Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
Avant de quitter Paris et ensuite Honfleur pour s’embarquer en direction de la Nouvelle-France, Louis Hébert a reçu une lettre datée du 18 février 1617 et signée de la main du sieur Du Gua de Monts, l’homme derrière Samuel de Champlain :
« […] Jusqu’ici, l’établissement de notre colonie n’a jamais bénéficié des services d’une personne ayant véritablement saisi l’importance de deux points principaux. L’un d’eux concerne la culture de la terre d’où proviennent la nourriture et les breuvages puisque le climat ne promet ni vin ni cidre. L’autre point est l’entretien du bétail. Ces deux objectifs se réalisant, on peut alors penser maintenir nos gens là-bas et puiser à même le pays les autres nécessités. […] Les réalisations élevées accordent la gloire à ceux qui y contribuent, et nul doute que vous en récolterez si vous poursuivez dans votre détermination comme je vous le conseille fortement. […] J’espère que votre propre réussite incitera d’autres familles à aller vous tenir compagnie. À vous iront alors les honneurs de leur avoir servi d’exemple. […] »
Cette lettre est riche d’informations pour l’historien. Tout d’abord, elle rappelle le projet et le désir du sieur Du Gua de Monts et ceux de Samuel de Champlain de faire en sorte que la colonie soit autosuffisante sur le plan alimentaire. Les deux hommes désiraient domestiquer le pays et assurer la subsistance des colons. Malheureusement, ce souhait ne s’est pas réalisé à ce moment-là, puisque les disettes étaient communes aux colons, étant donné que ce qui était produit localement s’avérait insuffisant pour satisfaire les besoins alimentaires de l’ensemble de la population. En 1627, pour assurer leur survie, 55 des 72 habitants de Québec dépendaient de la Compagnie des Six-Associés qui leur fournissait des viandes et des morues salées, des farines pour le pain et les galettes, des épices, du sucre, des raisins, des pruneaux, des amandes, des pois, des carottes, des choux, des laitues, des melons, des concombres, des betteraves et des navets.
L’autre élément intéressant dans la lettre du sieur Du Gua de Monts, c’est son insistance sur « la gloire » et « les honneurs » qui ne manqueront pas de retomber sur Louis Hébert s’il accepte de se rendre à Québec afin d’aider la colonie à se développer. C’est donc dire que parmi les raisons pour lesquelles celui-ci s’est installé à cet endroit avec sa famille, la gloire et les honneurs ne sont pas à négliger. Louis Hébert n’était sûrement pas insensible aux propos du sieur Du Gua de Monts, même si ses biographes insistent sur sa très grande modestie. Il était assurément conscient de « faire l’Histoire » en contribuant à la colonisation française en territoire nord-américain.
Héroïque défricheur ou apothicaire et botaniste?
Au départ, la famille Hébert-Rollet avec Champlain lui-même étaient les seuls Français à cultiver la terre à Québec, en plus des Récollets et des Jésuites. Ils produisaient notamment du blé, du froment, du seigle, du maïs, de l’orge, des choux, des radis, des laitues, des courges, des pois, des haricots, des raisins et des pommes. Champlain décrit Louis Hébert comme le « premier chef de famille résidant au pays, qui vivait de ce qu’il cultivait ». Laure Conan, l’une des biographes de Louis Hébert, le compare à un « apôtre » en faisant de lui un « héroïque défricheur » qui, « au prix d’effrayants sacrifices », a ouvert la voie à ceux qui ont suivi. Les historiens d’avant la Révolution tranquille ont eux aussi glorifié Louis Hébert le producteur, le premier colon de la Nouvelle-France à avoir pratiqué l’agriculture. Or, cette représentation est fausse. Premièrement, Louis Hébert n’est pas le premier Français à l’avoir fait. Entre 1541 et 1543, à Cap-Rouge, là où se trouve aujourd’hui le site archéologique de la première colonie française d’Amérique du Nord, les hommes qui ont accompagné Jacques Cartier et Jean-François de La Rocque sieur de Roberval ont cultivé la terre après leur arrivée. Deuxièmement, les autochtones, bien avant les Français, cultivaient déjà les « trois sœurs », soit le maïs, la courge et les haricots.
Si « l’historiographie du terroir » des années 1910 a fait l’apologie de Louis Hébert comme le premier agriculteur de la Nouvelle-France, c’est parce que le clergé québécois était grandement préoccupé par le processus d’urbanisation de la province qui était en cours. En réaction à cette urbanisation croissante, le clergé prônait la colonisation du territoire. Louis Hébert a donc été instrumentalisé par le clergé, à titre de pionnier de l’agriculture, mais cela s’est fait au détriment de sa carrière d’apothicaire. Aujourd’hui, il est davantage reconnu comme le premier apothicaire et botaniste de la Nouvelle-France. C’est que Louis Hébert se passionnait pour la nature en général; il s’intéressait aux vertus médicinales des plantes. Il a repéré et identifié les espèces provenant de la flore de l’Amérique du Nord. Mais encore là, il faut reconnaître l’apport des Amérindiens. Ils l’ont aidé dans sa tâche, lui le parisien devenu agriculteur après avoir accompagné Champlain en Acadie lors de ses précédents voyages en Amérique du Nord.
Louis Hébert avait pour gendre Guillaume Couillard, un colon qui est arrivé à Québec en 1613 à titre de charpentier au service de la Compagnie. Comme son beau-père, il aimait cultiver la terre. Le 27 avril 1627, il a marqué l’histoire de l’agriculture à Québec en utilisant pour la première fois une charrue et un bœuf pour labourer la terre. Jusque-là, les colons français utilisaient la bêche pour bouleverser le sol.
La chute sur la glace
L’année 1627 est importante pour une autre raison : elle correspond à la date de la mort de Louis Hébert. En janvier, il a fait une chute sur la glace, qui l’a laissé dans l’agonie un certain temps jusqu’à son dernier soupir le 25 janvier. Il était dans la cinquantaine. Son corps a été inhumé dans le cimetière des Récollets et ses restes ont par la suite été déplacés dans le caveau de la nouvelle chapelle de l’endroit construite en 1678, qui se trouvait sur le site de l’actuel Hôpital général de Québec en basse-ville de Québec. Louis Hébert est mort en compagnie de ses proches, à la maison, là où il a dicté de vive voix ses dernières volontés.
Éric Dussault ~ Ph. D. en histoire