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Lorsque Jacques Messier, camioneur de métier, s’est mis à l’agriculture il y a sept ans, c’était à la condition que l’ensemble des opérations soient mécanisées. S’il a choisi cette production de foin, c’est parce que ce sont les machines qui font le travail physique. C’est en effet pour des raisons de santé que ce fils de producteurs agricoles est retourné à la terre.
C’est en parcourant les annonces classées de La Terre de chez nous que notre patenteux du mois a déniché cette terre de 132 hectares à Alfred, en Ontario. « Le prix était très bon, précise-t-il pour expliquer sa décision de s’installer dans cette province voisine, et c’est une région où ça parle français. »
Quand il a pris la décision de se lancer dans l’agriculture, Jacques Messier souhaitait se consacrer à la culture du foin. Comme camionneur, il transportait souvent des cargaisons de foin. Ayant établi de nombreux contacts avec des clients, il connaissait bien les exigences spécifiques du foin de qualité destiné aux chevaux. Puisque cette culture repose en grande partie sur de la machinerie, toutes les conditions étaient rassemblées pour satisfaire notre patenteux qui, en plus, a toujours adoré la mécanique.
Un amoureux de la mécanique
« Je suis pas mal bricoleur », résume notre patenteux en avouant avoir acheté au départ toute la flotte de machines nécessaires sur le marché des usagés. Selon lui, c’était avant tout une question de coût, mais le lecteur perspicace devinera qu’il souhaitait aussi s’amuser à les remettre en condition. En vérité, M. Messier admet en avoir profité pour améliorer le fonctionnement de certaines machines. Cette remarque pourrait paraître prétentieuse si l’on ne connaissait pas cet homme, qui est en mesure d’illustrer ses propos de plusieurs exemples concrets.
Le premier, le ramasse-balles, est une machine fabriquée en 1972 que notre bricoleur a d’abord complètement démontée. « Je voulais la nettoyer et remplacer les pièces usées, mais aussi comprendre comment elle fonctionnait, explique le Franco-Ontarien.
Cela m’a permis de lui apporter quelques modifications pour la rendre plus efficace. Dès sa première récolte, je pouvais ramasser 500 balles à l’heure et venir les placer à la ferme! » La machine peut empiler et placer 160 petites balles en un seul voyage.
Avec une production gravitant autour de 18 000 à 20 000 petites balles carrées par année, la mécanisation des opérations est un grand avantage pour cette ferme. Le producteur ne se verrait pas manipuler toutes ces balles. Grâce aux machines dont il s’est doté, il peut procéder à la récolte en comptant uniquement sur l’aide de son épouse. Évidemment, en saison, les proches, dont sa fille Cynthia, ne se font pas prier pour mettre l’épaule à la roue.
Des outils originaux pour alléger le travail
Depuis sept ans qu’il exploite ses terres, Jacques Messier a créé des outils originaux pour alléger son travail. Un des plus beaux exemples de cette approche est certainement son pic à balles doté d’un grappin articulé. Des nuits de réflexions et plusieurs mises au point plus tard ont résulté en cet impressionnant appareil. Monté sur le bras télescopique d’un chargeur à roues, le grappin permet de saisir d’un bloc 27 petites balles carrées. Le mécanisme qui positionne le grappin au-dessus du chargement le sécurise en place. Cela réduit le danger de voir s’écrouler la charge sur la cabine. Lors du déchargement, un piston pousse les balles en place. L’opération se fait automatiquement, de la simple pression d’un levier à l’intérieur de la cabine du chargeur.
Jacques Messier a pris le temps de nous montrer à plusieurs reprises le fonctionnement de cet appareil tellement son opération se fait en un mouvement mécanique et hydraulique parfaitement chorégraphié. On devine tous les ajustements et les défis techniques qu’a dû représenter la mise au point de cet accessoire. Cette invention fonctionne chaque jour depuis six ans et n’a jamais trahi son créateur. Pas surprenant que le patenteux se soit protégé en la faisant breveter. « Qu’un autre bricoleur s’inspire de mon idée ne me dérange pas. Mais je ne veux pas qu’une entreprise fasse de l’argent sur mon dos », tranche le producteur.
Toujours dans l’objectif de réduire la manipulation des balles, le patenteux a conçu un système d’attache permettant d’arrimer plusieurs convoyeurs pour déplacer les balles lors du chargement des camions de livraison. Des têtes d’attelage de remorque récupérées ont été mises à contribution. Ainsi, le patenteux peut mettre bout à bout le nombre de rampes souhaité. De plus, la tête d’attelage offre la possibilité de faire pivoter l’assemblage qui repose su des roues. Sans effort, le producteur peut dont diriger le monte-balles exactement là où on en a besoin. Soulignons que les moteurs actionnant les rampes ont été positionnés de telle façon qu’ils se côtoient, on peut donc les brancher plus aisément. Le monte-balles est également muni d’un compteur mécanique, ce qui simplifie grandement la gestion de l’inventaire et la facturation. Le bras de ce compteur est très court, le patenteux ayant remarqué que de cette façon, il pouvait placer les balles très proches les unes des autres sans en manquer une au comptage.
Un cortège étrange
C’est dans son salon que notre patenteux nous dévoile la nature de cette autre création : son attelage permettant l’utilisation de deux presses à balles côte à côte, vidéo tournée pendant l’été. Vous pourrez d’ailleurs découvrir, certainement avec le même ébahissement que nous, cet incroyable assemblage sur le site www.utiliterre. ca. Le grand défi de cet attelage, un autre système que notre patenteux a fait breveter, est la répartition de la puissance, de la prise de force du tracteur (un John Deere 6300 de 75 forces) jusqu’aux deux presses. C’est par un système de poulies et de six courroies en « V » que le patenteux a solutionné le problème.
Deux presses en arrière d’un seul tracteur est une vision tellement surprenante que Jacques Messier raconte que l’été, lors des récoltes, des automobilistes immobilisent leur voiture en bordure de la route pour voir cet étrange cortège fonctionner. De loin, les curieux sont bien placés pour compter qu’une balle est produite toute les trois secondes. « Le plus fascinant, ajoute le patenteux avec un sourire de vainqueur, c’est que ce n’est pas plus forçant pour le tracteur. Et avec les pivots devant les presses, et un peu d’habitude, on peut négocier les virages en suivant les andains sans rien perdre. » Des roues ont été placées sous l’attelage pour le supporter et en faciliter la direction. Au besoin, l’attelage se retire rapidement pour travailler avec une presse unique, comme n’importe quel producteur de foin.
Malgré l’étrangeté de l’appareil, le plus drôle, c’est que le patenteux ne cesse de répéter combien il est simple. « L’idée m’est venue toute seule, ajoute-t-il. Je voulais être plus efficace, et la solution s’est imposée dans ma tête. Ensuite, j’ai beaucoup pensé aux applications techniques, mais le concept a marché du premier coup. »
Cette machine illustre à quel point le patenteux mise sur l’efficacité. De retour dans l’entrepôt, nous constatons que les deux presse-balles vedettes de la vidéo ont subi de petites modifications intéressantes. Ainsi, la capacité de la boîte contenant la réserve de corde pour attacher les balles a été doublée, prolongeant d’autant son autonomie. Dans le même ordre d’idées, un ventilateur d’automobile a été placé au-dessus de l’attacheur pour en chasser la poussière et les débris. Cela élimine les pannes frustrantes. « Je ne comprends pas pourquoi les manufacturiers n’en installent pas sur toutes leurs presses, ça marche tellement bien », s’interroge M. Messier.
Si l’automatisation des opérations est une préoccupation pour notre patenteux, le maintien d’une bonne qualité du foin destiné à l’exportation en est une autre. Pour garantir que le foin entreposé dans l’ancienne étable qu’il a récupérée en achetant la ferme conserve sa qualité, Jacques Messier a réalisé un véritable tour de force. Il a en effet converti le réseau de dalots latté servant à la récupération du fumier en un système de ventilation permettant de stabiliser le degré d’humidité des balles de foin. Un grand ventilateur a été installé là où jadis le dalot sortait du bâtiment pour aller se vider dans la fosse. L’air est dirigé vers les endroits où se trouvent les balles de foin grâce à des trappes amovibles. De plus, des tapis de caoutchouc sont placés sur les lattes où il n’y a pas de foin afin de concentrer l’air aux endroits utiles.
D’ailleurs trotte maintenant dans la tête de notre patenteux l’idée de doter ce système de circulation d’air d’une source de chaleur qui aurait pour effet d’abaisser l’humidité des balles entreposées. Selon lui, cela permettrait de récolter le foin plus humide, une autre façon d’accélérer les opérations.
Il ne fait aucun doute que Jacques Messier a réussi sa mission de réduire au minimum les manipulations et opérations dans l’exploitation de sa ferme. Ceci ne l’empêche pas de constamment songer à de nouveaux équipements. Il pense par exemple mettre en marché des mini-balles de foin décoratives. Mais pour les produire, il devra dénicher une vieille presse qu’il modifiera de telle manière qu’elle livrera de toutes petites balles. « Je sais déjà comment m’y prendre dans ma tête, affirme-t-il. Il faudra réduire la chambre de compression. » On ne doute pas un instant que la solution a déjà pris forme dans sa tête.
Inventeur patenté
Le processus d’obtention d’un brevet d’invention est long et coûteux. Si notre patenteux l’a mené à terme pour deux de ses créations, avec la collaboration éclairée de l’Inventorium de Montréal, c’était surtout pour éviter de se faire voler son idée par une entreprise manufacturière. Ce dernier souhaite en fait vendre à des manufacturiers d’ici ses deux brevets afin que son pic mécanisé et son attelage à presses en tandem puissent être commercialisés un jour. Mais entre-temps, il nous indique qu’il serait prêt à en fabriquer pour des producteurs d’ici qui en auraient besoin. Cela étant dit, Jacques Messier ne veut pas devenir un fabricant de machines, il se plaît trop sur son tracteur ou la soudeuse à la main dans son atelier à assembler en acier sa toute dernière idée.