Élevage 31 octobre 2018

« On pourrait perdre des millions »

La découverte d’un troisième cerf d’élevage atteint de la maladie débilitante chronique (MDC) des cervidés engendre déjà des répercussions graves : 3 500 têtes de l’exploitation qui commercialise le cerf de Boileau, en Outaouais, devront être abattues dans les prochains mois.

De plus, 12 autres fermes d’élevage du Québec ont été mises en quarantaine par le gouvernement. Le surplus de bêtes abattues pourrait créer un excédent de viande sur le marché et entraîner une baisse de prix importante pour les autres éleveurs. À cela s’ajoute le risque que les animaux d’élevage aient transmis la MDC aux chevreuils et aux autres cervidés sauvages de la province.

Haute génétique

« Ça fait 25 ans qu’on travaille pour obtenir une génétique haut de gamme. Si on doit abattre toutes nos bêtes, on pourrait perdre des millions », commente Denis Ferrer, directeur de l’élevage Cerf de Boileau. Le gestionnaire espère cependant que tout son cheptel ne soit pas abattu. « Les trois cas proviennent d’un seul parc. Il n’y a rien dans les autres parcs ni dans nos deux autres fermes. On attend d’avoir plus de résultats, mais s’il n’y a pas d’autres cas positifs, on souhaite que ces animaux [des autres parcs] ne soient pas abattus », dit-il.

Si l’entreprise devait abattre tout son troupeau, elle devra se départir de ses animaux reproducteurs au prix de la viande, soit cinq fois moins, affirme Denis Ferrer. Lorsque l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) terminera ses analyses du cheptel, elle pourrait obliger le producteur à décontaminer le sol où ont vécu les bêtes malades ou interdire l’élevage à cet endroit durant cinq ans.

Enquête complexe

D’où provient l’agent pathogène causant la MDC? Denis Ferrer assure qu’il n’a jamais acheté d’animaux de l’extérieur. Il a toutefois renouvelé son troupeau avec des semences ou des embryons issus de l’Europe et de la Nouvelle-Zélande. L’ACIA a ouvert une enquête pour tenter de trouver l’origine de la maladie.

Le président par intérim de l’Association cerfs rouges du Québec affirme avec inquiétude que la MDC est transmissible tant par l’équipement que par les bêtes. « Tous les éleveurs de cerfs rouges et de wapitis sont sur le qui-vive. On a une réunion téléphonique chaque semaine pour discuter de l’évolution de la situation. On veut être certains que la maladie soit éradiquée le plus vite possible », mentionne Gervais Therrien.

Il ajoute que 12 élevages de cerfs rouges ont été mis en quarantaine par le gouvernement. « [Ces exploitations] ont acheté un ou des mâles reproducteurs [de l’éleveur touché]. Elles seront en quarantaine tant qu’elles ne les feront pas abattre. Ça aussi, c’est stressant! » relate M. Therrien.

Surveillance de la faune

Le ministère de la Faune du Québec veut à tout prix éviter la contamination des cervidés sauvages comme le chevreuil et l’orignal par les cerfs rouges d’élevage atteints de la maladie débilitante chronique. En fait, les conséquences d’une telle contamination seraient catastrophiques pour la faune, mais aussi pour l’industrie de la chasse et ses retombées annuelles de 360 M$.

Le ministère a fait abattre plus de 150 chevreuils jusqu’à maintenant dans un rayon de 7,5 km de la ferme d’élevage et aucun n’était affecté par la maladie. Un peu plus loin, les chasseurs ont abattu 230 chevreuils jusqu’à présent et aucun n’affichait un résultat positif à la maladie. « Le travail se poursuit. On s’est fait un quartier général dans le secteur et beaucoup de monde se penche là-dessus, car si ça se propage à la faune, il n’y a pas de vaccin ni de traitement », dit Nicolas Bégin, relationniste du ministère.

Le marché déstabilisé

L’autre élément de crainte pour les éleveurs de cerfs rouges demeure sans contredit le déséquilibre du marché que provoquera vraisemblablement le surplus d’animaux abattus en raison de la maladie débilitante chronique. « La demande totale pour l’ensemble des éleveurs du Québec se situe entre 1 500 et 2 000 cerfs par année. Si une entreprise doit en abattre 3 500 d’un coup, ça fera un très gros surplus et les prix pourraient devenir dérisoires. On aurait aimé qu’ils [les dirigeants de Cerf de Boileau] viennent à notre réunion d’information [la semaine dernière] pour nous rassurer, nous dire à qui et à quel prix ils pensent vendre leur viande. Mais ils ne sont pas venus », se désole Gervais Therrien, éleveur et président de l’Association cerfs rouges du Québec.