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Après avoir analysé les données financières d’une cinquantaine d’entreprises laitières du Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’agronome et agroéconomiste Denis Larouche s’étonne que la majorité ait terminé 2023 dans le rouge.
Quelque 56 % des fermes à l’étude n’ont pas eu suffisamment de liquidités pour s’acquitter de leurs paiements, ce qui les a forcées à s’endetter davantage. Les années précédentes, le pourcentage de producteurs dans cette situation variait plutôt de 12 % à 36 %.
« On est vraiment surpris de voir une dégringolade du solde résiduel moyen aussi forte que ça », affirme le directeur général du Groupe multiconseil agricole Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui procède à une telle analyse de groupe chaque année.
Si les fermes à l’étude disposaient encore d’un coussin de 105 000 $ après avoir tout payé en 2022, le solde résiduel moyen est plongé sous zéro en 2023, à -800 $.
Selon lui, cette « crise des liquidités » est en partie provoquée par la « tempête des taux d’intérêt » qui a frappé de plein fouet les fermes laitières en 2023.
Dans Chaudière-Appalaches, le Centre multi-conseils agricoles a conclu récemment l’analyse d’un échantillon de 175 fermes laitières de toutes tailles. La technicienne en gestion Renée-Claude Roy observe que les intérêts à payer ont grugé, en moyenne, 11 % du chiffre d’affaires des producteurs en 2023, soit plus du double de l’année précédente. Il s’agit d’une augmentation majeure, dit-elle, qui place les fermes les plus endettées – et dont le taux de charges est plus élevé – en situation précaire pour continuer de traverser la tempête, qui se poursuivra vraisemblablement en 2024 et 2025.
Une paye de lait en intérêt
Même les producteurs bien positionnés financièrement sont affectés, ajoute Renée-Claude Roy. C’est le cas de Guillaume Sylvain, dont l’entreprise est l’une des plus performantes du groupe à l’étude dans Chaudière-Appalaches et dont le niveau d’endettement est sous la moyenne.
« Ce qu’on a vu en 2023 et qu’on voit en 2024, c’est que les entreprises renouvellent leur financement au taux actuel, qui est facilement deux fois plus élevé. Et là, malheureusement, il n’y a plus de marge de manœuvre », ajoute Renée-Claude Roy.
Elle constate que certaines fermes sont aujourd’hui rattrapées par la vague d’investissements qui avait été stimulée, il y a quelques années, par la disponibilité de subventions pour l’agrandissement ou l’acquisition d’équipements à un moment où les taux d’intérêt étaient encore bas. « Il y avait des entreprises dont l’endettement était déjà plus élevé, dont le taux de charges était plus élevé. […] Avec la hausse des taux d’intérêt, ça devient très difficile pour ces entreprises-là », soulève Mme Roy.
L’occasion de « remettre les pendules à l’heure »
Pour Denis Larouche, le « soubresaut » des taux d’intérêt est la sonnerie d’alarme qu’il fallait à certains producteurs pour qu’ils réalisent la fragilité de leur situation d’entreprise. « Ça remet les pendules à l’heure. Pour la relève, c’est un apprentissage de faire attention », croit le conseiller en gestion. Car, s’ils n’ont pas de contrôle sur les taux, ils en ont sur d’autres postes de dépenses, rappelle-t-il. Une autre agroéconomiste, Marie-Claude Bourgault, est du même avis. « Dans l’abondance, l’être humain a tendance à faire de l’embonpoint. Dans l’adversité, on retrouve notre créativité et notre goût de faire mieux, philosophe-t-elle. Je vois beaucoup de mes producteurs qui ont le goût de faire les choses autrement, de laisser plus d’argent dans leur poche, et ça, c’est bien. Ça permet une réflexion pour ramener une saine gestion à la ferme.