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Après les attaques des États-Unis contre le secteur laitier et le bois d’œuvre, la Terre échange sur la renégociation de l’ALENA avec Carl Grenier, un expert des institutions politiques nord-américaines et de l’économie politique internationale.
Quel est le chemin probable de cette renégociation de l’ALENA?
Il faut d’abord que la nomination de Robert Lighthizer, le représentant au commerce qui sera responsable des négociations, soit approuvée par le Sénat. Sa nomination est retardée parce qu’elle a été liée par certains sénateurs à un projet de loi qui donnerait des droits de pension à des travailleurs des mines.
La deuxième étape concernant l’ALENA, c’est qu’il faut que Robert Lighthizer dépose un avis d’intention de négocier de 90 jours devant le Congrès. Aux États-Unis, la loi permet à l’exécutif de négocier des accords commerciaux, mais c’est le Congrès qui est le maître du jeu. Bref, l’exécutif, le représentant au commerce, peut négocier des accords, mais sous l’autorité du Congrès, qui est étroitement associé au processus. Pour les grandes négociations, le Congrès légifère et indique jusqu’où peuvent aller les négociateurs américains. C’est un processus très ouvert; il n’y a pas beaucoup d’autres pays qui font ça. Le Congrès peut alors ajuster le mandat [qui est indiqué dans l’avis d’intention]. En fait, cette négociation ne pourra probablement pas être lancée avant la fin de l’été ou au début de l’automne, à tout casser. C’est très frustrant pour M. Trump qui veut toujours aller vite, vite, mais il doit se plier à la loi.
Est-ce que le Congrès peut baliser la demande de Trump, notamment pour l’empêcher de déchirer l’ALENA?
Oui, c’est à ça que sert le passage devant le Congrès. Il n’a d’ailleurs jamais été question de déchirer l’ALENA, Trump dit n’importe quoi là-dessus. C’est assez certain qu’il ne comprend pas la dynamique et la réalité de ces choses-là. Pour déchirer un accord commercial de 20 ou 25 ans, il faut tenir compte des intérêts et des investissements en jeu. Les avantages de l’ALENA sont largement réalisés par le Canada et les États-Unis. Si vous mettez ça par terre, il va y avoir des pleurs et des grincements de dents des deux côtés de la frontière. Les lobbys américains vont se faire entendre.
Mais il ne faut pas se faire d’illusion, les deux chambres du Congrès sont républicaines. Les lobbys canadiens ne sont pas assez forts pour influencer ce processus. Les lobbys de consommateurs américains non plus. Les priorités des États-Unis, du Canada et des autres pays sont définies par les producteurs, pas par les consommateurs. Ça ne changera pas à court terme. Ces groupes de pression de producteurs sont les principaux bailleurs de fonds aux élections américaines. Ils sont très puissants et leur principal point de pression, c’est le Congrès, pas le président. C’est là que ça se décide.
Est-ce que les demandes américaines sont claires?
Les gouvernements du Canada et du Mexique ont déjà signifié leur intention d’acquiescer à la demande de Trump de renégocier l’ALENA, sans savoir ce qu’il voulait. Avec les tweets du président, ça se précise un peu, mais c’est parfois contradictoire. C’est souvent la dernière personne à qui il a parlé qui détermine ce qu’il nous dit. On a l’impression que son discours de campagne est constamment répété.
Le bois d’œuvre fera partie des sujets qui seront à la table des négociations et la gestion de l’offre aussi. Les producteurs sous gestion de l’offre ont bénéficié d’une situation extraordinaire; c’est l’échec des relations multilatérales. Il y avait déjà eu une coupe de l’ordre de 30 % des tarifs de la gestion de l’offre en 1994. Il n’y a pas eu d’autres coupes des tarifs depuis. Je pense que les Américains vont dire que ces tarifs n’ont pas de bon sens. Il va y avoir une pression pour que ces tarifs soient coupés d’un certain quantum. Si le Canada ne veut pas faire de concessions là-dessus, ça va coûter cher à d’autres industries. Il n’y a pas de secret, c’est comme ça. Le Canada est maintenant le seul à défendre la gestion de l’offre; c’est toujours problématique d’être seul.
On parle maintenant de quotas tarifaires : un certain volume entre et au-delà, c’est un tarif [qui s’applique]. Comme avec l’Union européenne. C’est probablement sur ce modèle que la négociation se ferait. Ce ne sera pas le libre-échange pur et dur. Les Américains eux-mêmes ne peuvent aller jusque-là et le Canada non plus. Même si le Mexique fait partie de l’ALENA, ça va être une négociation bilatérale sur les questions agricoles ou d’accès au marché.
Combien de temps prendra la négociation?
La renégociation prendra des années. Dans les années 1980, ça a pris plus de deux ans pour le premier accord [l’ALÉ, signé en 1988], et l’ALENA a pris deux à trois ans. L’accord est alors passé de 250 à 1 000 pages. On a obtenu une chose que personne d’autre n’a obtenue depuis avec les Américains, le chapitre 19 sur le règlement des différends. C’est certainement quelque chose que les Américains vont vouloir éliminer complètement. La grande concession canadienne avait été le chapitre 6 sur l’accès garanti au pétrole et au gaz. Le président Trump oublie que les exportations [canadiennes] sont encore largement des ressources naturelles, peu transformées. On est le réservoir de matières premières des États-Unis.