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La ferme de blé de Sean Stanford, juste au sud de Lethbridge, en Alberta, se situe dans le coin extrême gauche du triangle de Palliser — une étendue de prairies englobant une grande partie du sud-est de l’Alberta, une bande du sud de la Saskatchewan et le coin sud-ouest du Manitoba.
La région porte le nom du capitaine John Palliser, explorateur qui, en 1857, a déclaré que toute la région était une terre en friche — si chaude et aride qu’aucune culture ne pousserait jamais.
Plus de 160 ans plus tard, alors que certaines parties des provinces des Prairies souffrent d’un autre été de sécheresse, la ferme de M. Stanford est certainement sèche.
Mais le producteur y fait pousser des cultures, grâce à une série de petits arroseurs, attachés à un gros tuyau et alimentés par un moteur électrique qui disperse l’eau d’un canal d’irrigation à proximité sur certains de ses champs.
« J’espère que cet automne, je vais mettre en place un peu plus d’irrigation sur quelques champs supplémentaires », affirme-t-il.
Assurance sécheresse
L’économie du sud de l’Alberta telle qu’on la connaît n’existerait pas aujourd’hui sans irrigation. Dès la fin des années 1800, des investisseurs publics et privés ont commencé à construire un vaste réseau de barrages, de réservoirs, de canaux et de pipelines qui ont ouvert la région à la colonisation et transformé la soi-disant friche de John Palliser en une région agricole viable.
Selon l’Alberta WaterPortal Society, il y a maintenant plus de 8 000 kilomètres d’ouvrages de transport et plus de 50 réservoirs de stockage d’eau consacrés à la gestion de 625 000 hectares de terres irriguées dans la province.
Bien que cela représente un peu plus de 5 % du territoire agricole total de la province, cela compte pour 19 % de la production agricole primaire brute de l’Alberta. Les agriculteurs des districts irrigués sont en mesure de produire des cultures spécialisées de grande valeur telles que les betteraves à sucre et les légumes de serre.
« Il y a des endroits où nous n’aurions tout simplement pas d’industrie agricole s’il n’y avait pas d’irrigation — certaines parties de la province sont si sèches que nous ne cultiverions rien », note Richard Phillips, directeur général du Bow River Irrigation District, qui possède et exploite plusieurs centaines de kilomètres de canaux en terre et de conduites d’eau, ainsi que plusieurs réservoirs, dans la région de Vauxhall au sud-est de Calgary.
Au cours des années plus sèches que la normale — comme celle que connaît actuellement le sud-est de l’Alberta — l’irrigation est souvent la seule chose qui s’oppose à une catastrophe agricole à part entière, estime M. Phillips.
« C’est une excellente assurance contre la sécheresse, si vous voulez y penser de cette façon », dit-il.
Un besoin grandissant
Certains agriculteurs, selon la région, font face à leur troisième ou même quatrième année consécutive de sécheresse — 2021 étant une année exceptionnellement mauvaise qui a vu la production de certaines cultures au Canada tomber à son plus bas niveau en plus d’une décennie.
C’est en partie la raison d’une récente poussée pour moderniser et étendre les infrastructures d’irrigation dans ce pays.
En Alberta, en 2020, la province et le gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de la Banque de l’infrastructure du Canada, ont annoncé un projet de 932 M$ pour remettre en état les anciens équipements d’irrigation de la province, ainsi que pour construire ou agrandir jusqu’à quatre réservoirs de stockage d’irrigation hors cours d’eau.
La Saskatchewan a également annoncé un projet de 4 G$ pour doubler la superficie des terres irrigables de la province.
Le ministère fédéral de l’Agriculture prévoit que les changements dans les régimes de température et de précipitations dus aux changements climatiques augmenteront la dépendance à l’égard de l’irrigation et de la gestion des ressources en eau dans les années à venir, notamment dans les Prairies et l’intérieur de la Colombie-Britannique, mais « aussi dans les régions où il n’y a pas traditionnellement été un besoin d’irriguer ».
Les limites de l’irrigation
L’irrigation ne peut pas seulement être utilisée pour apporter de l’eau dans les zones qui n’en ont pas assez, elle peut également améliorer l’utilisation de l’eau disponible.
Avec le changement climatique, par exemple, les glaciers élevés dans les montagnes Rocheuses fondent plus tôt dans la saison — et non au moment de l’année où les agriculteurs ont réellement besoin de l’eau de ruissellement qui en résulte. Avec l’irrigation, l’eau de ces glaciers qui fondent tôt peut être détournée et exploitée dans des réservoirs pour être utilisée pour l’agriculture lorsque cela est réellement nécessaire.
Même avec une gestion efficace de l’utilisation de l’eau, il y a une limite à la quantité d’eau pouvant être tirée d’une seule source — et une limite à l’expansion de l’irrigation que le public tolérera, nuance Maryse Bourgault, agronome à l’Université de la Saskatchewan.
Celle-ci ajoute qu’une irrigation excessive peut également augmenter la nappe phréatique du sol, et lorsque cette eau s’évapore, elle laisse des sels derrière elle. Dans certaines parties du monde, les paysages et les écosystèmes ont subi des dommages à long terme.
L’irrigation est actuellement responsable d’environ 70 % des prélèvements d’eau douce dans le monde. Selon le Princeton Environmental Institute, environ 90 % de l’eau prélevée à des fins résidentielles et industrielles finit par retourner dans l’aquifère, mais seulement la moitié environ de l’eau utilisée pour l’irrigation est réutilisable.
Mme Bourgault est d’avis qu’au lieu d’étendre l’irrigation, les agriculteurs devraient chercher à atténuer les effets du changement climatique grâce à une meilleure génétique des cultures et à des pratiques agricoles alternatives comme la culture de couverture, qui peuvent réduire la quantité d’humidité perdue par évaporation.
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