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Le 10 décembre dernier, le gouvernement canadien a annoncé l’instauration d’un programme permettant aux éleveurs de bovins de boucherie de recevoir, moyennant l’application de certaines mesures de réduction du méthane, une rétribution grâce à l’obtention de crédits carbone compensatoires. Le protocole appelé « Réduire les émissions de méthane entérique produites par les bovins de boucherie » cible, comme le terme entérique l’indique, l’alimentation des bovins d’engraissement, afin de réduire les émissions de méthane de leurs rots.
Selon Simon Lafontaine, doctorant en production bovine écoresponsable et président de la ferme Écoboeuf, à Dupuis, en Abitibi, le méthane entérique représente 60 % de la production totale de méthane d’une ferme de bovins de boucherie. Il rappelle également que, sur 20 ans, le méthane a 80 fois plus d’impact comme gaz à effet de serre (GES) que le CO2. Toutefois, comme un autre spécialiste consulté, il émet des réserves sur ce nouveau protocole en étant dubitatif quant à l’incidence réelle du programme et aux bénéfices financiers qu’ils pourraient engendrer pour les agriculteurs du Québec.
Le protocole, dont la version finale ne sera publiée qu’à l’été 2024, permet de soumettre des projets, comme l’ajout de gras dans l’alimentation pour favoriser l’augmentation de la masse de l’animal ou encore l’ajout d’algues. « L’impact de certaines de ces solutions est toujours en train d’être évalué par la recherche », précise Simon Lafontaine. Certaines des autres solutions qui donnent droit à des crédits sont aussi discutables, à son avis. « Il y a la possibilité d’administrer des hormones de croissance. Une croissance plus rapide permet de réduire les rots produits par l’animal [puisque sa durée de vie est raccourcie]. Le protocole encourage la réduction du fourrage, qui contient plus de fibres et est donc plus difficile à digérer, ce qui provoque plus de rots, par l’ajout de grains dans l’alimentation, une énergie facilement assimilable. Si on fait une analyse de cycle de vie complète, on constate que la production de grains a un impact a priori plus élevé sur le carbone que le fourrage. Il y aurait donc un déplacement d’impact. »
La gestion du fumier, plus rentable
Pour David Beaudoin, président de la firme de consultation Nel-i, spécialisée dans le marché du carbone, le protocole a une faille plus importante. Car avec le système actuel d’établissement des prix pour ces crédits compensatoires, le montant que peuvent obtenir les agriculteurs n’est potentiellement pas très élevé. À son avis, ils auraient plus à gagner à mettre leurs efforts de réduction d’émission de méthane sur la gestion du fumier plutôt que sur l’alimentation, et ce, en l’utilisant pour la production de gaz naturel. « Il y a deux programmes compensatoires au Québec qui permettent de gagner des crédits pour ça, soit en réduisant les émissions ET en permettant de produire du gaz naturel renouvelable, grâce à la présence d’usines de biométhanisation, explique-t-il. On parle de passer d’environ 50 $ la tonne à quelque chose entre 200 et 400 $ la tonne. »
Les usines comme celles de Nature Energy, qui verront le jour dans les prochaines années au Québec, fonctionnent d’ailleurs sur la base de production de gaz naturel à partir, principalement, de fumier et de lisier. À ce chapitre, Simon Lafontaine précise que le fumier en production de bovin de boucherie représente de 20 à 30 % des émissions globales de méthane d’une ferme.
Rappelons que le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a annoncé, durant la COP 28, sa volonté de réduire les émissions de méthane au Canada de 75 % d’ici 2030 par rapport aux émissions de 2012.
Qu’est-ce qu’un protocole de crédit carbone compensatoire?
Les crédits compensatoires permettent aux entreprises d’obtenir une rétribution financière en fonction des réductions d’émissions de GES provenant de sources qui ne sont pas déjà soumises à un système de tarification réglementaire, que ce soit par une taxe (un prix fixe du carbone) ou par un marché du carbone (qu’on appelle plafonnement et échange), comme au Québec. La réduction des émissions de méthane en production bovine n’est soumise à aucune tarification réglementaire. Mais le Québec, et maintenant le Canada, offrent tous deux des crédits carbone compensatoires à ce chapitre. Au Québec, 85 % des émissions de GES sont soumises au marché du carbone.