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Par Marc-Alain Soucy – « J’étais assise seule dans la camionnette, perdue au milieu de nulle part. Il pleuvait à boire debout. Gilles avait roulé le bas de ses pantalons pour ne pas les mouiller et avait disparu dans la végétation qui lui allait jusqu’au menton. »
Découvrez en vidéo les tracteurs antiques sur L’Utili-Terre.
« Je ne le voyais plus depuis un bon moment. Il était à la recherche de la carcasse d’un vieux tracteur qui aurait été abandonné là depuis plusieurs années. Je me suis mise à avoir peur, je me disais que s’il ne revenait pas, je n’étais pas capable de sortir de ce trou, j’étais au bord de la panique », raconte Linda, la conjointe de Gilles Michaud, producteur de lait à Kamouraska et collectionneur de tracteurs antiques. Pour elle, la passion de son mari pour ces engins dépasse la raison. « C’est plutôt de la folie », dit-elle, sourire en coin.
Ceux qui croyaient que les collectionneurs sont tous des rentiers tranquilles qui, de leur chaise berçante, achètent et revendent des antiquités, doivent revoir leurs perceptions, en tout cas dans le cas de Gilles Michaud. Ce dernier n’a pas le nez dans les catalogues, il a parcouru le Québec, l’Ontario, les Maritimes, les provinces de l’Ouest et le nord des États-Unis à la recherche de ses vieux tracteurs. « Aujourd’hui, j’en possède entre 50 et 60. Sans blague, je n’ai jamais compté », dit-il.
Indiana Jones
Un jour, notre héros s’est retrouvé avec un groupe d’amis dans des chemins de pénétration, en Abitibi près de Senneterre, à une centaine de kilomètres de toute civilisation. Leur mission : trouver dans un chantier forestier abandonné un tracteur Norseman 1954. Un spécimen rare puisqu’il n’a été produit qu’à environ 60 exemplaires. Il était perdu dans la végétation et loin de toute route. Il aura fallu un skidder pour le sortir du bois. « C’était de la pêche sans canne à pêche », raconte Gilles à L’Utili-Terre. De la pêche parce que souvent, dans ce sport dispendieux, on revient bredouille. Mais pas cette fois.
Il faut donc s’attendre à ne pas toujours trouver ce que l’on cherche. Et si l’on trouve, il arrive que le propriétaire de la perle rare qui manque à notre collection ne veuille pas s’en départir. « Il faut être patient, tenace et bon stratège à l’occasion, pour convaincre un propriétaire de se départir d’un tracteur qui a une valeur sentimentale. J’ai déjà mis jusqu’à trois ans pour convaincre des gens de vendre. Il n’est pas rare qu’on me dise : “J’ai élevé mes huit enfants avec ce tracteur, il fait partie de la famille, je ne veux pas le laisser partir” », raconte le collectionneur. Heureusement, certains n’ont pas à être convaincus; ils se rendent bien compte que leur vieux compagnon de route est en train de rouiller derrière une grange et que bientôt il n’en restera qu’un tas de ferraille irrécupérable. Ils se résignent alors à s’en séparer parce qu’ils espèrent que Gilles Michaud va redonner une deuxième vie et peut-être un brin d’éternité à la précieuse machine.
Gilles est encore étonné aujourd’hui de constater à quel point ces tracteurs abandonnés et écrasés sous le poids des ans éveillent souvenirs et nostalgie. Dans les familles d’agriculteurs, on aime bien encore se remémorer les bons et les mauvais coups de tel cheval ou encore, du tracteur sur lequel tous les enfants ont appris à conduire, par exemple. Gilles Michaud a payé jusqu’à 9000 $ pour un tracteur qui lui tenait à cœur, mais des gens lui ont également vendu de bons tracteurs pour un montant plutôt symbolique de 100 $, parce qu’ils en reconnaissaient la valeur patrimoniale.
Miracles
Si, à l’occasion, les péripéties autour de la recherche de tracteurs disparus et abandonnés font un peu songer aux aventures d’Indiana Jones, le travail qu’accomplit Gilles Michaud pour ressusciter ces vieux machins et en faire de beaux tracteurs rutilants relèverait quant à lui des miracles du Frère André.
Marcel Michaud, surnommé le patenteux de Kamouraska et frère de Gilles, raconte qu’il lui avait demandé si c’était une faucheuse qu’il avait rapportée dans son camion à son retour de voyage, tellement ce tracteur Massey-Harris 1938 était démantibulé et méconnaissable.
« Quand le tracteur est en très mauvais état, je repère d’abord les pièces qui manquent, et j’évalue les possibilités de les repérer dans mon réseau ou de les fabriquer. Au fil des années, j’ai appris à connaître beaucoup de monde dans ce milieu, et ça aide. Parfois, il me faut des années pour trouver une pièce manquante, admet-il. Ça prend de la persévérance. »
Musée
Près de sa maison, sur la route de Kamouraska, Gilles et ses amis ont construit un musée où sont exposés tracteurs et machines d’époque. Une belle bâtisse qui rappelle les granges des années 1900 couleur sang-de-bœuf . « J’ai acheté la peinture dans le Maine, c’est exactement la couleur utilisée à l’époque », insiste-t-il. Le musée a été ouvert au public pendant quelques années. Une certaine déception transpire cependant de la conversation quand L’Utili-Terre aborde ce sujet avec Gilles. « Il y a trois genres d’individus qui venaient visiter le musée et les tracteurs : ceux qui n’y voyaient que de l’argent, ceux pour qui ce n’était que de la ferraille et, finalement, ceux qui comprenaient », conclut-il, un brin nostalgique.