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La Terre a voulu faire le point avec un expert sur les étapes possibles et probables qui attendent le Canada dans le conflit commercial du bois d’oeuvre. Entrevue avec Carl Grenier, aujourd’hui membre de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatique de l’UQAM, est un vieux routier des conflits du bois d’œuvre passés.
Comment s’explique la crise du bois d’œuvre?
Sur le bois d’œuvre, c’est complètement idiot. Ils ne sont pas autosuffisants en bois d’œuvre depuis plus d’un siècle. On est à côté, on a des forêts beaucoup plus grandes que pour nos besoins. C’est une conjonction parfaite. C’est le lobby américain qui a profité d’une récession dans les années 1980 pour se plaindre des exportations canadiennes. Ce n’était pas fondé et on l’a démontré. Ça sert essentiellement à maintenir un prix plus élevé aux États-Unis lors des mauvaises conjonctures économiques. Quand les prix sont hauts, il n’y a pas de problème.
Est-ce que la négociation sur le bois d’œuvre pourrait être séparée de l’ALENA?
Je pense que l’intérêt de la coalition américaine, c’est de négocier ça dans l’ALENA. Leur arme, la seule qu’ils ont, c’est la pression financière. Ils savent très bien que si on va à l’ALENA ou à l’OMC pour régler ce différend, le Canada va gagner. Ils ne veulent pas ça. Leur jeu à eux, c’est de nous amener à une table de négociations, et le levier, c’est la pression financière [que représente le paiement de droits compensateurs et de droits antidumping à venir]. En entrant ça dans l’ALENA, ils étirent le processus, les dépôts en droits temporaires augmentent et la pression devient insupportable [pour le Canada]. La dernière fois, le gouvernement Harper a négocié à toute vitesse et a laissé 1 G$ aux Américains. Ça ne s’était jamais vu de laisser de l’argent sur la table. Il y a 500 M$ qui ont été donnés à la coalition de producteurs américains. Ils vont vouloir encore une rançon comme ça. Si on règle ça rapidement, il n’y aura pas assez d’argent sur la table. J’ai l’impression qu’ils vont vouloir étirer cette question du bois d’œuvre pour pouvoir faire jouer leur levier. Or, négocier le bois d’œuvre, c’est moins compliqué et moins long que négocier l’ALENA.
L’intérêt du Canada serait au contraire de négocier pour le bois d’œuvre à part de l’ALENA. À la question du bois d’œuvre s’entremêle la question du chapitre 19 [sur le règlement des différends] qui pourrait être mis à mal. On a intérêt à utiliser ce chapitre pour arbitrer le conflit avant la fin de la renégociation de l’ALENA. C’est ce chapitre qui permet de récupérer rétroactivement les droits payés à la fin d’un conflit.
Dans n’importe quelle négociation, il faut une espèce d’entente mutuelle pour négocier. Je ne pense pas qu’il y a péril en la demeure aux États-Unis, alors que c’est plutôt le cas au Canada. Le gouvernement fédéral canadien pourrait s’écraser plus vite; c’est ce que je crains. Dans le bois d’œuvre, il n’y a pas d’unanimité des provinces ni des producteurs. On devrait quand même se tenir debout sur le bois d’œuvre. On ne devrait pas lâcher le morceau.
Est-ce que le Canada ouvre son jeu trop vite?
C’est une tendance canadienne et un moyen de pression américain. On ne sait pas vraiment ce qu’ils veulent. Dans le bois d’œuvre, ça a pris des mois avant qu’on sache qu’ils veulent nous imposer un quota maximum de 22 % de leur marché. Normalement, on fournit le tiers de leur marché et une bonne partie de l’industrie canadienne disparaîtrait à 22 %. Quand ils disent qu’ils veulent renégocier, les parties canadiennes commencent à négocier entre elles et tentent de deviner ce qui ferait plaisir aux Américains. Il n’y a rien de plus mortel en négociation; ça donne toute la marge de manœuvre à l’adversaire. Il faut les laisser venir.
Dans certains cas, les Américains sont passés maîtres dans le bait and switch. Ils attirent les autres à la table sur un sujet et ils changent de sujet une fois à la table. Je pense qu’on va constater que l’un des premiers vrais objectifs sera le chapitre 19 sur le règlement des différends. C’est Brian Mulroney qui avait d’ailleurs réglé cette affaire à l’époque.
Carl Grenier a aussi joué un rôle dans les négociations internationales du GATT (OMC). Il enseigne également à l’Université Laval et à l’École nationale d’administration publique (ENAP) au sujet des institutions politiques nord-américaines et de l’économie politique internationale.