvre. Longtemps Dominic Daoust s’est demandé comment accélérer le processus.
Une machine efficace
Notre patenteux nous montre comment il utilise son épandeur à ripe dans l’étable.
C’est en observant un dérouleur à balles rondes hors d’usage, rangé dans la remise, qu’encore une fois notre patenteux s’est écrié Euréka! Il allait transformer cette machine retraitée en un épandeur à ripe. Finis la pelle et le chariot. Cette fois, avec cette nouvelle création, épandre une bonne couche de ripe sous les ruminantes prend cinq minutes. Puisque la ferme utilise une grande quantité de litière, elle ne pouvait considérer utiliser le chariot d’alimentation à cette fin.
Un épandeur maison
Comment un dérouleur à balles rondes est devenu un épandeur à ripe.
Pour réaliser l’exploit de couvrir l’étable en cinq minutes, le dérouleur a été complètement démonté, le châssis a été rallongé et une boîte toute neuve reconstruite par le père du patenteux, spécialiste en ferblanterie. La voiture est remplie avec un chargeur. Il fallait une bonne capacité puisque de grands volumes de ripe sont utilisés à la Ferme du Ruisseau. Le pont mène la litière vers une vis qui tombe sur un disque épandeur qui, lui, souffle la litière en place.
« Nous avons conservé le système hydraulique du dérouleur afin d’actionner la vis que j’ai ajoutée. Il a fallu beaucoup d’ajustements pour monter le moteur au bon rythme afin de s’accommoder d’un pont plus long. » Le système de disque épandeur a toutefois été acheté, tel quel, d’un fournisseur. Notre patenteux a dû le positionner et le doter de déflecteurs flexibles pour bien diriger le jet de ripe sous les animaux.
Avec cette machine, une corvée qui mobilisait deux personnes pendant près d’une demi-heure peut être complétée par un seul opérateur en cinq minutes.
Si, pour l’instant, ce sont les deux seules machines que notre patenteux avait à nous montrer, il nous laisse partir en soulignant songer rendre plus performant son système de traite. « Mon objectif principal reste de sauver du temps. Pour y arriver, j’analyse longtemps. Mais quand mon idée est faite, ça va rondement », lance Dominic Daoust en guise de conclusion à cette visite.