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De la ferme La Côte des Bouleaux, à Saint-Irénée, dans Charlevoix, on profite d’une vue imprenable sur le fleuve. Est-ce cette vue qui inspire notre patenteux? Peut-être. Carol Bouchard nous répondra plutôt que c’est bel et bien la nécessité qui est la mère de ses inventions.
La ferme familiale a été fondée dans les années 1920 par le grand-père de Carol. Elle couvre 160 hectares, auxquels s’ajoutent des terres en location pour atteindre une superficie totale d’environ 200 hectares. La famille y pratique la culture de divers légumes, notamment celle de la pomme de terre, et l’élevage de bovins de boucherie. Une partie des terres est formée de boisés, dont on tire du bois de chauffage et, quand le marché s’avère propice, du bois de papeterie. Trois serres sont consacrées à la culture de tomates biologiques. Comme au temps de sa fondation, la ferme où travaillent Carol Bouchard et son frère Serge puise ses revenus de diverses sources. La mère et le père de notre patenteux, Laurent, fournissent encore une aide active à la ferme et demeurent de précieux conseillers.
Assis à la table de la cuisine, les deux frères expliquent comment ils exploitent la ferme, qu’ils se partagent désormais en parts égales. Serge, diplômé en gestion agricole à l’ITA de La Pocatière, se charge des tâches administratives, des livraisons, de la production maraîchère et du suivi du troupeau. L’hiver venu, il se joint à son frère dans leurs activités de déneigement commercial.
De son côté, Carol était tout désigné pour s’occuper de la machinerie, avec ses études en mécanique diesel. Si les tâches se croisent au rythme des saisons et des besoins, il ne fait aucun doute que lorsqu’il est question de patentes, c’est lui qui tient le haut du pavé. Sa fibre patenteuse semblerait pourtant héréditaire! Son père, Laurent, a construit de ses mains tous les bâtiments de la ferme et, témoigne Carol, il passait de longues heures à « brasser dans le garage ».
Cela dit, le représentant de la nouvelle génération a poussé ce type de bricolage au niveau de l’art. En appliquant ses connaissances techniques aux besoins de sa ferme, Carol Bouchard a produit des machines assez impressionnantes. Certaines sont simples, d’autres relèvent de la pure ingénierie et toutes ont en commun d’avoir été fabriquées à partir de composantes usagées souvent tirées d’autres machines agricoles.
Des équipements de déneigement
C’est en s’amusant avec des pièces de fer que le tout jeune Carol a construit son premier accessoire. Il n’a pas de souvenirs d’avoir fabriqué des machines pour son plaisir, mais plutôt d’avoir dès le départ consacré des énergies à des machines pratiques. Des râteaux dérocheurs et des grattes pour le déneigement ont constitué ses premières réalisations. Pour commencer la tournée de ses machines agricoles, il nous montre d’ailleurs la lame de déneigement qu’il a fabriquée il y a plusieurs années et qui sert encore à la ferme. Portée sur le trois points du tracteur, la lame peut être relevée par l’opérateur à sa guise. De plus, des bras d’ajustement latéraux permettent de changer l’angle d’attaque de la lame pour chasser la neige d’un côté ou de l’autre du tracteur.
Les frères Bouchard offrent le service de déneigement à des particuliers et à des entreprises de la région. Certaines entrées en gravier causaient des problèmes de projection de roches lors du déneigement puisque la lame, surtout en début de saison, travaillait trop proche de la surface. Pour corriger cette situation, le patenteux a muni le souffleur de deux roues en métal pouvant élever le niveau de travail de façon hydraulique. Le souffleur peut ainsi déneiger sans toucher le gravier. M. Bouchard a opté pour des roues en métal pour la bonne raison qu’elles éliminent les risques de crevaison. Lors du déneigement de surfaces pavées, les roues sont simplement relevées grâce à une commande placée dans la cabine du tracteur. Un système simple, mais efficace.
La production maraîchère représente souvent un terreau fertile pour l’innovation. La ferme La Côte des Bouleaux en fournit un bel exemple. Pour travailler les parcelles, un antique rotoculteur a été modifié de telle façon qu’il peut porter divers outils de préparation de sol. Une lame permet de tracer les sillons pour le semis. Un autre outil sert à renchausser les rangs. Et finalement, le producteur peut se servir de son moteur pour alimenter une pompe hydraulique actionnant l’enrobeuse stationnaire. « Elle était trop usée pour travailler, et pourtant on lui a donné une deuxième vie », résume notre patenteux.
Certaines graines ont un calibre hors normes pour un semoir conventionnel. C’est le cas des gourganes. La solution est venue à l’esprit de Claudia, la compagne de notre patenteux, qui lui accorde d’ailleurs tout le mérite. Il s’est empressé de concrétiser cette idée de semoir manuel. Il a coupé les extrémités d’un baril en plastique pour les réassembler en retirant la majeure partie du cylindre central. Il a relié cet assemblage à des poignées. Des trous, dont la dimension est ajustable par simple rotation, permettent aux graines de tomber dans le sillon ouvert par le rotoculteur. Le producteur n’a alors qu’à passer son semoir, comme une roulette, et les graines tombent en place. Là où il y a des manques, il complète l’opération à la main. Cette idée est probablement venue à sa compagne parce qu’elle a dû effectuer elle-même la tâche manuellement!
La manutention des pommes de terre récoltées à la ferme représente elle aussi une corvée éreintante. Pas étonnant de constater le nombre de convoyeurs et de voitures patentées destinés au transport et au conditionnement des tubercules.
Une grande remorque à patates a été fabriquée sur un châssis d’autobus scolaire. Un convoyeur d’épandeur à fumier a été récupéré et, actionné par la prise de force du tracteur, sert à décharger la remorque vers la cave. Des lattes de bois sont graduellement retirées au rythme de la vidange de la voiture. « L’ajustement de la vitesse du convoyeur, que je voulais synchroniser avec celle du convoyeur qui descend à la cave, a été un véritable casse-tête, explique Carol Bouchard. Il a fallu en décommander la vitesse avec une transmission pour y arriver. »
Pour réduire la manipulation des pommes de terre dans la cave, la même approche a été développée à grand renfort de convoyeurs. Un crible simple se trouve à la base de la chaîne, permettant de retirer du lot les patates trop petites. Elles seront hachées par une machine de conception maison, utilisant le mécanisme d’une ancienne batteuse à grain, avant d’être données aux vaches, qui en raffolent.
Amusante invention
Parfois, résoudre un problème donne des résultats pour le moins surprenants. Un passage dans les serres nous en fournit une solide illustration. « Nous faisons notre propre compost à partir du fumier du troupeau, explique Carol Bouchard. Mais la texture manque d’uniformité. Il faut alors tamiser le compost pour pouvoir l’utiliser. » C’est la cuve d’un ancien séchoir à linge qui a fourni la solution. Le cylindre grillagé est mis en rotation par un petit moteur électrique (petit moteur qui, soit dit en passant, est amovible, ce qui lui permet d’actionner au moins trois machines différentes à la ferme). Le producteur n’a qu’à jeter des pelletées de compost dans la cuve qui, en tournant, laisse passer le compost fin, mais éjecte les trop gros morceaux.
Dans l’étable cette fois, c’est le couteau à balles rondes conçu par notre patenteux qui nous a tiré un sourire. Ce qui nous amuse, c’est qu’on reconnaît facilement une dent de faucheuse rivetée sur un manche en acier. « J’en avais assez des couteaux achetés en magasin qui cassaient constamment ou qui s’usaient trop rapidement quand je coupais les cordes de mes balles », tranche, c’est le cas de le dire, M. Bouchard.
Travaux lourds
Certains équipements fabriqués par notre patenteux sont très simples, mais n’en font pas moins un bon travail. Par exemple, il a construit deux rouleaux pour compresser le sol après les semis. Pour tirer les rouleaux, il a assemblé un attelage qui double la surface de travail. Le montage fonctionne si bien qu’un voisin l’emprunte régulièrement pour compresser ses propres champs.
Si la beauté des paysages de Charlevoix en a fait la réputation, on réalise, à y regarder de plus près, qu’il s’agit souvent de terres de roches. C’est le lot de La Côte des Bouleaux. Chaque printemps annonce le retour de la corvée de roches. Pour extirper du sol les plus costaudes, M. Bouchard utilise sa rétrocaveuse. Pour une meilleure prise, il a ajouté un « pouce » au godet, pour bien les saisir les roches, comme le ferait une main. Le pouce est fixe, le godet se rabattant sur lui pour compléter la prise. Le patenteux le trouve bien pratique aussi pour ramasser des branches ou du fumier sur paille.
Mais la machine la plus impressionnante vue sur place est certainement le ramasse-roches mécanique mis au point l’an dernier. La machine est traînée derrière le tracteur, reposant sur le trois points. Cet attelage permet de soulever ou d’abaisser l’angle d’attaque de la machine pour travailler en pente ou sur un terrain plus accidenté. Un peigne robuste gratte le sol à la profondeur désirée. Lorsque suffisamment de roches ont été récoltées, un piston hydraulique fait basculer le peigne vers l’arrière, où il se vide de son contenu dans un grand godet de chargeuse. L’opérateur peut alors poursuivre sa récolte. Une fois le godet rempli, le producteur peut aller le vider où il le souhaite, à l’aide d’un duo de pistons hydrauliques. La mise au point de cette machine a demandé beaucoup de patience et de réflexion. « Je pense souvent et beaucoup, explique le patenteux. Mais je suis toujours ouvert aux idées des autres. Malgré tout, il m’arrive de me tromper. Le prototype de cette machine n’a tout simplement pas fonctionné. » Pour la petite histoire, soulignons que la machine a été construite en partie sur le châssis d’une faucheuse conditionneuse. Un appareil que le patenteux avait vendu à son voisin, qui en avait un identique et qui voulait en récupérer les pièces. Le patenteux a racheté la base pour réaliser son projet.
Des accessoires polyvalents
Carol Bouchard aime bien pouvoir se servir du même équipement à plusieurs fins. Quand il s’attelle à un nouveau projet, il garde cette idée à l’esprit. Ainsi, il a mis au point un système d’attache rapide pour deux de ses tracteurs. Ce système lui permet de changer rapidement l’outil, passant du pic à balles aux fourches pour soulever des palettes de sacs de patates, ou encore aux pinces à balles.
La voiture à foin, construite sur un robuste châssis de camion, sert à transporter les balles rondes en saison, mais elle se transforme également pour déplacer des billots de bois, tirés du boisé familial. « Pour faire la conversion, on n’a qu’à ajouter des poteaux boulonnés amovibles », explique le patenteux. Puisque cette remorque emprunte les voies publiques, elle a été dotée de feux clignotants arrière. La sécurité des opérateurs, tout comme celle des automobilistes, est assurée.
L’aspect sécuritaire des machines de notre patenteux lui tient à cœur, même si quelquefois, souvent pour faciliter les ajustements, il attend la version définitive de son prototype pour ajouter les gardes nécessaires. Malgré cela, par leur nature, certaines machines demeurent dangereuses, et Carol Bouchard s’en sert avec précaution.
Le concept de la combinaison d’outils, on peut l’observer dans un autre bâtiment. Dans cette étable froide, des cloisons suspendues facilitent grandement le déplacement du troupeau et un rideau rétractable coupe les vents cinglants du nordet. Le patenteux y a aussi installé une cage de contention, construite sur une ancienne balance. Il peut ainsi faire deux opérations à la fois. Le système de retenue de la cage repose sur un cric d’automobile. Une fois le loquet bloqué, l’animal ne peut plus dégager sa tête.
Le père de notre patenteux, Laurent, nous montre la dernière patente de notre visite. Il s’agit d’une fendeuse résultant du mariage d’un engin stationnaire et du piston d’un camion. Les roues de l’engin stationnaire sont entraînées par le moteur électrique multiusages présenté plus haut. C’est ce piston, dans son mouvement d’aller-retour, qui fend le bois. La machine fait peur et, à cause de sa cadence rapide, seuls les membres de la famille l’approchent.
Carol Bouchard, éleveur, serriculteur, producteur maraîcher et forestier, a ainsi su, au fil des ans et de son inspiration, garnir sa cour d’une impressionnante panoplie de machines pour l’aider dans ses multiples tâches. « Je suis bien content de mes réalisations, avoue-t-il modestement, et il n’est pas dit que je n’en fabriquerai pas d’autres. Ça va dépendre des besoins qui se manifesteront. » Un projet à venir? Un dérouleur à balles rondes. Nous allons laisser notre patenteux y penser un peu…