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Vêtu d’une combinaison protectrice, de gants et de couvre-bottes, le Dr Frédéric Beaulac arpente les allées de l’étable, tel un inspecteur à l’affût du moindre signe de maladie ou d’inconfort. Un veau qui tousse. Un pelage en bataille. Des animaux amorphes. Une respiration saccadée. Un œil qui coule. Il observe aussi l’état des lieux. La qualité de l’air est-elle adéquate? Les mesures de biosécurité sont-elles respectées? Les animaux ont-ils accès à de l’eau fraîche et à de la nourriture?
Vision globale
Sa mission? Prévenir les maladies à l’échelle des troupeaux afin d’assurer la rentabilité des élevages. Cela passe notamment par l’éducation des producteurs aux enjeux de biosécurité et par une connaissance avancée des maladies à l’échelle du réseau de production. « On devient en quelque sorte des spécialistes de l’épidémiologie et de la gestion des grands troupeaux », résume le Dr Beaulac.
C’est pourquoi le vétérinaire intervient rarement auprès d’un individu malade. « Si je m’attarde à chaque animal, je vois chaque arbre, mais je ne vois pas l’entièreté de la forêt. Je risque alors de passer à côté de problèmes et surtout à côté de la prévention », illustre le Dr Beaulac, dont le métier exige un sens de l’observation hors pair.
Il met la main à la pâte et intervient sur les bêtes de façon individuelle en cas de mortalité. Le vétérinaire effectue régulièrement des nécropsies sur les veaux morts. L’objectif est de déterminer les causes du décès afin d’orienter ses recommandations aux producteurs, mais aussi de comprendre l’évolution des maladies. « C’est comme ouvrir une boîte de Pandore. On découvre de précieuses informations sur l’état de santé du troupeau et les maladies qui l’affectent », fait valoir le vétérinaire. C’est pourquoi il se complaît dans cette partie de son travail, aussi rébarbative soit-elle.
Une filière dynamique
S’il peut concentrer ses efforts sur la prévention, c’est grâce à l’autonomie des producteurs. Ces derniers assument plusieurs tâches : vaccination, administration de médicaments, prélèvements, parfois même des nécropsies chez les producteurs de fermes intégrées. « Les éleveurs de veau lourd sont très éduqués, renseignés et proactifs. C’est très stimulant de pratiquer dans cette filière », se réjouit le vétérinaire qui collabore avec eux depuis 20 ans.
D’abord pharmacien, Frédéric Beaulac a bifurqué en santé animale. Après l’obtention de son diplôme en 2001, il a opté pour les grandes populations animales, attiré par la nature intellectuelle et cartésienne de cette spécialité de la médecine vétérinaire. Les élevages porcins ont marqué son début de carrière, mais rapidement, il a migré vers le veau lourd. Aujourd’hui copropriétaire de Triple V, services vétérinaires ambulatoires, il se consacre presque exclusivement à ce secteur dynamique.
Entre l’étable et le bureau
Le vétérinaire passe en moyenne deux à trois jours par semaine sur le terrain. Ses visites à la ferme sont ponctuées de longs trajets sur la route, entre deux et quatre heures par jour, qu’il passe au bout du fil pour accompagner ses clients. Même si son entreprise est basée à Acton Vale en Montérégie, le vétérinaire dessert des fermes partout au Québec, son client principal étant le géant Délimax. Sa clientèle compte 80 % de productions intégrées et 20 % d’éleveurs indépendants, pour un total de 50 000 veaux de lait et 80 000 veaux de grain.
M. Beaulac doit faire preuve de flexibilité bien que la gestion d’urgences soit différente de ses homologues dans le secteur boucherie ou laitier.
Pour deux journées à la ferme, le Dr Beaulac passe en moyenne une journée derrière son ordinateur. Rédaction de prescriptions, réunions d’équipe, analyse de données, surveillances zootechniques à l’échelle des populations comblent son emploi du temps. Ces analyses s’avèrent cruciales pour le vétérinaire de veau lourd afin de prévenir les maladies et de conseiller judicieusement les éleveurs.
Une spécialité qui se tient
On compte sur les doigts d’une main les vétérinaires qui œuvrent dans la filière du veau lourd au Québec. Ils sont quatre à accompagner les éleveurs de la province. Un petit domaine où l’esprit de collaboration règne, témoigne le Dr Frédéric Beaulac : « On tient tous le même discours face aux enjeux de notre secteur : l’utilisation des antibiotiques et la qualité des veaux à l’entrée. »
Comment faire face à l’antibiorésistance? Dans la filière du veau lourd, les producteurs ont la réputation de renouveler leurs pratiques sur une base continue. Un bon coup de cette industrie… qui présente néanmoins un revers de médaille : les innovations contribuent à l’émergence de nouvelles maladies. « Dans les dernières années, nous avons eu à surmonter des défis, notamment avec la bactérie Salmonella Dublin et l’arrivée d’autres maladies », affirme le Dr Beaulac, qui a alors dû faire beaucoup d’éducation auprès des éleveurs. La résistance aux antibiotiques est le défi de l’heure des producteurs de veaux. Vacciner, implanter des mesures de biosécurité, administrer des traitements de rechange et opter pour le « tout plein, tout vide » contribuent notamment à limiter le recours aux antibiotiques. Mais ce n’est plus assez, avise le Dr Beaulac. « Actuellement, on est plafonnés dans l’efficacité des mesures en place. On a besoin de veaux de meilleure qualité », déclare-t-il sans équivoque. Au Canada, les veaux sont transférés huit jours après leur naissance. « C’est trop jeune. À ce stade, le système immunitaire du veau est encore très immature pour le protéger adéquatement contre les nombreux pathogènes auxquels il est exposé en raison de la provenance multiple des animaux », dit-il. La salmonelle représente un risque important dans les premières semaines, causant parfois des hécatombes au sein des troupeaux. « J’ai déjà vu des taux de mortalité de 20-25 % », témoigne le vétérinaire. « Si les veaux arrivaient à 20 jours de vie, cela ferait une énorme différence sur la santé des démarrages et nous aiderait à diminuer l’utilisation d’antibiotiques », croit le Dr Beaulac. Le taux de mortalité des veaux québécois est estimé entre 7 et 9 %, comparativement à 3 % dans les élevages européens qui préconisent le transfert près de trois semaines après la naissance. |
Marilynn Guay Racicot / collaboration spéciale