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Plus de 700 millions d’animaux d’élevage sont abattus annuellement au Canada (Chiffres de 2008). Plusieurs d’entre eux sont déplacés à quelques reprises durant leur vie, et, à ce sujet, de nombreux groupes de pression dénoncent les conditions de transport et la manipulation des animaux de ferme. Cette pression aura un impact concret sur les méthodes de transport du bétail, et ce, dès cet automne.
Réalisée en 1999, une étude sur les abattoirs de bétail canadiens indique que 54 % des carcasses présentaient des ecchymoses. Le stress ou les blessures rendent la viande plus foncée et raffermie, ce qui peut en diminuer la valeur de 20 à 30 %. L’étude souligne par ailleurs que les contusions étaient responsables à elles seules de pertes économiques annuelles de 4,3 millions de dollars. Bref, une bête qui a été blessée ou stressée entraîne souvent une dévaluation de la viande. Améliorer le bien-être animal peut donc comporter une incidence monétaire considérable, pour les producteurs et l’industrie. Ce bien-être dit économique inclut également l’opinion du consommateur, qui n’aime pas savoir que des animaux sont mal traités.
À ce sujet, la Société mondiale pour la protection des animaux (WSPA) a produit un document au printemps 2010, qui porte un regard très critique face au transport des bêtes d’élevage au Canada : « Le système canadien doit être amélioré. Les bêtes sont souvent entassées, compressées dans des cages, privées de nourriture et d’eau, et ce, parfois pendant de très longues périodes. Des animaux gravement blessés, handicapés et malades sont encore transportés, malgré que cela soit interdit par le Règlement sur la santé des animaux. De surcroît, un nombre inacceptable d’animaux meurent littéralement pendant le transport. »
Les groupes de pression misent sur la préoccupation grandissante de consommateurs nord-américains pour le bien-être animal, mais une autre carte se cache dans leur manche : la santé humaine. « Présentement, les bovins peuvent être transportés pendant 52 heures sans nourriture, sans eau, ni pauses pour se dégourdir. De plus, l’horloge est remise à zéro lorsque les animaux traversent la frontière. Or, le stress et la fatigue qu’ils endurent pendant le transport peuvent compromettre leur système immunitaire, les rendant plus susceptibles aux maladies et à la propagation de celles-ci. Des recherches effectuées par l’Université Texas Tech démontrent à cet effet que des animaux chargés en très grand nombre augmentent de 18 % à 46 % les niveaux de salmonelle dans leurs excréments », rapporte la WSPA. Qui plus est, le fait que des animaux arrivent stressés ou présentent des ecchymoses implique une dévaluation de la viande. Ce n’est donc pas le fruit du hasard si certains abattoirs et compagnies de transformation alimentaire emboîtent le pas du bien-être animal. « Les dirigeants de Cargill et St. Helen’s Meat Packers ont indiqué qu’ils exigeront des chauffeurs transportant le bétail d’avoir complété une formation sur le bien-être animal, et ce, dès cet automne », de dire Éric Léonard, agent de mise en marché à la Fédération des producteurs de bovins du Québec. De son côté, le gouvernement fédéral entend renforcer la réglementation sur le transport des animaux, afin d’améliorer l’espace alloué à chaque bête, la présence de nourriture et d’eau, la capacité d’appliquer la loi, et… afin d’imposer une formation à tous les conducteurs commerciaux du pays.
La formation
Les normes de bien-être animal semblent s’installer pour de bon dans la remorque des transporteurs d’animaux. La plus récente initiative est sans contredit cette formation aux chauffeurs sur le bien-être animal (voir encadré Aux bancs d’école). Plusieurs aspects intéressants sont enseignés, en voici quelques-uns :
Préparation du camion. Le chauffeur doit appliquer une litière suffisante qui absorbera l’urine et les excréments, et qui offrira une bonne adhérence. Car les animaux deviennent nerveux s’ils glissent, et cela accentue les risques de blessures. Au préalable, une remorque propre et désinfectée après chaque livraison est recommandée afin de diminuer les risques de propagation de maladies. L’inspection visuelle devra quant à elle attester que le plancher est sécuritaire, et qu’aucune pièce métallique tordue ou contondante ne puisse blesser les animaux.
Évaluation des animaux. Certains chauffeurs ne le savent pas, mais ils ont le pouvoir et même le devoir de refuser de transporter un animal souffrant, soit infirme, blessé, malade ou épuisé. Ils doivent donc prendre le temps d’observer le troupeau qu’ils transporteront. Évidemment, une bête qui n’a pas les capacités de se lever, de demeurer debout ou de marcher par ses propres moyens doit être refusée. Aussi, des espèces incompatibles en termes d’âge, de poids ou d’agressivité ne peuvent également pas être transportées ensemble, à moins que la remorque ne soit compartimentée.
La manipulation. Lorsque vient le temps de rassembler et de faire monter à bord les animaux, des méthodes de manipulation appropriées diminuent leur stress et améliorent de beaucoup leur bien-être. Du même coup, la sécurité des humains qui les manipulent. Le premier contact fait foi de tout. Un individu qui arrive rapidement, qui crie et gesticule avec des mouvements brusques, sera bien souvent perçu comme un agresseur par les animaux. Ces derniers seront alors agités ou stressés. S’ils ont été ainsi apeurés, il sera préférable de se retirer et d’attendre de 15 à 30 minutes. N’oublions pas que les animaux d’élevage sont, de par leur nature, des proies. Face à une nouvelle personne ou un environnement étranger, ils se mettent sur un pied d’alerte. Les meilleurs manipulateurs de bétail sont silencieux et s’efforcent de les déplacer en douceur, le rythme lent du pas étant souvent reconnu comme des plus efficaces et sécuritaires. Bud Williams, ce mythique spécialiste en manipulation d’animaux, suggère de ne pas forcer les bêtes dans une direction, mais de se positionner pour qu’elles prennent d’elles-mêmes cette orientation. Il déconseille également de continuer d’exercer une pression lorsqu’elles se dirigent dans la bonne voie. La personne qui manipule les animaux doit les observer et demander leurs antécédents à l’éleveur. Car une bête qui a souvent été manoeuvrée ou l’a été de la mauvaise manière peut développer un comportement erratique, commandé par la peur. De même, si elle souffre d’un manque d’eau et de nourriture, d’une blessure ou de parasites, elle pourra adopter des agissements imprévisibles, dangereux pour l’humain et nuisibles à son bien-être. Finalement, la remorque doit être bien éclairée. De fait, les bêtes ont peur ou hésitent à entrer dans une zone sombre, où pourrait se cacher un prédateur.
L’embarquement. Élément banal, mais important : le chauffeur doit s’assurer que la remorque se module à la rampe de chargement; autrement, des animaux peuvent s’y coincer la patte et se blesser. Les bêtes doivent pouvoir demeurer dans leur position naturelle, sans entrer en contact avec le plafond d’une section trop basse. Aussi, il ne s’agit pas de charger la remorque selon sa limite maximale de poids, mais d’allouer l’espace intérieur en fonction de la taille des animaux, de leur condition et de la température. Par exemple, un boeuf de 500 kilos devra disposer de 1,2 mètre carré de surface, tandis qu’un boeuf de 1000 kilos nécessitera plus de deux mètres carrés. Par climats froids, le chauffeur doit s’assurer que les animaux bénéficient d’assez d’espace pour changer d’emplacement, afin de ne pas avoir la même partie du corps continuellement exposée au vent ou appuyée sur la paroi froide de la remorque. Des animaux bruyants après l’embarquement, qui se bousculent pour de l’espace, trébuchent au sol sans être capables de se relever sont autant de signes d’une remorque surchargée d’animaux.
Ajustement de la ventilation. L’aération adéquate dans la remorque constitue un point majeur pour le bien-être animal. En période de chaleur, un maximum de ventilation doit être apporté aux animaux. Cela sous-entend de dégager toutes les entrées d’air et d’éviter de transporter trop d’animaux, car les individus au centre risquent de suffoquer. Si le camion tractant la remorque comprend un déflecteur d’air, celui-ci ne doit pas restreindre le débit entrant dans la remorque. Au-delà de 25 ˚C et d’un pourcentage d’humidité de 80 %, le camion ne peut demeurer stationnaire durant plus de 15 minutes. Dans de telles conditions de chaleur, le chauffeur a également la responsabilité de s’informer du trafic et des chantiers de construction; ceux-ci pouvant immobiliser trop longtemps le véhicule. De même, il lui appartient d’avoir sous la main quelques outils et pièces de rechange, afin d’être en mesure de réparer rapidement les problèmes mineurs. Des animaux haletants, se tenant debout, le cou allongé, la bouche ouverte, avec le corps mouillé annoncent l’hyperthermie. Si arroser le plancher ou vaporiser finement les animaux peut les rafraîchir, les asperger directement avec de l’eau froide est à proscrire; certains pourraient subir un choc mortel. Les conditions trop froides sont également à prendre au sérieux. Le chauffeur doit bloquer certains orifices de ventilation afin de prévenir les engelures causées par le vent froid. Il est impératif de conserver une certaine aération, autrement il se formera de la condensation, un facteur important d’hypothermie. De fait, la condensation détrempe les bêtes, ce qui, jumelé à une température froide, entraîne de graves pertes de chaleur. Les animaux en bas âge, ou ceux qui disposent de faibles réserves de graisse sont encore plus sensibles à ce phénomène. Aménager un épais tapis de paille constitue un bon moyen d’absorber la condensation et d’augmenter l’isolation du plancher. Quelques indices pour reconnaître des animaux qui souffrent du froid : les muqueuses gèlent au niveau de la gueule ou des naseaux du bétail, les bovins et les chevaux grelottent. Les porcs s’entassent ou grimpent les uns sur les autres, et leur peau peut se décolorer. Les animaux en général vont manger la litière, etc.
Conduite. Durant la première heure, le chauffeur doit particulièrement porter attention à sa conduite en accélérant lentement, en prévoyant de grandes distances de freinage et en effectuant de longs virages. Une heure après le départ, un arrêt s’impose afin de vérifier si les passagers sont confortables. Ce rituel est ensuite répété aux quatre heures. Lors des arrêts, le pilote fait acte de courtoisie en stationnant sa cargaison sur une surface… plane. Finalement, il faut respecter la réglementation au sujet du nombre d’heures maximales durant lesquelles les différentes espèces animales peuvent être confinées.
Accident. Dans le transport d’animaux, plusieurs croient que les conditions météorologiques sont responsables de la majorité des accidents. Mais selon une étude canadienne réalisée en 2007 sur le transport commercial de bétail, les conditions de la route n’en seraient responsables que dans 1 % des cas. En tête de liste : les erreurs de pilotage seraient à l’origine de 85 % des accidents. Et la plupart des accidents sont causés par la fatigue du conducteur. Avant d’entreprendre une livraison, le chauffeur doit s’assurer d’être éveillé et en santé. Il doit également être aux aguets sur la route, car de par son centre de gravité généralement plus élevé et le mouvement des animaux, une remorque de bétail se montre plus encline à verser. Les experts affirment qu’un transporteur d’animaux qui penche selon un angle supérieur à cinq degrés dépasse un point de non-retour et versera inévitablement. Aussi involontaire soit-il, un accident compromet sérieusement le bien-être des animaux. Mais une fois le véhicule renversé, ce qui se produit dans 83 % des accidents rapportés, le chauffeur doit tout d’abord assurer sa propre sécurité et ensuite prendre des actions pour minimiser la souffrance des animaux. Si des bêtes sont blessées, il le mentionne à la compagnie et, idéalement, fait venir un vétérinaire sur place pour euthanasier les cas graves. Lorsqu’il contacte les services d’urgence, le chauffeur demande à ce que les véhicules de secours n’activent pas leurs sirènes, ce qui effraierait les animaux et pourrait inciter certains à s’enfuir. Il ne faut pas tenter de remettre une remorque chargée d’animaux sur ses roues. Si des bêtes ont pris la fuite, le conducteur doit essayer de les rassembler, loin de la circulation. Pour le bien-être des chauffeurs, sur les lieux de l’accident, il est enseigné de ne pas parler… aux journalistes. Des déclarations sous le coup de l’émotion pourraient alimenter les grands titres!
La bonne vieille méthode
Au nom du bien-être animal, les remorques à bétail seront peut-être, un jour, obligatoirement équipées de climatiseurs ou d’appareils de chauffage, d’abreuvoirs et de mangeoires. La quantité d’animaux par remorque sera possiblement abaissée, tout comme le nombre d’heures de transport. Mais pour l’instant, la conscientisation des chauffeurs, par l’entremise du programme de formation CLT, fait office de premier pas. Car comme le signale la WSPA, « les mauvais traitements projettent souvent le reflet d’un manque d’éducation ou de sensibilisation au bien-être animal ». Au-delà de l’éducation reste la bonne vieille méthode des sanctions. Le gouvernement fédéral annonçait donc en octobre dernier que les contrevenants au Règlement sur la santé des animaux défrayeront dorénavant des amendes, dont le coût maximal passe de 4000 $ à 10 000 $. D’autres « livraisons » de règlements seraient également à prévoir concernant le bien-être animal dans le transport.
Des chiffres imposants
La Société mondiale pour la protection des animaux mentionnait qu’un nombre inacceptable d’animaux mourait lors du transport. Pour soutenir cette affirmation, l’organisme a analysé les documents de L’Agence canadienne d’inspection des aliments. « Pour les seules dates du 9 octobre 2008 au 9 janvier 2009, les statistiques révèlent que 153 bovins, 3396 porcs, 11 439 dindes et 634 634 poulets sont morts pendant le transport. Annuellement, c’est environ deux à trois millions d’animaux de ferme qui trépassent, en route vers les abattoirs canadiens. »
Aux bancs d’école!
Le Code de pratiques pour les soins et la manipulation des animaux d’élevage concernant le transport a été produit en 2001 par le fédéral. Plusieurs règles de bien-être animal s’y retrouvent. Sans mauvaise volonté, plusieurs chauffeurs méconnaissent ces normes. Comme première étape, l’industrie a alors demandé à ce que ces dernières leur soient enseignées. « Bien que je sois déjà une personne très conscientisée quant au confort des animaux, je ne vois pas d’un mauvais oeil une formation sur le bien-être animal dans le transport. Cela pourrait m’apprendre des trucs supplémentaires et valider de bonnes pratiques que nous appliquons déjà », mentionne Denis Bérard, un chauffeur d’expérience spécialisé dans le transport de vaches laitières d’exposition et de bovins. De son côté, Éric Léonard indique que le programme de formation pour le Québec reprendra le contenu du Certified Livestock Transport Training Program (CLT), tel que présentement dispensé aux transporteurs des autres provinces. En vue d’être certifiés CLT, les chauffeurs commerciaux ou les éleveurs transportant eux-mêmes leurs animaux depuis plus de deux ans devront assister au cours et réussir l’examen écrit. Les individus possédant moins de deux ans d’expérience devront suivre la formation, réussir l’examen écrit, et se soumettre à une évaluation en situation réelle.
L’aiguillon électrique
L’utilisation de l’aiguillon électrique doit être limitée; d’ailleurs, certaines compagnies l’interdisent complètement. Les recherches montrent que l’action de cet instrument peut créer un stress majeur à l’animal, notamment chez les porcs qui peuvent même en mourir. Économiquement parlant, leur carcasse en est dévaluée. Les transporteurs certifiés qui emploient l’aiguillon n’ont pas le droit, à tout le moins, d’atteindre la tête et les parties sensibles, ni de l’utiliser sur un animal en mouvement ou incapable de bouger. Les pagaies en plastique ou les spaghettis aquatiques sont la majorité du temps efficaces et à faible impact.
L’Agence réprimandée
La Société mondiale pour la protection des animaux (WSPA) a produit un rapport dénonçant certains problèmes reliés au bien-être animal dans le transport canadien. Ledit rapport ne se révèle pas vraiment négatif à l’endroit des producteurs agricoles, ni des transporteurs. C’est plutôt l’Agence canadienne d’inspection des aliments, cet organisme fédéral mandaté pour faire respecter la réglementation, qui est sévèrement blâmé. Tel que souligné par la WSPA, l’Agence canadienne d’inspection des aliments ne possède pas les capacités, notamment en terme d’effectifs, pour surveiller le transport d’animaux. Outre des généralités, difficile d’obtenir des précisions auprès de l’Agence quant à la véracité de ces allégations. À cet égard, rappelons qu’en 2008, l’Agence canadienne d’inspection des Aliments a reçu le Prix du Code du silence de l’Association canadienne des journalistes, concernant « ses efforts étonnants pour empêcher le public d’apprendre les détails de lacunes importantes au niveau de la salubrité des aliments ».