Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
Des producteurs de fruits et légumes de la province ont appris avec surprise et incompréhension, le 6 février, que la rémunération plancher à verser à la main-d’œuvre étrangère agricole, à compter du 1er mai 2024, surpassera de 0,27 $ l’heure le salaire minimum qui sera en vigueur au Québec.
« De mémoire, je pense que c’est arrivé une fois ou deux avant 2010 que le salaire agricole soit légèrement plus élevé. On ne voit jamais ça », s’étonne Guy Pouliot, important producteur de fraises à l’île d’Orléans qui possède sa propre agence de recrutement.
Chaque année, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) du Québec établit le salaire plancher à offrir aux manœuvres et aux ouvriers recrutés par l’entremise du Programme des travailleurs étrangers temporaires (TET) agricoles du fédéral.
C’est toutefois le salaire minimum en vigueur au Québec qui est normalement versé à cette main-d’œuvre, puisqu’il surpasse toujours, après l’indexation du 1er mai, celui établi spécifiquement pour les TET agricoles.
Or, le 6 février, une semaine après que le ministère du Travail ait annoncé que le taux général du salaire minimum au Québec sera ajusté à 15,75 $ l’heure le 1er mai prochain, le MIFI a laissé savoir, à la surprise générale, que le salaire minimum agricole, à pareille date, sera plutôt augmenté à 16,02 $ l’heure.
Guy Pouliot, qui embauche près de 290 TET, reçoit la nouvelle comme un coup de massue. « Quand j’ai appris que le salaire minimum passait de 15,25 $ l’heure à 15,75 $ l’heure, je ne trouvais pas ça si pire, dans les circonstances. Mais là, à 16,02 $ l’heure, je ne comprends rien. C’est une hausse de 0,77 $ qui s’ajoute à l’augmentation déjà importante de 1 $ de l’année passée. Le MIFI est complètement déconnecté de la réalité, considérant en plus tous les services qu’on paie aux travailleurs étrangers comme le transport et le logement », rappelle le 1er vice-président de l’Association des producteurs de fraises et framboises du Québec.
Inéquitable
La productrice maraîchère Catherine Lefebvre, de Saint-Michel, en Montérégie, qui embauche à la fois des travailleurs étrangers et locaux, est également d’avis que cette décision est un non-sens. « Nous, dans nos fermes, on est soumis à l’équité salariale », fait valoir celle qui est aussi présidente de l’Association des producteurs maraîchers du Québec (APMQ).
Un calcul différent
Le 1er mai 2024, la rémunération plancher à verser aux TET agricoles augmentera de 5,08 %, ce qui correspond à la variation de l’indice moyen des prix à la consommation au Québec, excluant les boissons alcoolisées, les produits du tabac et le cannabis récréatif pour la période de 12 mois qui s’est terminée le 30 septembre. C’est ce qu’explique sur son site Web le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). Le salaire minimum en vigueur au Québec augmentera, pour sa part, de 3,28 %, soit une hausse « plus élevée que l’inflation anticipée pour l’année financière 2024-2025, qui est de 2,3 % » et qui permet le maintien d’un ratio d’environ 50 % par rapport au salaire moyen, selon ce que précise le communiqué du ministère du Travail. « C’est tellement incohérent. Pourquoi des données différentes? On ne comprend pas le calcul », a réagi la présidente de l’APMQ, Catherine Lefebvre.
Le MIFI n’avait pas encore répondu aux demandes de précision de La Terre au moment d’écrire ces lignes. Par voie de communiqué, il encourage toutefois les employeurs à offrir une rémunération plus élevée que le salaire agricole minimum « afin d’attirer une main-d’œuvre compétente, tout en reconnaissant l’expérience acquise des travailleurs étrangers temporaires ».
Le plateau des 15 $ l’heure déjà redouté en 2016
Déjà, en 2016, alors que le salaire minimum au Québec était de 10,75 $ l’heure, les producteurs de fraises et de framboises de la province s’inquiétaient du jour où le taux horaire atteindrait 15 $ l’heure. Ces employeurs, pour qui la main-d’œuvre représente plus de 50 % des coûts de production, calculaient à l’époque qu’un tel taux horaire serait une menace à la rentabilité de leur ferme.
Huit ans plus tard, alors que ce fameux plateau est atteint et que la rémunération à verser à leurs travailleurs étrangers augmentera à 16,02 $ l’heure en mai, certains estiment que le fardeau à absorber est égal à ce qu’ils avaient anticipé, sinon pire. Depuis 2016, d’ailleurs, 57 fermes membres de l’Association des producteurs de fraises et framboises du Québec (APFFQ) ont délaissé la production, le nombre d’entreprises étant passé de 392 à 335. « L’année 2024 va être cruciale pour la production de fraises. On se pose de sérieuses questions sur la pérennité du secteur », s’est inquiétée la directrice générale de l’APFFQ, Stéphanie Forcier.
Selon des calculs faits par son organisation, les autres frais que doivent assumer les employeurs de main-d’œuvre étrangère, par exemple pour le logement et le transport, équivalent à un taux horaire supplémentaire de 3,50 $ l’heure par travailleur. « Avec l’augmentation qui s’en vient, ce sera comme si on les payait 19,52 $ l’heure. » Le producteur Guy Pouliot signale que le salaire des TET aura bondi de 49 % depuis 2016.
Son confrère Simon Charbonneau, producteur de fraises à Sainte-Anne-des-Plaines, dans les Laurentides, est du même avis. « Il y a une limite à ce qu’on peut transmettre aux consommateurs. On est tannés de se battre », plaide-t-il.