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La région de Mont-Carmel, dans le Bas-du-Fleuve, est ancrée dans un paysage donnant l’impression que la Montérégie a télescopé l’Estrie. Entre des collines paresseuses, de riches vallées offrent toutes les nuances de vert. C’est dans ce décor attrayant que nous avons rencontré la famille Lévesque. Producteurs laitiers depuis quatre générations, les patenteux de la ferme Pierrelac inspirent l’exemple par leur détermination et leur grand professionnalisme.
C’est vers 1880 que ces terres ont été occupées par le premier représentant des Lévesque. Quelque cent ans plus tard, son descendant Michel, son épouse, et leurs trois enfants gèrent la ferme. Avec les acquisitions faites au fil des ans, la propriété couvre maintenant une centaine d’hectares en foin, maïs d’ensilage et petites céréales, bref tout ce qu’il faut pour alimenter le troupeau de 35 vaches laitières.
Depuis 2002, Dominic, l’aîné, a mis sur pied un service de travaux agricoles à forfait. Alors que sa sœur Mélanie, qui travaille à l’extérieur pour l’instant, se prépare à prendre la relève dans le volet production laitière, son jeune frère, Nicolas, fraîchement diplômé en mécanique agricole, s’est joint aux opérations à temps plein depuis 2009. C’est lui qui est chargé en grande partie du volet mécanique des activités agricoles et commerciales de la ferme. Que notre jeune producteur de 21 ans se passionne depuis tout petit pour tout ce qui touche au fonctionnement de l’équipement agricole n’est pas étranger au fait qu’il ait suivi une formation en mécanique agricole. En ce sens, il est le fier descendant d’une longue lignée de patenteux.
« Ce n’est pas la première fois que nous fabriquons ou modifions des équipements sur cette ferme, témoigne Michel, le père. Dans le passé, j’ai fabriqué des fourches pour le chargeur du tracteur et nous nous servons toujours d’une grue amovible, qui prolonge le chargeur, pour soulever des objets lourds. »
Un voisin utilise d’ailleurs encore une bétonnière mobile de son cru. Portée sur le trois points et actionnée par la prise de force, elle peut brasser et livrer le béton là où il est requis.
À force de parler avec Michel et ses deux garçons, il devient rapidement difficile de savoir qui a fabriqué quoi sur cette ferme. « Nous avons des idées communes, résume Dominic. Mais peu à peu, je dirais que le patenteux de la famille, ça devient Nicolas. » Ce dernier sourit au compliment, mais insiste modestement sur le fait que les patentes représentent souvent des réalisations collectives. Il souligne que si parfois des croquis sont tracés avant la réalisation de la machine, la version définitive correspond rarement aux plans d’origine. « C’est en faisant qu’on comprend », résume Nicolas. Après l’obtention de son diplôme, il tenait à venir travailler à la ferme. Pour lui, il importait de voir fonctionner les machines qu’il avait retouchées.
Un souci de sécurité
À la ferme Pierrelac, le nombre de machines transformées impressionne, tout autant que la philosophie qui a mené à leur modification est intéressante. « Quand on décide de faire une patente, c’est d’abord pour augmenter notre efficacité, affirme Michel Lévesque. Notre préoccupation demeure toutefois de nous assurer que ce changement ne se fera pas au détriment de la sécurité des membres de la famille ou des travailleurs qui nous donnent un coup de main. »
En fait, les premières modifications qui font l’objet de notre visite découlent de ce souci de sécurité. « J’ai installé des feux arrière sur toutes nos machines qui empruntent la route, explique Nicolas Lévesque. J’ai utilisé des ampoules DEL, les autres étant moins résistantes en conditions difficiles. »
Son frère Dominic, qui a fait un passage dans l’industrie du transport routier, nous montre un autre assemblage d’une robustesse à toute épreuve. L’unité est installée sur la barre de tire traditionnelle. Pour mieux soutenir les lourdes charges, comme une voiture à ensilage bien pleine par exemple, le cylindre de relevage central y est rattaché. Combiné à deux chaînes croisées, cet attelage réduit à néant les risques de perte de chargement. Le crochet a été acheté, mais le support pour l’adapter au tracteur est de conception maison.
C’est en regardant d’autres machines du même type que Nicolas a décidé, ce printemps, d’ajouter un marqueur à disque sur le semoir à céréales de la ferme. L’engin de cinq pieds de large se relève par contrôle hydraulique. « Je me suis informé, et cet accessoire coûte environ 5000 $. J’étais convaincu que je pouvais en faire un semblable à meilleur prix. » Pour le fabriquer, notre patenteux a utilisé un cylindre acheté et du fer neuf, comme c’est souvent le cas chez les Lévesque. Les deux frères mentionnent que puisque leurs machines travaillent intensément, surtout à cause des activités à forfait, ils ne peuvent pas de permettre d’utiliser des pièces récupérées. Dominic précise : « On ne veut pas prendre de chances. Les pièces de métal peuvent ne pas être compatibles. Et quand on récupère des pièces, on ne sait pas si elles cachent des fissures qui pourraient causer des bris dans le champ. Cela dit, il nous arrive de conserver certaines pièces pour les utiliser en remplacement temporaire. »
On peut reconnaître la qualité de cette approche sur le support à pesées de la faucheuse latérale, que nous montre justement Dominic. Ces pesées amovibles permettent de stabiliser la faucheuse, surtout que la coupe se fait souvent en terrain vallonné. Pour les installer, une béquille rétractable a été posée sous le support pour garder la machine de niveau. Les membres de la famille n’hésitent pas à modifier une machine, même si elle sort directement de la cour du concessionnaire. Nicolas dit même posséder dans son atelier la peinture de la même couleur que la machine d’origine, question de parfaire le travail sur les ajouts. Assez méticuleux notre patenteux!
Il se trouve d’ailleurs derrière l’idée de doter d’une penture le râteau repliable, qui fait automatiquement basculer le déflecteur latéral en mode transport. L’avantage de ce système réside dans le fait de pouvoir réduire la hauteur de la machine lorsqu’on la déplace d’un champ à l’autre. Puisque le mécanisme s’active automatiquement, l’opérateur n’a même pas à s’en soucier.
Parce que la ferme Pierrelac a développé plusieurs types de travaux à forfait, ses machines doivent pouvoir se déplacer. C’est le cas du souffleur à ensilage utilisé pour remplir quelque 70 silos de clients répartis sur un territoire qui court de Montmagny à Rivière-du-Loup. Le souffleur en tant que tel existait déjà. Toutefois, il a été modifié, notamment par l’ajout de déflecteurs en caoutchouc et de feux arrière à la mode « Lévesque ». La boîte d’engrenages a aussi été trafiquée pour augmenter la vitesse de rotation. Comme l’explique Dominic, le volume d’air poussé dans le souffleur se trouve de cette façon rehaussé tout en réduisant l’effort sur la prise de force de tracteur qui l’active. La boîte baigne dans un réservoir externe contenant de l’huile auquel on a ajouté une jauge afin de garantir que l’ensemble est toujours parfaitement lubrifié.
Pour assurer le transport rapide et sécuritaire de la machine, un châssis robuste a été assemblé de toutes pièces dans l’atelier familial. Les petites roues d’origine ont été retirées et remplacées par des roues pleine grandeur plus aptes aux longs déplacements. Une fois arrivée à destination, la machine se positionne grâce à des cylindres hydrauliques commandés en partie de la cabine du tracteur. Les derniers ajustements sont faits à partir d’une console sur le souffleur. Ce système d’ajustement hydraulique élimine complètement le travail manuel, réduisant les efforts de mise en place du souffleur.
« Cet hiver, je vais profiter de la saison tranquille pour lui ajouter des freins et des garde-boue », précise Nicolas, illustrant par la même occasion le fait que, pour lui, une machine peut toujours être améliorée.
Un pas en arrière, deux pas en avant
Quelquefois, pour améliorer une machine, il faut s’y reprendre à deux fois… ou plus! Nicolas a déjà expliqué comment le résultat final pouvait ne pas ressembler du tout au croquis de départ. Son frère renchérit en disant : « Il faut savoir quand s’arrêter même si, en apparence, il s’agit d’une bonne idée. » Pour lui, en tant que producteur agricole et entrepreneur, il importe d’évaluer le temps investi dans les divers projets. Le gain ne vaut parfois pas l’investissement.
À d’autres occasions, la bonne idée de départ va évoluer de façon spectaculaire. C’est le cas du retourneur d’andains fabriqué à partir d’une ancienne faucheuse traînée. Dans la première version, le retourneur a été installé à l’avant du tracteur. Ce qui s’est avéré une mauvaise idée, puisque la machine en demandait trop à l’hydraulique avant. Le concept a été revu, et le retourneur est retourné, c’est le cas de le dire, en configuration traînée. Il fonctionne parfaitement bien depuis.
Un atelier efficace
Pour réaliser toutes ces modifications et entretenir la machinerie, un grand atelier a été construit en 2004. Tous les outils nécessaires pour réaliser les travaux s’y trouvent, en plus de quelques créations qui ne figurent pas dans les catalogues.
Lors de notre passage, le palan à chaîne était prolongé d’un accessoire facilitant le retrait et la remise en place des pneus de tracteur. Ajustable aux différentes dimensions de pneus, ce support permet un déplacement sans effort de ces pièces très lourdes. Toujours pour l’entretien des roues, Dominic nous montre un déviateur, qui permet de vidanger proprement l’huile du moyeu des roues. Pour ce qui est de l’huile à moteur, une panne grillagée sur roulettes se glisse aisément sous le véhicule. Pour la vider, on l’arrime au palan, on la soulève et on la vidange grâce à un robinet prévu à cette fin.
Une façon de faire innovatrice
On ne peut laisser la famille Lévesque de Mont-Carmel sans évoquer son approche novatrice en matière de travaux à forfait. « C’est en 2002, avec mon arrivée à temps plein à la ferme, que j’ai voulu développer ce volet. L’objectif est de diversifier nos activités en proposant aux producteurs agricoles et éleveurs de la région un service pour la réalisation de toute une gamme de travaux », explique Dominic. L’approche, relativement nouvelle dans la région, s’inspire directement de la méthode européenne, où les producteurs de lait, par exemple, concentrent souvent leurs efforts dans la gestion du troupeau et confient les travaux au champ à des entrepreneurs.
La clientèle s’est développée avec les années. Par conséquent, la ferme a investi graduellement dans de nouveaux équipements pour élargir l’offre. Aujourd’hui, l’entreprise peut s’occuper de l’ensilage d’une ferme, de la préparation de sol avant le semis jusqu’à la mise en silo. « Nous travaillons avec les nutritionnistes pour livrer aux clients l’alimentation optimale pour leurs troupeaux », explique Dominic. Ce dernier avoue que ce type de service demeure très prenant, l’orchestration des opérations sur un vaste territoire exigeant un grand sens de l’organisation et des nerfs d’acier. Cela explique d’ailleurs toute l’importance accordée par les membres de la famille au choix des équipements et à leur entretien méticuleux.
Les membres de la ferme Pierrelac comptent poursuivre le développement de la production laitière, tout en élargissant leur bassin de clients. Tout ça en continuant de modifier leurs équipements, au gré de leurs besoins.