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La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a enregistré en 2022 une quantité record de demandes déposées par des travailleurs étrangers temporaires (TET) agricoles pouvant mener à des plaintes officielles à l’endroit de leur employeur ou parfois de collègues. Le nombre est passé de seulement 3 en 2019, à 45 en 2021, puis a bondi à 133 l’année suivante. Parmi les motifs les plus fréquents, Juan-Manuel Diz-Grana, directeur de la prévention, des enquêtes et des permis à la CNESST, cite en exemple les congédiements sans cause juste et suffisante et les cas de représailles de l’employeur à la suite d’un recours exercé par un salarié en vertu de la loi. Les plaintes pécuniaires, relatives par exemple aux heures impayées, et celles de harcèlement psychologique ou sexuel sont aussi plus fréquentes.
Selon M. Diz-Grana, deux raisons principales peuvent expliquer l’augmentation du nombre de plaintes. Les TET, d’une part, sont de plus en plus nombreux à travailler dans les fermes, étant donné la pénurie de main-d’œuvre. Ceux-ci sont aussi plus enclins à faire respecter leurs droits, grâce aux multiples moyens et aux organismes de soutien et de sensibilisation mis à leur disposition.
Le directeur général de l’organisme du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ), qui accompagne ces salariés dans le processus de plainte et qui accueille ceux-ci à l’aéroport depuis 2020, ne s’étonne pas de ces données.
« Auparavant, les travailleurs ne connaissaient pas leurs droits; maintenant, ils nous connaissent. On en dépose pour eux, des plaintes. Ils nous appellent. Il fallait s’attendre à une augmentation », souligne-t-il, affirmant régler la plupart de ses dossiers en médiation, avant qu’ils ne se rendent au Tribunal administratif du travail, souvent en allant chercher des indemnisations financières de la part de l’employeur.
« Il y a aussi beaucoup d’efforts déployés par la CNESST pour sensibiliser les employeurs et les TET quant à leur rôle, note pour sa part M. Diz-Grana.
Comme les escouades de prévention qui se déplacent l’été dans les milieux de travail. »
Encore de la méconnaissance
L’intervenante Suzanne Dionne, qui est à l’emploi de la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère (FERME), se creuse constamment les méninges pour faire comprendre aux producteurs ce qu’implique l’embauche de TET. Malgré ses efforts, elle s’étonne encore de constater la méconnaissance de plusieurs en matière de normes du travail, surtout de la part des nouveaux membres, ou des petites entreprises qui n’ont pas de structure en ressources humaines. « Ça fait neuf ans que je suis chez FERME, et le problème est toujours le même. Plusieurs employeurs n’ont pas le temps pour la paperasse; ils ne prennent pas le temps de s’informer, de lire nos infolettres. Il y a 3 000 membres chez FERME, et je dirais qu’on en rejoint 80 % », constate-t-elle.
Pourtant, fait remarquer Mme Dionne, dans un contexte où les TET sont de plus en plus sensibilisés à leurs droits, les employeurs auraient intérêt à connaître les normes du programme fédéral appliquées au Québec par la CNESST, et à prendre conscience des conséquences auxquelles ils s’exposent, notamment lorsqu’une plainte est déposée à leur endroit.
3 normes parfois oubliées
- Un travailleur étranger temporaire (TET) a droit, chaque semaine, à un repos d’au moins 32 heures consécutives. Le jour de repos peut être reporté à la semaine suivante, mais seulement avec l’accord du TET. Le cas échéant, l’employeur doit donner deux journées de congé la semaine suivante. Suzanne Dionne, intervenante chez FERME, souligne que les employeurs doivent appliquer cette norme d’une journée de congé par semaine, même si le travailleur insiste pour faire plus d’heures.
- Lorsqu’un TET a exécuté deux contrats de travail, son employeur doit s’assurer d’avoir des preuves de manquement s’il souhaite mettre fin à un lien d’emploi. Si des faits sont reprochés au travailleur, par exemple, s’il arrive souvent en retard, le producteur doit lui avoir donné des avis et des avertissements, selon une certaine gradation. Un employeur ne peut pas éviter de rappeler un travailleur sans justification, après deux saisons travaillées.
- Toutes les heures travaillées dans une semaine, même si le travailleur en accumule 80, doivent être rémunérées au cours du même cycle de paie. FERME recommande aux employeurs d’éviter d’en payer seulement une partie, puis d’accumuler le reste dans une banque de temps servant à combler les semaines plus tranquilles de 30 heures. « Ce n’est pas bien vu, explique Suzanne Dionne. S’il y a une plainte déposée comme quoi toutes les heures n’ont pas été payées, l’agent peut être plus agressif que pour une inspection de routine. Ceux qui vont à l’encontre de ça doivent le justifier », prévient-elle.
14 000 $ pour ne pas avoir rappelé un travailleur
Michel Pilon, du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec, se souvient du cas, il y a deux ans, d’un travailleur mexicain à l’embauche d’une ferme de Saint-Eustache pour qui il avait formulé une plainte de congédiement sans cause juste et suffisante. Son employeur avait pris la décision, sans préavis, de ne pas le rappeler, alors qu’il travaillait à la ferme depuis 14 ans. « L’employeur ne retournait pas ses appels. À la suite de cela, on a déposé une plainte à la CNESST. Un enquêteur m’a appelé et m’a posé des questions. On est allés en médiation », raconte le directeur général, qui a finalement convaincu l’employeur de verser 14 000 $ en compensation au travailleur, soit l’équivalent d’une demi-saison. « On est parvenus à régler hors cour. Ses justifications n’étaient pas de vraies justifications et on avait des preuves. »
20 000 $ pour des tâches ne figurant pas sur le permis de travail
Après un règlement récent en médiation, un producteur a dû verser 20 000 $ en ajustement salarial à son travailleur étranger temporaire parce que ce dernier effectuait des tâches à la ferme ne figurant pas sur son permis de travail. Le salarié mexicain, rapporte Michel Pilon, du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec, avait le statut de travailleur agricole et était payé au salaire minimum, mais effectuait des travaux pour lesquels la rémunération devait être plus élevée. Le statut de travailleur agricole permettait aussi à l’employeur de ne pas payer les heures supplémentaires au TET, alors qu’il y avait droit. La nature des tâches confiées au travailleur mexicain n’a pas été spécifiée pour éviter que l’agriculteur concerné soit identifiable.