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Depuis janvier 2022, l’ingénieur et agronome François Durand estime que tous les formulaires d’autorisation environnementale sont 10 fois plus complexes à remplir. « Le ministère de l’Environnement a changé ses façons de faire. […] Les coûts en honoraires [pour préparer les dossiers] ont doublé, voire triplé. J’ai des clients qui capotent », dénonce celui qui travaille pour le Groupe multiconseil agricole Saguenay–Lac-Saint-Jean.
M. Durand a même animé une conférence, en avril, devant des confrères agronomes, pour faire une mise à jour des nouvelles normes environnementales et de leur application dans le milieu agricole. Il y a décrit l’augmentation problématique des formulaires environnementaux par une série d’exemples. « Si un client veut agrandir une ferme de 4 200 à 5 200 kilos de phosphore, ce qui peut [correspondre à] ajouter 20 vaches, il lui faut un certificat d’autorisation. Avant, c’était un formulaire de trois pages, avec trois annexes, pour un total d’environ 15 pages. Aujourd’hui, c’est de quatre à huit formulaires, de 90 à 103 pages! » Au sujet du prélèvement d’eau, pour l’irrigation des cultures, le formulaire qui totalisait 21 pages est maintenant passé à 134 pages, compare-t-il. « Ça veut dire que pour le producteur, avant, ça lui coûtait moins de 10 000 $ en honoraires professionnels et maintenant, si son dossier n’est pas compliqué, c’est au moins 20 000 $, et si c’est compliqué, c’est plus », se désole-t-il. Le ministère devait alléger et réduire la bureaucratie. « Ils ont fait exactement le contraire! »
Le ministère confirme
Questionné par La Terre, le ministère de l’Environnement du Québec confirme que les formulaires sont maintenant plus costauds. « Le nombre de formulaires à remplir et le nombre de pages sont plus grands pour une demande d’autorisation ministérielle, reconnaît la relationniste de presse Bernadette Irwin. Les formulaires témoignent de l’importance du corpus réglementaire, qui va de pair avec l’importance de l’enjeu environnemental dans notre société. »
Mme Irwin précise que l’objectif de ces demandes accrues résulte d’un désir d’être plus prévisible. « Rappelons qu’avant l’adoption du Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement (REAFIE), les demandeurs déposaient une demande et se plaignaient de ne pas savoir quoi nous dire et à quoi répondre. Il s’en suivait de multiples échanges [avec] les demandeurs, qui nous ont reproché notre imprévisibilité. Le REAFIE est la réponse à cela. Maintenant, le [ministère de l’Environnement] est prévisible pour les demandeurs […], car les nouveaux formulaires rassemblent toutes les exigences légales et réglementaires afin que le demandeur puisse déposer une demande recevable qui respecte les critères du REAFIE », écrit Mme Irwin.
Elle ajoute que son ministère est cependant conscient que ce changement demande du temps et de l’adaptation de la part des demandeurs ainsi que des analystes. Il travaille d’ailleurs à améliorer ses processus pour faciliter le cheminement des demandes, tandis que les formulaires sont dans un processus d’amélioration continue et sont bonifiés régulièrement, assure-t-elle.
Sept ans de démarches pour cultiver une terre
L’agriculteur Patrick Déry, du secteur La Baie, au Saguenay, déplore la complexité des démarches et le pouvoir discrétionnaire du ministère de l’Environnement du Québec, alors qu’il vient tout juste de recevoir l’autorisation de remettre en culture la terre qu’il a achetée en 2014. Sa démarche auprès du ministère a duré sept ans et lui a coûté 20 000 $ en honoraires professionnels. « C’est une terre de 28 hectares qui avait déjà été cultivée et qui se trouve dans une tourbière. J’ai commencé ma demande pour la remettre en culture en 2016. Le ministère est venu voir ça et nous a dit qu’on devait faire faire une caractérisation écologique, etc. On l’a faite, et ils nous ont alors dit qu’on devait payer 7 M$ en compensations si on voulait la cultiver. C’est la même chose que les gens à Montréal doivent payer s’ils veulent construire des condos en zone humide! » s’insurge M. Déry.
De concert avec d’autres intervenants, il a participé à des représentations à Québec pour faire révoquer l’obligation des agriculteurs à payer ces fameuses compensations pour la mise en culture de terre en zone humide dans certaines régions. « En 2021, le règlement a changé. On a enfin pu faire une demande ministérielle pour la mettre en culture, mais j’ai été ensuite sept mois sans nouvelles, et finalement, il y a deux semaines, après une démarche extrêmement longue et 20 000 $ de paperasse, on vient d’avoir l’autorisation », raconte le producteur, qui commencera les travaux cet automne, après la période de nichage des oiseaux.
Une porte-parole du ministère de l’Environnement du Québec (MELCCFP), Bernadette Irwin, indique que pour les demandes d’autorisation ministérielles, le ministère s’est donné l’objectif de transmettre au demandeur la décision dans les 75 jours ouvrables, ce qui a été respecté dans 73 % des projets en 2021-2022. « Il est important de préciser que ce délai ne tient pas compte des périodes d’échange d’information entre le ministère et le demandeur afin de s’assurer que la demande est complète et recevable », nuance-t-elle. La relationniste ajoute que des rencontres sont possibles en amont des projets entre les demandeurs et leur direction régionale du ministère afin de s’assurer que leur demande est bien orientée, complète et recevable. Le MELCCFP dit travailler sur la mise en place d’une fonctionnalité en ligne qui facilitera les échanges avec les demandeurs.
Arbitraire
Au-delà des délais, M. Déry estime que le ministère de l’Environnement fait preuve de subjectivité. « Ils vont appliquer des normes d’autres milieux, des normes plus sévères qu’en agricole. L’analyste [du ministère] nous l’a carrément dit : ils ont un pouvoir discrétionnaire », témoigne l’agriculteur. À ce sujet, Bernadette Irwin indique que seul le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’aller plus loin que la réglementation. La relationniste dit que les analystes ne détiennent pas ce pouvoir discrétionnaire.