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« Le CARTV arrive à une autre étape; un changement de ton dans la façon d’appliquer la loi », annonce d’emblée Anne-Marie Granger Godbout, directrice du Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV).
« À court terme, on veut imposer des sanctions pécuniaires et l’on exercera le pouvoir de saisie chez les récidivistes. Nous avions un rôle d’éducation, mais aujourd’hui, les gens connaissent la loi. Alors, on se raffermit », insiste-t-elle.
110 entreprises soupçonnées en 2013
Le CARTV, le chien de garde du bio comme on l’appelle dans le milieu, constitue l’organisme mandaté par le gouvernement du Québec pour protéger l’appellation biologique, comprenant également les termes « bio » ou en anglais, « organic ». En date du 25 septembre dernier, l’inspectrice du CARTV, Lilas Bouloum, avait devant elle 110 dossiers d’entreprises soupçonnées de frauder l’appellation biologique. Un nombre à la baisse comparativement aux années antérieures. « Il y a 5 ans, je traitais environ 300 dossiers de non-conformité par année. Du lot, j’estime que 90 % des gens étaient transgresseurs par méconnaissance de la loi. Ils se réveillaient un matin en se disaient producteurs biologiques. Comme cette dame, qui confectionnait de petits pots de confitures. Elle avait inscrit “biologique”, car elle croyait que ce serait “plus vendeur”… », relate Mme Bouloum.
Cette dernière soutient que le contexte a changé aujourd’hui. Les gens qui employaient le terme « biologique » sans savoir qu’il s’agissait d’une appellation protégée se révèlent moins nombreux. Par contre, le nombre de récidivistes inquiète : « Ce qui me fait peur maintenant, ce sont les cas de deuxième fraude. L’exploitant que j’ai déjà attrapé pour des atocas non certifiés, qui revient plus tard avec des poivrons vendus comme bio, mais encore non certifiés. Ou celui qui apprend à contourner la Loi. Sauf qu’au CARTV, nous n’effaçons aucun dossier… Je sais que certains reviendront frauder l’appellation et je les surveille », met en garde l’inspectrice.
Les crocs du tigre!
Avis aux intéressés : le CARTV montre les crocs, surtout face aux récidivistes. Une exploitation qui commet une première faute concernant l’appellation biologique reçoit un avertissement accompagné d’un constat d’infraction, lequel permet maintenant d’intenter des démarches judiciaires dès la deuxième offense. « Lorsqu’un exploitant est fautif, je lui fais signer un constat d’infraction, indiquant l’erreur qu’il a commise. En signant, il s’engage à ne plus la refaire, de même qu’à corriger cette situation de non-conformité selon une échéance de cinq jours ouvrables. Le constat l’informe également des sanctions reliées à une deuxième infraction », indique l’inspectrice. Par sa signature, en admettant avoir fraudé l’appellation biologique une première fois, l’exploitant n’a pas de deuxième chance : sa prochaine offense au règlement le conduira à une amende de 2 000 $ à 20 000 $. Et pour une troisième fraude, le montant double, pour se retrouver entre 4 000 $ et 60 000 $.
Dans le cas où l’exploitant ne veut pas reconnaître sa non-conformité, c’est-à-dire, s’il refuse de signer le constat, le CARTV saisit la marchandise. « Il peut contacter ses avocats et nous faisons de même, mais en attendant, les produits ne seront pas vendus », assure Lilas Bouloum.
Un courriel à tous les clients…
Outre les sanctions pécuniaires, un élément important, susceptible de faire rager les entreprises qui trichent avec l’appellation bio, concerne leur liste de clients, dont le CARTV prend possession au moment de l’infraction. « Un producteur de légumes s’affichait biologique, sans aucune certification. Je lui ai fait signer un constat d’infraction, mais j’ai aussi pris la liste de ses clients pour leur envoyer un message expliquant sa faute. Parmi ceux-ci, il y avait des commerces de détail, que je suis ensuite allé visiter… Les produits provenant du producteur fautif ont dû être retirés de leurs tablettes, ou à tout le moins, les étiquettes ont dû être corrigées », détaille Mme Bouloum.
Cette dernière soutient que les producteurs n’aiment pas que chacun de leurs clients reçoive un courriel expliquant qu’ils ont fraudé l’appellation biologique. Notons qu’un exploitant qui refuse de remettre sa liste de clients serait automatiquement mis à l’amende pour entrave au travail d’un inspecteur, lui infligeant de 1 000 $ à 18 000 $ de pénalité.
« Aidez-nous à les attraper »
Sites Internet, marchés publics, distributeurs, commerçants, producteurs de paniers bio, voilà autant de cibles pour l’inspectrice du CARTV. Elle procède parfois au hasard, ou vise carrément des exploitants sur qui elle nourrit des soupçons. « Moi je n’avertis pas, je me déplace. Je me suis déjà rendue dans un champ à 4 h du matin pour intercepter un camion de grains. Des citoyens m’avaient donné l’information. Quand j’ai demandé au chauffeur ce qu’il transportait, il a fini par me répondre “moi je ne crois pas en ça le bio. Et ceci Madame, c’est un camion magique. Ce qui entre est non bio, et ce qui en sort l’est”. Donc, je le dis toujours : ce sont les voisins qui constituent les meilleurs inspecteurs. Aidez-nous à attraper les fraudeurs! », exprime l’inspectrice Bouloum.
Afin d’accroître sa portée en région, le CARTV songe à un réseau d’informateurs. « Nous sommes en réflexion stratégique pour adapter nos services afin d’être plus performants, confie Anne-Marie Granger Godbout. Il serait question d’avoir des yeux et des oreilles sur le terrain. Le concept reste à définir, mais nous augmenterions les effectifs. Évidemment, nous n’avons pas fini d’éduquer les gens, mais c’est important de hausser le ton contre les récidivistes. Il faut protéger notre crédibilité », dit-elle en substance.
À ce jour, le CARTV a épinglé des centaines de fraudeurs de l’appellation biologique; certains agissaient inconsciemment, et d’autres, volontairement. Aucun exploitant fautif n’a payé d’amende, quoiqu’un dossier majeur se trouvait déjà en préparation lorsque l’entreprise a déclaré faillite, juste avant que le CARTV la traîne devant les tribunaux. La directrice et l’inspectrice promettent que pour 2014, les récidivistes payeront.
Inspecteurs inspectés
Le CARTV inspecte les producteurs et les commerçants qui emploient l’appellation biologique. Peu de personnes le savent, mais le Conseil procède également au contrôle des certificateurs.
De fait, un exploitant qui désire vendre des légumes arborant le terme « biologique » doit respecter un cahier des charges. Il demande alors à un organisme accrédité, comme Ecocert, Québec Vrai ou autre de venir certifier ses pratiques culturales afin qu’elles soient bel et bien conformes audit cahier des charges.
Or, plusieurs certificateurs se révèlent des entreprises à but lucratif, et c’est un organisme gouvernemental, le CARTV, qui s’assure du travail rigoureux de tous les certificateurs. Il passe en revue certains documents et à l’occasion, ses agents accompagnent les certificateurs sur le terrain pour vérifier leur travail. « On ne se fait pas d’amis avec les certificateurs. Nous les surveillons et leur demandons parfois des ajustements », commente la directrice, Anne-Marie Granger Godbout.
Les produits bio importés au Québec n’échappent également pas au processus de vérification. « Nous auditons les certificateurs internationaux. Nous nous sommes rendus en Inde, en Italie, en Argentine et en Californie pour vérifier des certificateurs », précise la directrice.