Économie 3 janvier 2025

La retraite en agriculture : un deuil douloureux pour les uns, une délivrance pour les autres

Avec la population agricole vieillissante, un sujet un peu tabou, mais nécessaire s’impose : la retraite. Des producteurs comme Mario Mathieu l’avaient planifiée depuis le début de la trentaine. Sa ferme laitière située en périphérie de Saint-Hyacinthe étant vendue, il est présentement au Texas pour y passer l’hiver, bien au chaud, avant de revenir profiter de l’été au Québec dans un camping. À l’inverse, d’autres agriculteurs sont allergiques au mot « retraite », comme Alphonse Parent, de Saint-Georges, dans Chaudière-Appalaches, qui a travaillé jusqu’à sa mort, tel qu’il le souhaitait.

La psychologue Émylie Cossette insiste sur l’importance de planifier sa retraite et, le cas échéant, de mettre des mots sur les émotions négatives entraînées par la fin de son implication à la ferme. Photo : Groupe ProConseil

Des deuils

Si le passage à la retraite se déroule aisément pour certains agriculteurs, une majorité vit ce moment difficilement, témoigne Émylie Cossette, psychologue agricole et conseillère en transfert d’entreprises au Groupe ProConseil, à Saint-Jean-sur-Richelieu. « Il y a un deuil à faire pour toute personne qui prend sa retraite, et ce deuil est plus grand pour un agriculteur que pour la population en général, constate-t-elle. Souvent, l’agriculteur a vécu toute sa vie pour sa ferme. Son métier est son identité la plus grande. Quand son rôle devient moins important à la ferme ou qu’il la vend, il perd son identité et ça devient excessivement difficile. » 

Mme Cossette donne l’exemple d’un agriculteur qui se définit à 95 % par son métier d’agriculteur versus un préretraité travaillant dans une usine ou ailleurs qui va se définir à 85 % comme un golfeur.

La retraite sera beaucoup moins épeurante pour le mordu de golf que pour l’agriculteur qui n’a pas connu autre chose.

Émylie Cossette, psychologue agricole et conseillère en transfert d’entreprises au Groupe ProConseil

Le chemin vers la retraite est souvent accompagné d’un premier deuil, celui associé à la perte de ses capacités. Émylie Cossette remarque que plusieurs agriculteurs prennent leur retraite en raison d’une perte de capacités physiques ou de celles nécessaires à la gestion de leur entreprise. « On ne veut pas admettre que nous perdons des capacités, que nous devenons plus faibles physiquement ou plus limités. En vieillissant, notre circuit de gestion du stress se dégrade un peu. Le stress affecte plus les personnes âgées, et c’est normal. Cette diminution, c’est un premier deuil à faire. Il faut passer cette étape désagréable en deux temps : premièrement, reconnaître qu’on perd des capacités et se permettre d’en être triste et, deuxièmement, réaliser que de nouvelles choses agréables s’offrent à nous », énumère-t-elle. 

Se faire tasser de la ferme

Émylie Cossette a rencontré des agriculteurs qui ont eu le sentiment de se faire pousser à la retraite. « C’est une expérience souvent très difficile », reconnaît-elle. L’une des solutions consiste à mettre des mots sur la situation et l’émotion. « Il faut dire à la relève qu’on voudrait continuer, mais qu’on se sent tassé et qu’on a l’impression que notre apport n’est pas valorisé. Cela peut aider la relève à changer son comportement. Sinon, on peut négocier avec la relève, lui dire que nos besoins ne sont pas tous compatibles, et [chercher à] les concilier. »  

Elle constate que plusieurs producteurs se sont débrouillés toute leur vie par eux-mêmes pour réparer notamment de l’équipement. « Ils appliquent le même raisonnement pour leurs émotions et s’arrangent par eux-mêmes. Consulter pour parler de leurs émotions ou pour améliorer le transfert de l’entreprise peut toutefois s’avérer bénéfique », assure la psychologue agricole.

Quelques conseils pour bien se préparer

Une belle retraite commence par la planification. Quelques années avant d’y arriver, la psychologue agricole Émylie Cossette recommande de s’intéresser à autre chose qu’à l’agriculture, que ce soit à des sports, à des activités comme la pêche ou à l’ébénisterie. 

Il importe aussi d’élargir son réseau social, en augmentant, par exemple, le nombre de moments entre amis ou avec les petits enfants. 

Démarrer un nouveau projet est également une bonne option. Lorsque la retraire sonne, l’agriculteur qui aura diversifié son temps aura moins le vertige. 

Mais les sorties entre amis, la pêche, le golf, les quilles, plusieurs n’y voient que peu d’intérêt et souffrent lors de la retraite. Ils encaissent mal l’inaction et le sentiment de ne plus se sentir utile. « Il faut verbaliser ses frustrations et ses déceptions pour que ça puisse s’apaiser. Notre cerveau est fait de circuits. Les émotions brutes se trouvent dans notre système limbique. Si on veut atténuer l’émotion, il faut qu’elle passe du limbique au frontal, et pour aller au frontal, il faut mettre des mots sur l’émotion. En passant d’un état brut à un état raisonné, l’émotion devient moins pire », explique Mme Cossette. 

Parler à ses proches de ses émotions est une bonne chose, mais se plaindre à eux de façon répétitive ne l’est pas, précise-t-elle. « Il faut aussi éviter de ruminer dans le côté négatif de la chose. Autrement, l’émotion négative peut s’aggraver. »