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Les frères Jean-Paul et Mario Rouillard, producteurs laitiers à Rivière-Héva, en Abitibi-Témiscamingue, pourront continuer d’emprunter la voie publique pour faire traverser leurs vaches laitières de l’étable au pâturage.
Et ils ne seront pas obligés de faire circuler leurs bêtes en ligne droite, perpendiculairement au chemin, comme le stipulait à tort le règlement municipal sur les nuisances. Par contre, ils devront prendre les dispositions afin de mieux nettoyer la rue du Quai des bouses laissées par les vaches durant leur trajet.
C’est en gros ce qu’a conclu le juge Slobodan Delev, de la cour municipale de Val-d’Or, le 10 avril dernier. Après l’audition, le juge Delev a ramené d’une dizaine à cinq le nombre d’infractions commises dans cette affaire.
« C’est une grande victoire pour nous, car nous avons obtenu l’abolition des restrictions pour la traverse d’animaux, a déclaré Jean-Paul Rouillard, le 15 avril. Le juge n’impose pas de ramasser les excréments, mais de gratter après chaque passage des vaches. Ce fut une bataille très dure, que nous avons menée seuls, à toutes fins utiles. »
M. Rouillard s’est dit étonné que le juge ne fasse appel à aucune loi ou règlement agricoles dans cette affaire. Le magistrat ne parle ni de zone agricole, ni de droit de produire. M. Rouillard en conclut que « l’agriculture n’a pas de véritable protection ». Or, la Ferme R-2 est active depuis 1949.
Le maire Réjean Guay semble lui aussi satisfait du verdict. « Que les vaches passent dans le chemin ne me dérangeait pas, mais nous voulions que Ferme R-2 [les frères Rouillard] ramasse le fumier, et le juge l’y oblige après chaque passage des vaches », a-t-il déclaré à la Terre.
« Nous allons mettre à la poubelle la quinzaine d’infractions émises en 2012, a-t-il ajouté, car nous n’avons jamais eu l’objectif de nuire à cette ferme. »
Le règlement visé, qui date du 18 août 2010, faisait suite aux pressions de résidants et de plaisanciers qui circulent rue du Quai pour se rendre à leur propriété située sur le bord du lac Malartic et qui se plaignaient de la mauvaise odeur et des résidus de bouses de vache qui salissaient leurs autos.
Discriminatoire
Le juge Delev a déclaré les dispositions du règlement municipal imposant de faire traverser les vaches en ligne droite, perpendiculairement au chemin, « inapplicables, inopposables et ultra vires » parce qu’elles sont « déraisonnables et discriminatoires ». En conséquence, il a annulé les constats d’infraction visés.
Cette obligation « entraînerait des coûts importants, injustes dans les circonstances où la sécurité publique n’est pas un enjeu », note le juge. Les frères Rouillard ont en effet démontré, par balance de probabilités, que la traversée de leurs vaches effectuée ainsi depuis plus de 60 ans sans qu’aucun incident n’ait été rapporté ne pose pas de problème de sécurité, a expliqué le magistrat. Il ajoute « que les défendeurs ne font pas traverser leurs vaches sur une longueur de 150 mètres par caprice, mais pour des questions de salubrité et de santé de leurs animaux ».
Coupables
Le juge Delev a signalé « n’entretenir aucun doute » que les frères Rouillard sont coupables d’avoir contrevenu, à quelques reprises entre le 26 juillet et le 6 octobre 2011, au règlement municipal qui interdit de laisser des matières fécales sur la voie publique. Il n’a pu fonder sa décision sur des dates précises d’infraction, vu les propos confus et incohérents de Marcel Gilbert, le seul témoin. Le juge a évalué que de passer une gratte deux fois par jour et de déblayer les excréments sur le côté du chemin « n’est manifestement pas suffisant ».
Plus globalement, le juge soutient « que Rivière-Héva est tout à fait légitimée de vouloir protéger ses chemins publics de tous immondices, excréments, autres matières polluantes et/ou nauséabondes ». Il rappelle que la déjection d’excréments par des animaux sur les chemins publics est certainement une nuisance. « Il n’y a rien de discriminatoire ou de déraisonnable à demander aux propriétaires d’animaux de ramasser leurs matières fécales et il n’y a pas lieu de créer une exception à l’égard des vaches de la ferme R-2 », écrit-il.
Le juge a par ailleurs précisé « qu’il n’y a pas de droits acquis en matière de nuisance ». Il a aussi déclaré « que ce n’est pas parce qu’un règlement municipal ne s’applique qu’à une seule personne ou à un seul terrain qu’il est discriminatoire pour autant ».
Ce litige aura coûté fort cher aux parties, soit quelque 12 000 $ (avocats et spécialistes) pour la municipalité et encore plus pour les frères Rouillard.