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LÉVIS – Le milieu de la finance et de l’investissement emprunte la tendance du durable, et l’agriculture pourrait en bénéficier, estime Jean-Martin Aussant, vice-président de Gestion Optimum et conseiller en investissement responsable.
Il a expliqué, lors de sa conférence au Sommet agroenvironnemental de Lévis, le 29 février, que des membres de Finance Montréal mettent de l’argent dans des projets concrets basés sur les critères ESG (pour environnementaux, sociaux et de gouvernance), et il est persuadé que de tels projets dans le secteur agricole intéresseraient les investisseurs.
Florian Roulle, vice-président en finance durable chez Finance Montréal, a précisé que si le milieu de la finance démarre des stratégies d’investissement pour améliorer la gestion des sols, de l’air, de l’eau et des écosystèmes, c’est que les décideurs comprennent que les changements climatiques posent un risque réel sur leurs investissements en infrastructures, de même que pour l’économie en général.
Jean-Martin Aussant a même soumis l’idée de créer un fonds québécois, doté de milliards de dollars, servant strictement à soutenir des projets agricoles ESG. Celui-ci pourrait, par exemple, servir à diminuer les superficies en monoculture, et ce, en épaulant des producteurs qui optent pour la diversification des cultures. À son avis, le concept de monoculture est présentement adopté par des producteurs qui désirent diminuer leurs coûts afin d’être compétitifs sur les marchés d’exportation.
M. Aussant a terminé sa présentation en disant que des rencontres comme le Sommet agroenvironnemental étaient importantes, mais qu’il fallait une suite pour se mettre en action avec des projets concrets.
Réactions mitigées des agriculteurs
La période de questions a laissé transparaître certaines réserves chez les agriculteurs présents au sujet d’un fonds ESG. Le président des Producteurs de grains du Québec, Christian Overbeek, a d’abord paru chatouillé par le commentaire de M. Aussant au sujet des monocultures. Il a ensuite affirmé que les agriculteurs n’avaient pas tant besoin d’un fonds pour acquérir des actifs agricoles, mais plutôt d’un soutien financier pour améliorer le portrait agroenvironnemental, et surtout, pour assurer la pérennité et la rentabilité de leurs fermes.
De son côté, Catherine Lefebvre, présidente de l’Association des producteurs maraîchers du Québec, a pris la parole pour indiquer qu’elle avait des clients qui arboraient le concept ESG. Ces derniers lui demandent de remplir plusieurs formulaires documentant ses propres pratiques de durabilité. Elle a déploré que de telles contraintes bureaucratiques ne donnent lieu à aucune rétribution supplémentaire.
Un autre agriculteur, Pascal Rheault, président de la fédération régionale de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de l’Abitibi-Témiscamingue, a cependant eu de bons mots pour le concept d’un fonds ESG. « Je crois que ça peut être une solution de plus. Si le fonds pouvait permettre d’opérer à long terme des projets moins rentables, mais essentiels pour une région comme la nôtre, comme un abattoir, ce serait bien. Mon inquiétude est de savoir qui aurait les mains sur le volant du fonds. Serait-ce la Caisse de dépôt [et placement du Québec], un conseil d’administration ou quoi? »
Déclaration commune
Une déclaration commune comptant parmi ses 11 signataires le président de l’UPA, Martin Caron, le professeur en économie écologique Jérôme Dupras, de l’Université du Québec en Outaouais, la présidente de l’Ordre des agronomes du Québec, Martine Giguère, et la directrice générale d’Equiterre, Colleen Thorpe, a été dévoilée en clôture du 3e Sommet agroenvironnemental. « Plus que jamais, il y a urgence d’agir de la part de tous les acteurs concernés », a lu le professeur Dupras. Les signataires estiment que « le succès des actions à réaliser ne peut se produire sans un leadership ambitieux de la part de nos gouvernements ». Ils exhortent ainsi les gouvernements provincial et fédéral à « assumer pleinement la responsabilité d’aller plus loin ». « L’avenir et la qualité de notre environnement, du monde agricole et de notre alimentation sont en jeu, conclut la déclaration. L’échec n’est pas une option. À nous tous d’y voir et d’agir maintenant! »
Le Far West dans la lutte contre les changements climatiques
Le directeur général de l’Union des producteurs agricoles, Charles-Félix Ross, fait valoir que les agriculteurs sont mobilisés dans la lutte contre les changements climatiques, mais que le concept de séquestration de carbone et de diminution des émissions manque d’encadrement. « Présentement, c’est le Far West! » décrit-il.
Selon lui, les pays se rencontrent dans les forums internationaux et se fixent des objectifs de réduction, mais après, sur le terrain, c’est complètement désordonné. Les compagnies se font compétition entre elles pour aller chercher des sources de réduction de carbone ou de séquestration, mais sans système de mesure ou protocoles clairs.
M. Ross souhaiterait que quatre à sept pratiques agricoles soient identifiées parmi celles qui génèrent les meilleurs résultats pour protéger la biodiversité, séquestrer du carbone et diminuer les gaz à effet de serre. Ensuite, les gouvernements pourraient reconnaître des protocoles.
L’économiste de formation dit que le temps presse pour coordonner les pratiques et les objectifs. Autrement, il craint que les grands transformateurs et distributeurs alimentaires prennent les devants et imposent aux agriculteurs leurs propres conditions de lutte aux changements climatiques, tout en en conservant les bénéfices.
Les laboratoires vivants du fédéral cheminent
Une cinquantaine de pratiques exemplaires ont été imaginées et testées dans les laboratoires vivants du gouvernement fédéral, affirme François Chrétien, directeur délégué à la division des laboratoires vivants chez Agriculture et Agroalimentaire Canada. Rappelons que lesdits laboratoires vivants sont réalisés directement à la ferme et réunissent notamment des agriculteurs et des scientifiques en vue d’élaborer des pratiques et des technologies permettant de résoudre des problèmes agroenvironnementaux.
Le fédéral a démarré ce projet en 2018 et y a accordé 24 M$ pour quatre laboratoires, dont un au Québec. En 2021, 185 M$ ont été ajoutés sur 10 ans pour augmenter à 14 le nombre de laboratoires et pour aider les autres agriculteurs à adopter des pratiques permettant de stocker le carbone et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.