Environnement 15 novembre 2024

Des aménagements de cours d’eau 2.0

Les cours d’eau agricoles se retrouvent souvent au cœur d’une lutte entre les écologistes et les agriculteurs, mais avec un pas de recul, il suffirait de mieux les aménager pour aider à la fois les agriculteurs et l’environnement, dit l’hydrogéomorphologue Sylvio Demers. 

Les nettoyer plus stratégiquement, s’attaquer aux vitesses de l’eau, ré-évaluer le transport des sédiments, voilà la version 2.0 de l’aménagement des cours d’eau agricole qu’il prône. « Avant, l’aménagement était centré uniquement sur l’eau : sortir l’eau avec des formes rectilignes. Maintenant, il faut penser au transport sédimentaire et à l’évolution des formes dans le temps », plaide M. Demers. 

La forme de plusieurs cours d’eau a changé dans les années 1960. Aussi, de nombreux cours d’eau agricoles s’envasent à répétition. « Il faut les recreuser périodiquement. Ça crée de la frustration chez les agriculteurs. Mais de la façon dont les entretiens sont faits, on répète les mêmes erreurs. Il existe des solutions, comme de creuser juste le fond ou de faire des cours d’eau à deux étages »,  précise le fondateur de la firme Rivières.

Des structures de bois ancrées par des pieux de cèdre sont aménagées pour ralentir le débit des cours d’eau qui se ravinent.

Nettoyer plus efficacement 

Même si cela paraît contre-intuitif, Sylvio Demers explique que les fossés et cours d’eau agricoles nettoyés de façon traditionnelle, c’est-à-dire avec une pelle hydraulique qui creuse le fond tout en enlevant une couche de chaque côté de la paroi, crée deux problèmes. D’une part, cela élargit le cours d’eau avec le temps, ce qui diminue la vitesse de circulation de l’eau. Cela favorise l’implantation de la végétation au fond, ce qui diminue encore davantage la vitesse de l’eau. D’autre part, en nettoyant les parois, le sol devient à nu sur les côtés, ce qui crée de l’érosion lors des pluies subséquentes. Il s’agit là d’un cercle vicieux contribuant à l’envasement prématuré. 

La solution? Nettoyer le cours d’eau en privilégiant la méthode du tiers inférieur, où seulement le fond du cours d’eau est recreusé. Un concept plus poussé, nommé aménagement des cours d’eau à deux étages, a déjà été implanté en Estrie et, l’été dernier, dans le Bas-Saint-Laurent. Un petit chenal a ainsi été creusé dans le fond du cours d’eau, et ce, selon une forme sinueuse.

En étant plus étroit, il conserve une vitesse même lors de l’étiage [moment où le niveau d’eau est à son plus bas] afin que l’eau puisse transiter tout en évitant que les sédiments se déposent. La partie élargie permet de gérer une période de crue, tout en misant alors sur la végétation laissée sur les côtés pour aider à ralentir la vitesse et éviter de créer de l’érosion. C’est beaucoup plus durable comme entretien.

Sylvio Demers

De son côté, la sinuosité s’apparente à un cours d’eau naturel. « On crée de la complexité pour les habitats, avec des courbes et des profondeurs différentes. C’est une solution gagnant-gagnant, car il y aura moins d’envasement pour l’agriculture et le parcours sinueux offre un service écologique. C’est le genre d’exemple où l’on tente d’atteindre le meilleur compromis », décrit M. Demers. 

Pour diminuer les problèmes de sédimentation et d’envasement, Sylvio Demers recommande d’éviter de perpétuer les erreurs du passé en nettoyant seulement le fond des fossés. 

Diminuer le débit et le décrochage 

Dans certains cours d’eau agricoles, la situation est inverse : il y a trop de débit sur une base régulière qui gruge les berges, causant parfois l’affaissement du talus et des pertes significatives de champs. « On voit des cours d’eau qui ont doublé ou triplé de largeur. Le drainage de surface et souterrain des terres a amené plus d’eau et de vitesse dans ces cours d’eau. Il y a aussi de l’eau qui vient naturellement du milieu et parfois aussi des municipalités. Tout ça cause de l’érosion. Les gens réparaient le cours d’eau et stabilisaient les berges. Mais le problème se déplaçait ailleurs! Au lieu de s’attaquer aux conséquences, il faut s’attaquer à la cause. Il faut avoir moins d’eau. Ou, à tout le moins, la ralentir. » 

Il propose deux solutions. La première est d’ajouter de la restriction, soit de créer des amoncellements de bois retenus en place par des piquets. Les sédiments vont rester pris, le lit du cours d’eau sera rehaussé et l’eau continuera tout de même de circuler. « C’est une solution low tech, simple, pas chère et qui crée le moins d’embûches bureaucratiques, affirme-t-il. Car si on venait mettre des roches pour créer de petits barrages, ce serait vu par le gouvernement comme un remblai dans un cours d’eau. Il faudrait un plan et devis d’un ingénieur, ce qui n’est pas le cas avec le bois. » La simplicité d’exécution rend cet ouvrage à la portée des producteurs. « Il faut un effet cumulatif avec plusieurs de ces amoncellements sur la longueur des cours d’eau qui se ravinent. » 

M. Demers souligne que la faune et la flore profitent de ces amoncellements qui leur procurent ombrage et abris. « La rétention sédimentaire améliore la qualité de l’eau », ajoute-t-il. 

L’autre solution consiste à créer des élargissements ponctuels et contrôlés des cours d’eau qui se ravinent afin d’éviter les décrochements de talus dans les zones de cultures que le producteur désire garder droites, explique l’hydrogéomorphologue. 

Réconciliation

Les nouvelles solutions tracent une voie de réconciliation entre l’environnement et l’agriculture, estime Sylvio Demers, signifiant qu’il faut les développer et les implanter de façon plus systématique pour éviter que ces bonnes idées et ces projets pilotes se « perdent dans le temps ». 

Il précise toutefois qu’il n’y a pas de recette générale et que les nouvelles solutions ne corrigent pas toutes les situations. À la base, l’une des solutions les plus efficaces, selon lui, pour diminuer les débits de pointe et la sédimentation des cours d’eau demeure l’amélioration des pratiques agricoles, les fameuses bandes riveraines et,  surtout, les pratiques culturales qui ne laissent pas les champs à nu.