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Les statistiques mensuelles sur l’insolvabilité au Canada indiquent qu’entre janvier et juillet 2023, 24 entreprises agricoles québécoises ont fait faillite contre 18 pour la même période l’an dernier, une augmentation provisoire de 35 %. Cette tendance à la hausse ne surprend pas Stéphane Gauvin, syndic autorisé en insolvabilité et associé chez Raymond Chabot Grant Thornton.
Il mentionne d’ailleurs une hausse générale de 35 % des cas d’insolvabilité dans les entreprises du Québec, signifiant cependant que l’agriculture, la construction et la restauration sont les domaines où il y a particulièrement plus de faillites qu’avant. « C’est sûr qu’avec l’explosion des coûts des matières premières et des taux d’intérêt, tous les ingrédients sont réunis pour que ça continue. Je pense qu’on va vivre encore une fragilité dans le milieu agricole. [Les syndics] risquent d’être occupés pour le reste de 2023 et 2024 », affirme M. Gauvin.
Le syndic fait également référence aux « prêts COVID » provenant du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes. Une somme de 49 milliards de dollars a été versée sous forme de prêts sans intérêt allant jusqu’à 60 000 $ par entreprise.
Des choix risqués
Des petites exploitations appartenant à un gentleman-farmer jusqu’aux très grandes fermes, le portrait des faillites agricole est très varié, spécifie M. Gauvin. Il souligne que, de façon globale, les fermes ont grossi au Québec avec un niveau de financement, à coup de millions, qui n’est plus dans la même catégorie qu’il y a 10 ans à peine. Les faibles taux d’intérêt des dernières années ont motivé des producteurs à effectuer de gros investissements, lesquels sont cependant devenus à risque avec des taux qui viennent de doubler, voire tripler pour certains. D’autres sont d’autant plus à risque que leurs revenus diminuent.
L’agroéconomiste Yves Chagnon, spécialisé en redressement de fermes, explique de deux façons les différents cas de faillite qu’il observe ces temps-ci. « Souvent, ce qui arrive, c’est qu’ils ont investi dans un projet plus gros que ce qu’ils auraient dû. Je pense à la construction d’une bâtisse ou à l’achat de terres qui ne génère pas assez de liquidités par ses opérations », énumère-t-il.
Selon lui, la prise de décisions émotives constitue un point faible. « Le voisin est à vendre; on l’achète par orgueil sans calculer. C’est émotif et non rationnel. L’achat du gros tracteur neuf, c’est la même chose », fait-il valoir.
L’autre cause expliquant les faillites, à son avis, est une mauvaise gestion. « [Ces producteurs] ne sont pas efficients ou efficaces », indique-t-il, en précisant que, selon son expérience, moins de 50 % des agriculteurs sont vraiment à l’aise avec les chiffres, les ratios financiers, les résultats technico-économiques, etc.
Avec le contexte économique actuelle, il remarque que les institutions financières « commencent à être plus essoufflées », et restreignent davantage les demandes de crédit de certains producteurs.
Stéphane Gauvin ajoute pour sa part que certaines fermes subissent aussi l’effet domino d’un client qui en arrache. Il évoque la faillite de producteurs de porcs causée par le transformateur Olymel. Un litige entre copropriétaires, par exemple entre un père et sa relève, peut également conduire à des faillites, observe M. Gauvin, qui travaille présentement sur l’un de ces cas. À ce sujet, il insiste sur le fait qu’une bonne convention d’actionnaires est primordiale.
Une majorité d’entreprises agricoles en pleine santé
N’allons pas croire que toutes les fermes vont déclarer faillite en 2023. Loin de là, assure Yves Chagnon. « Pour une grande majorité d’entreprises, l’agriculture est viable. Et il y en a plusieurs qui font de très bons profits actuellement et même avec la hausse des taux, ils poursuivent leur croissance. Sans oublier que la valeur des fermes augmente chaque année avec la hausse du prix des terres », souligne-t-il.
Les chiffres de La Financière agricole du Québec pointent dans la même direction. Au 31 août 2023, 304 dossiers, soit 2,5 % des fermes, présentaient des retards sur le paiement de leurs prêts. Il s’agit d’une légère hausse de 0,5 % par rapport à l’année 2022-2023, mais c’est moins que les chiffres généralement observés au cours des 15 dernières années. Par exemple, ce taux a varié entre 5 % et 7 % au tournant des années 2010, stipule l’organisme gouvernemental.
Moins dramatiques
Les chiffres de la Financière sont moins dramatiques que ceux avancés par l’Union des producteurs agricoles (UPA). Rappelons qu’en avril dernier, l’UPA a réclamé un programme d’urgence au gouvernement québécois afin d’aider les fermes prises à la gorge financièrement par les taux d’intérêt et l’inflation. Cette demande faisait suite à un sondage maison de l’UPA qui affirmait que 11 % des fermes québécoises songeaient à mettre la clé sous la porte au cours des 12 prochains mois. La Financière a répondu en offrant aux entreprises une garantie de prêt de fonds de roulement de 50 000 $ sans remboursement de capital et d’intérêts pour les trois premières années. Or, la Financière dit avoir reçu 764 demandes pour ce « compte d’urgence », ce qui représente 2,7 % des 28 315 fermes.