Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
Les organisateurs d’Expo Québec, qui soulignait son centenaire en août dernier, ont fait une place de choix au patrimoine agricole. Dans un espace ouvert, les visiteurs pouvaient voir s’activer plusieurs machines antiques tandis qu’étaient illustrées les quatre saisons de l’agriculture au siècle dernier sous un grand chapiteau.
Tout ça grâce à l’Association de protection du patrimoine agricole de Chaudière-Appalaches. L’an passé, cette dernière avait rendu service aux organisateurs en occupant un espace d’exposition laissé vacant par le désistement d’un exposant. L’expérience s’étant avérée concluante, elle a été plus que bienvenue pour enrichir d’un volet agricole les célébrations du centième anniversaire d’Expo Québec. Pour les membres de l’association patrimoniale, le défit consistait à exposer des équipements dans un contexte historique intéressant. « Mis à part les quelques tracteurs que nous avons disposés à l’entrée de notre pavillon, nous avons opté pour des équipements et des outils qui dataient idéalement d’au moins cent ans », résume ainsi Jean-Paul Paré, président de cette association et grand amoureux du patrimoine.
La mise en place de cette exposition a bénéficié de l’apport précieux de Guy Toupin, qui occupait jusqu’à récemment un poste de conservateur au Musée de la Civilisation de Québec. Membre de l’Association, il a commenté pour nous notre visite. « Ce n’est pas tout de présenter des objets anciens, a expliqué l’expert, il faut les mettre en contexte. » Les artéfacts étaient ainsi classés selon leurs usages, mais aussi selon le rythme de leur utilisation au fil des saisons. Sur la place extérieure, des « engins » stationnaires arrimés aux accessoires qu’ils activaient se mettaient en mouvement en pétaradant, au grand plaisir des visiteurs. Au total, on comptait près d’une quinzaine de points d’intérêt animés par des membres de l’association patrimoniale, trop heureux d’expliquer aux visiteurs les particularités de leur collection.
Des machines et des hommes
Nul ne peut mieux que ces machines illustrer la mécanisation graduelle des activités agricoles au Québec. Avant leur arrivée, tous les travaux étaient effectués à la force des bras, de la fauche au battage du grain, en passant par la traite et le barattage du beurre. La force animale, évidemment, a aussi été mise à contribution avant l’avènement du moteur à combustion interne.
Une des plus belles illustrations de cette utilisation de la force animale est le « Hors Port », qu’on pouvait voir dans nos campagnes entre 1880 et 1905. Il s’agit d’un portique incliné dans lequel se trouvait un cheval. L’inclinaison de 15 degrés incitait le cheval à « monter », comme sur une pente, pour actionner un tapis roulant de bois. Ce tapis activait à son tour une roue qui pouvait mettre en marche toutes sortes d’appareils pour battre et moudre le grain ou encore couper et fendre le bois. À Expo Québec, ce spectaculaire assemblage servait à moudre du grain de maïs.
Cette époque a été suivie par les premiers moteurs stationnaires, monocylindres, qui ont graduellement fait leur apparition. Certains de ces engins étaient fabriqués au Québec, nécessitant parfois la contribution de plusieurs fonderies. Leur fonctionnement était simple : le mouvement du piston faisait tourner une roue reliée par une courroie à une grande diversité de machines. Il était alimenté à l’essence et les premiers modèles, aux pièces mécaniques exposées, devaient régulièrement être graissés. La lubrification du piston se faisait goutte à goutte au moyen d’un réservoir qui laissait l’huile s’écouler par gravité.
« Pour les agriculteurs, cela constituait un grand bond en avant, explique Jean-Paul Paré. Le moteur pouvait tourner au moins deux heures avec un réservoir d’essence. » Les modèles qui suivirent furent plus faciles d’entretien, une dynamo éliminant le nécessité d’utiliser une batterie, et la lubrification étant confinée à l’intérieur du moteur et de ses mécanismes. Soulignons que le bruit caractéristique de ces machines provenait de l’allumage de la chambre et qu’il ne se produisait que lorsque la vitesse de rotation de la roue d’entraînement s’abaissait trop.
Sur le terrain d’Expo Québec, un engin faisait tourner une meule et un autre une scie. Ce dernier assemblage s’est révélé particulièrement intéressant puisque l’on pouvait y voir comment d’une rotation on tire un mouvement alternatif permettant de scier un billot. Il était tout aussi impressionnant de constater que trois hommes s’affairaient à l’opération, dont l’un semblait chargé de l’application de l’ancestral coup de pied permettant de remettre la machine sur le droit chemin!
Si ces machines rendaient de fiers services et pouvaient servir à plusieurs usages, la manœuvre pour les actionner nous fait aujourd’hui dresser les cheveux sur la tête. Pour vous en convaincre, il n’y a qu’à évoquer la fendeuse à bois, activée par une machine stationnaire, qui demandait à l’opérateur un synchronisme parfait pour placer la bûche entre deux mouvements de la tête fendeuse.
De l’histoire sous la tente
Le grand chapiteau réservait aussi, au fil des saisons, sa récolte de surprises. Notre guide, Guy Toupin, nous explique qu’avant l’avènement de l’électricité, les producteurs agricoles s’affairaient à des tâches plutôt fastidieuses qui remplissaient les douze mois de l’année. L’automne marquait le début des récoltes. Faucheuses et javeleuses manuelles étaient alors mises à profit. Une égraineuse à maïs accompagnée par une petite moulange à manivelle montre bien que sans l’aide du cheval ou d’un engin, le travail devait se faire à la main.
Avec l’hiver, les femmes se mettaient au métier à tisser alors que les hommes partaient bûcher. De retour à la maison, ils s’occupaient les mains, notamment en fabriquant des chaises. Dans le pavillon d’Expo Québec, un artisan montrait d’ailleurs aux visiteurs comment on tressait alors des chaises avec de l’écorce d’orme, plus résistante que la traditionnelle babiche. Puis, en prévision du retour des beaux jours, des blocs de glace étaient extirpés des fleuves et des rivières, puis mis au frais dans de la sciure de bois.
Au printemps, après le temps des sucres, venait la récolte moins connue de la gomme de sapin Baumier. Remède miracle pour toutes sortes de maux, elle était extraite des pustules de ce conifère avec un petit contenant dentelé. Encore aujourd’hui, ses propriétés pharmaceutiques en font un produit en demande.
Ce qui nous conduit à l’été, avec les premiers foins. Cette activité demandait beaucoup de main-d’œuvre et des outils souvent simples, mais bien pensés. Notre guide nous montre diverses fourches, illustrant l’évolution de cet instrument. Il attire ensuite notre attention sur une vieille charrette à foin. « Il n’en reste presque plus au Québec, s’attriste-t-il. Les agriculteurs, après l’arrivée des charrettes de métal, les ont reléguées au rôle de mangeoires, dans les champs, ou abandonnées à l’assaut des saisons, qui en sont rapidement venues à bout. »
C’est d’ailleurs ce que l’on retient de cette visite à Expo Québec. Le patrimoine agricole du Québec a été en grande partie dilapidé ou négligé, malgré son rôle important dans notre histoire. Une tendance qui pourrait s’inverser si l’on considère l’intérêt démontré pour ces vieux objets par les hordes de visiteurs et la passion pour la protection de cet héritage qu’ils suscitent.