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Pour certains, l’épreuve les a marqués au fer rouge. Pour d’autres, cela a été une mauvaise tempête à traverser. Mais dans tous les cas, faire face à l’expropriation de sa ferme laisse des traces. « Il faut apprendre à vivre avec ça, mais on le sent toujours comme une agression », explique France Droulers, en parlant de la parcelle de terre qu’elle a dû céder.
La Terre a rassemblé ici les propos de différentes personnes touchées de près ou de loin par une expropriation.
Une nouvelle configuration de route
Yvan Bastien savait que la route qui contournait sa maison était dangereuse. Après tout, elle avait fait une vingtaine de morts en l’espace de 40 ans. Ce qu’il ignorait par contre, c’est que le ministère avait un nouveau tracé pour celle-ci. Un tracé qui allait forcer le producteur laitier de la Ferme Géobastien à détruire l’ensemble de ses bâtiments agricoles. « Je pense avoir fait un burnout, raconte M. Bastien. Ça a pris 4 ans à négocier la compensation, et pendant ce temps-là, je ne pouvais pas investir sur ma ferme parce qu’elle était sous un avis d’expropriation. » Après avoir refusé une offre inférieure à 625 000$, il a finalement obtenu une indemnité de 1,25 million de dollars, avec l’obligation d’utiliser l’ensemble du montant pour reconstruire ses bâtiments de ferme. La route a finalement été construite en 2006 là où les bâtiments de ferme se trouvaient. Désormais, l’arrière de sa maison fait face à la route.
Un pipeline et des lignes à haute tension
D’abord, il y eut 3 lignes à haute tension qu’Hydro-Québec a fait passer sur ses terres. Puis en 2005, c’était au tour d’Énergie Valero – Ultramar – de vouloir y faire passer son oléoduc. En l’espace de quelques années, France Lamonde, copropriétaire de la Ferme Montaye à Saint-Jean-Chrysostome a eu à négocier les conditions de plusieurs servitudes, mais celle-là aura été différente. En compagnie d’une soixante de propriétaires, elle a contesté les conditions qu’on souhaitait lui imposer. « On ne s’est jamais battu pour le prix, explique-t-elle, mais pour les restrictions qui venaient avec le passage du pipeline. » En 2011, après des années de contestations devant les tribunaux Valero n’entend plus à rire. « Ils nous ont dit « on ne discute plus et on exproprie » », dit-elle. Après une ultime négociation, les deux partis se sont finalement entendus sur les conditions de passage du pipeline : celui-ci allait passer en dessous des drains de la terre et l’entreprise allait être tenue responsable de tout déversement potentiel.
Un site archéologique
France Droulers ne digère toujours pas qu’on l’ait exproprié d’une partie de sa terre pour y faire place à un centre d’interprétation autochtone, au centre de ses champs. Son frère, alors propriétaire de la ferme, avait octroyé un bail à des archéologues en 1997 au coût annuel de 1 000$. Mais Mme Droulers n’entendait pas le renouveler à ce prix au moment de son échéance en 2017. Elle demandait plutôt 20 000$ par année. Résultat : des démarches d’expropriation ont été entamées en 2014 par la municipalité de Saint-Anicet, en Montérégie. Le gouvernement canadien, qui avait auparavant désigné ce site comme étant « historique », souhaitait mettre la main sur 10 hectares tout autour du site. Après s’être battue, Mme Droulers a obtenu gain de cause et limité l’expropriation à un peu moins de 2 hectares. Une indemnité de 90 000 dollars lui a finalement été versée.
Un aéroport régional
Gilles Gouger était « sous le choc » lorsqu’il a reçu des mains d’un huissier un avis indiquant le projet de la municipalité de Mascouche de construire un nouvel aéroport sur ses terres. C’était à l’été 2014. Douze terres comme la sienne avaient été ciblées par la ville pour y aménager une piste. « Ce soir-là, je n’ai pas dormi, dit-il. En fait, je n’ai pas dormi du reste de l’année. » Le producteur agricole entrevoyait d’être forcé de quitter la terre que son père et son grand-père avaient occupée avant lui. Heureusement pour lui, le projet a finalement été abandonné quelques mois plus tard. « Je m’étais préparé à l’expropriation, mais j’étais bien heureux de ne pas avoir à traverser cette expérience », confie-t-il.
Un parc national
Quelques mois après Mirabel, c’était au tour de 299 propriétaires de la péninsule de Forillon, en Gaspésie, de recevoir un avis d’expropriation à l’été 1970. Les gouvernements provincial et fédéral s’étaient entendus pour créer un parc national à cet endroit afin d’y attirer les touristes. Marie Rochefort, représentante du Regroupement des personnes expropriées de Forillon et leur descendance, se souvient encore très bien de la tristesse de son père, charpentier-menuisier de profession, au moment de l’annonce. « Il avait acheté cette terre de 1932, et pour lui, c’était une véritable richesse, raconte-t-elle. L’expropriation a transformé sa vie et celle de plusieurs autres qui pratiquaient comme lui une agriculture de subsistance en élevant des animaux. Du jour au lendemain, ils sont passés d’une autonomie alimentaire complète à devoir s’approvisionner dans de grandes épiceries. »
Des recours possibles Comment réagir lorsque c’est à son tour de recevoir un avis d’expropriation? D’abord, envisager la contestation. L’exproprié dispose de 30 jours pour procéder. Mais rares sont ceux qui ont gain de cause, explique Diane Simard, avocate et directrice des affaires juridiques à l’UPA. « Pour avoir gain de cause, il devra par exemple démontrer que l’expropriation n’est pas faite dans l’intérêt du public ou que la procédure n’a pas été suivie comme il se doit », dit-elle. Les deux parties négocient ensuite la hauteur de l’indemnité à être versée à l’exproprié. Selon la loi québécoise sur l’expropriation, cette indemnité considère d’une part la valeur du bien exproprié, mais aussi celle du préjudice causé directement par l’expropriation. S’il refuse les conditions qui lui sont présentées, l’exproprié peut ensuite s’adresser au tribunal administratif du Québec. |
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