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De vastes zones de non-traitement (ZNT) aux pesticides ont récemment été établies en Argentine de multiples façons, soit par décret municipal ou par des décisions de justice condamnant des cas d’intoxication ou de pollution des eaux dues à des épandages accidentels. Cela se fait au moyen de distances minimales d’interdiction d’épandage allant de 50 m à 2 km tout autour des villes et villages ayant adopté de telles mesures.
Dans la seule province de Buenos Aires (23,7 millions d’hectares de surface agricole en plaine), entre 2006 et 2023, pas moins de 77 cantons agricoles sur la centaine que compte cette province ont établi leurs propres ZNT sur la base d’études, qui sont très loin de faire l’unanimité au sein de la communauté scientifique.
Doublement en colère, les céréaliers concernés s’estiment d’abord lésés d’un point de vue économique – ne pouvant protéger leurs cultures contre les ravageurs et les maladies avec des produits pourtant homologués –, mais également stigmatisés d’être dépeints comme des pollueurs devant leurs concitoyens.
En Argentine, aucune loi nationale n’encadre l’activité d’épandage, tandis que les contrôles sont rares. Face aux cas d’épandages mal faits, les conseils municipaux ont réagi sous la pression des familles de victimes d’intoxication.
« C’est un chaos réglementaire », dénonce le syndicat d’agriculteurs de la Confédération des associations rurales de Buenos Aires et la Pampa, qui réclame un cadre réglementaire national.
D’ailleurs, selon la réglementation actuelle, ni l’usage de buses antidérive, ni celui de haies ou de couverts végétaux ne permettent de réduire ces distances périmétrales d’interdiction.
Le cas de Pergamino, une ville de 100 000 habitants entourée de 300 000 hectares de terres parmi les plus fertiles au monde, est emblématique. Depuis 2019, l’arrêt d’un juge fédéral, à la suite d’une pollution des eaux aux pesticides – des résidus de 18 types de pesticides ont été détectés dans un puits lors de l’enquête judiciaire –, a interdit toute application de pesticides et d’engrais dans un rayon de 1 095 m tout autour de la ville. Ainsi, il a condamné à l’état de friche une bonne partie des 12 000 hectares agricoles compris dans ces ZNT.
« Le manque à gagner induit par ces ZNT est énorme. Au lieu d’être converties en surface bio, les parcelles concernées sont soit bétonnées, soit laissées à l’abandon, et les rats et les mauvaises herbes y pullulent », raconte Ana Guercio, l’une des trois agronomes chargées par la municipalité de Pergamino de contrôler ces ZNT.
Le producteur de grains Jorge Boca est à la tête d’un groupe de céréaliers de Pergamino qui a apporté au tribunal chargé du dossier, après trois ans de travail, des preuves scientifiques pour démonter les bases de la sentence du juge. « Mais ce juge ne les a même pas ajoutées au dossier. L’affaire est politique, volontairement bloquée », dénonce M. Boca.
Ces ZNT surgies soudainement auraient déjà signifié la perte d’une production potentielle de soya d’une valeur cumulée d’environ 200 M$ US depuis 2019, selon lui.
Il n’y a pas que ça. « On nous voit plus que jamais comme des pollueurs invétérés. La convivialité entre voisins a été cassée. Des graffitis apparaissent sur les murs du bourg, du genre “Les épandages, ça suffit”. Comme si nous ne vivions pas à la campagne », déplore-t-il.
« J’ai un terrain de 100 hectares, dont un tiers est situé en ZNT. Mon manque à gagner personnel à cause de cet arrêt de justice a été d’environ 100 000 $ US cumulé sur cinq ans », dit-il, sur la base d’une perte de rendement potentiel d’environ 2 t de soya/ha en moins, faute de pouvoir traiter ses cultures. « Je peux désherber par voie mécanique, mais sans pesticides, la lutte contre les ravageurs et les maladies est perdue d’avance. »
La situation au Québec
Au Canada, la loi fédérale sur les produits antiparasitaires régit le cadre réglementaire et s’applique à toutes les provinces et à tous les territoires. Les produits phytosanitaires doivent être homologués au niveau national par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) pour être commercialisés ou utilisés. Les mises sur le marché des molécules sont aussi autorisées à l’échelle nationale.
Selon Salah Zoghlami, le directeur des affaires agronomiques des Producteurs de grains du Québec, « les provinces ont la prérogative de pouvoir renforcer certains aspects de cette loi pour l’adapter à la réalité de leur territoire ». Il estime qu’à cet égard, le Québec est l’une des plus sévères. « L’usage de certaines semences enrobées d’insecticides, par exemple, y est plus restreint que partout ailleurs dans le pays. Ceux qui plantent ces semences doivent suivre des cours et détenir un certificat d’application de pesticides, à l’instar de tous les applicateurs, rappelle-t-il. Ces derniers et les vendeurs de produits antiparasitaires doivent tenir un registre d’application de pesticides à jour avec la justification de leur utilisation. »
Depuis plus de 30 ans, les distances déterminant les zones de non-application sont très spécifiques pour les cours d’eau (3 m) et les puits (jusqu’à 100 m). Les municipalités peuvent même aller plus loin dans la réglementation.
« Lorsqu’il n’existe pas de réglementation nationale, comme en Argentine, et que les règles adoptées à l’échelon municipal l’ont été uniquement à la suite d’accidents sanitaires, alors cela fait un peu le Far West. Le laxisme ou l’absence de contrôle confère à nos concurrents producteurs de soya argentins un avantage comparatif économique déloyal, puisque le marché est le même pour tous », insiste M. Zoghlami.