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Les acériculteurs du Québec commencent à s’interroger devant les changements climatiques. Ils s’inquiètent pour la santé de leurs érablières et pour la pérennité de leur entreprise. Des recherches menées par des scientifiques québécois pourraient mener à des pistes de solution.
C’est un fait connu que les érables sont des arbres résilients. Leur capacité à encaisser les coups durs est toutefois mise à rude épreuve par la multiplication des événements climatiques extrêmes — record de chaleur, redoux hivernaux, gels précoces ou tardifs — qui devraient d’ailleurs gagner en intensité dans les prochaines décennies. Les racines, le feuillage et les réserves d’énergie des érables seront endommagés par les sécheresses, les faibles précipitations de neige et les gels hors-saison.
Ce n’est pas tout. De nouvelles espèces d’insectes pourraient monter vers nos latitudes, attirées par les nouvelles conditions météo favorables, et faire de sérieux ravages dans nos forêts.
Or, le bilan de santé actuel des érablières n’est déjà pas reluisant, souligne Tim Rademacher, lui-même acériculteur et chercheur à l’Université du Québec en Outaouais.
« On remarque actuellement un petit déclin dans la croissance des érables », mentionne-t-il, avant d’ajouter que cette dégradation ne date pas d’hier. « L’érable est un arbre qui ne réagit pas beaucoup. On verra assez tard ses signes de mauvaise santé. »
Devant cette situation, des chercheurs québécois sont à pied d’œuvre pour établir une nouvelle stratégie. « La question en acériculture, toutefois, ce n’est pas seulement de savoir si l’arbre va survivre. C’est aussi s’il va produire assez de sirop pour en tirer un revenu suffisant », dit M. Rademacher.
Pistes de solution
Quelques pistes de solution sont déjà préconisées. Elles obligeront toutefois les acériculteurs à rejeter le modèle actuel axé sur la monoculture au profit d’un écosystème plus diversifié, donc plus résilient.
« Par exemple, une forêt composée d’érables d’un bout à l’autre, c’est un buffet à volonté pour un herbivore qui aime les érables. Par contre, si une érablière est composée d’au moins 20 % d’essences compagnes, elle possède des barrières physiques pour empêcher la propagation », explique M. Rademacher.
Une diversification des espèces favorisera aussi la croissance et la bonne santé des érables. À ce chapitre, les bienfaits du tilleul sont incontestables. « Ses feuilles réduisent l’acidité du sol quand elles se décomposent. Or, les érables n’aiment pas les sols trop acides », explique M. Rademacher.
Le traditionnel drainage des érablières est aussi remis en question par les chercheurs. « Les érables à sucre aiment normalement les sols bien drainés, convient M. Rademacher. Mais avec des sécheresses à répétition, ce serait bien d’avoir plus d’eau dans les érablières. Cela affectera la croissance des arbres dans les années pluvieuses, mais cela les sauvera pendant les étés secs. »
Les chercheurs travaillent à l’élaboration d’outils d’acériculture de précision pour évaluer la santé de chaque érable. « Beaucoup de producteurs décident d’entailler ou non un arbre, de manière intuitive, pour lui permettre de se reposer. Peut-être qu’ils vont le couper pour le remplacer. Pouvoir prendre ces décisions avec l’aide d’outils de précision serait bénéfique à long terme », croit Tim Rademacher.
Déménager au nord
Les scientifiques ne s’entendent pas sur la pérennité de l’acériculture dans le sud du Québec. Si certains lui prédisent un avenir encore florissant pour plusieurs années, d’autres voient un déclin certain à moyen terme.
Les changements climatiques pourraient cependant bénéficier aux productions nordiques, croit Sergio Rossi, chercheur à l’Université du Québec à Chicoutimi. Mais quel érable, planté aujourd’hui, s’adaptera parfaitement au climat de demain? La réponse demeure vague dans l’état actuel des connaissances.
Faut-il privilégier l’érable rouge, plus rustique et plus tolérant, au détriment du traditionnel érable à sucre? Et de quel érable à sucre parle-t-on ? « Les érables à sucre à Chicoutimi ne sont pas les mêmes qu’en Beauce, rappelle M. Rossi.
En effet, les différents peuplements d’érables ont développé différents traits liés à des conditions locales. « Par exemple, on a identifié certaines différences dans la période de réactivation printanière, dit le chercheur. Pourquoi? Parce qu’ils se sont adaptés à leur milieu d’origine. »
En quête de l’arbre de prédilection des acériculteurs nordiques du prochain siècle, Sergio Rossi a donc entrepris d’étudier non seulement ces adaptations particulières, mais également les cycles biologiques entiers de l’érable. À ce titre, la dynamique de la coulée l’intrigue au plus haut point.
« Certaines journées, ça coule beaucoup. D’autres journées, il ne coule presque rien. Pourquoi? » se demande le scientifique.
« Les producteurs le savent : il y a des journées particulières qui déclenchent de grosses coulées. Je veux savoir exactement quelles sont les conditions nécessaires à ces journées particulières. Pour ça, il nous faut une connaissance précise des processus qui se mettent en place tout au long de l’année. Tant qu’on ne le sait pas, on ne peut rien prédire pour l’avenir. »
Le cycle de l’eau d’érable
C’est en effet toute une cascade d’événements entrelacés qui aboutissent en la production d’eau d’érable, rappelle M. Rossi.
« La coulée, c’est la période de réhydratation de l’arbre qui s’était libéré de son eau à l’automne pour résister aux températures glaciales de l’hiver. Elle se mêle au sucre que l’arbre avait accumulé dans ses cellules pour permettre aux dernières bulles d’eau de ne pas geler. L’eau d’érable en est le résultat. »
Même si ce phénomène est bien documenté, plusieurs questions restent curieusement en suspens. Les scientifiques, par exemple, ignorent toujours ce qui déclenche la production de sève, ou encore d’où ces sucres proviennent et comment ils sont stockés dans l’arbre.
« Si les changements climatiques allongent la saison de croissance, on pourrait croire que cela permettra à l’érable d’accumuler plus de sucre. Par contre, ces sucres sont l’antigel des plantes. Donc, si les températures sont moins froides, est-ce que les plantes vont chercher à accumuler moins de sucres ? », s’interroge Sergio Rossi.
« Moi, je n’ai pas la réponse. On vient de commencer », admet-il.
Cet article a été publié dans le magazine Forêts de chez nous de février 2023