Ce contenu est réservé aux abonné(e)s.
Pour un accès immédiat,
abonnez-vous pour moins de 1 $ par semaine.
S'abonner maintenant
Vous êtes déjà abonné(e) ? Connectez-vous
Des agriculteurs se sentent dépourvus dans l’univers réglementaire parfois complexe de la production et de la mise en marché de leurs denrées. Une situation à laquelle la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, qui est l’institution chargée de maintenir l’ordre et l’équité entre tous les joueurs de ce secteur d’activités commerciales, a dû se réadapter au fil des années afin d’être plus solide sur le plan judicaire tout en gardant un lien avec le producteur.
Depuis une dizaine d’années, le secteur de la volaille est parmi ceux qui accaparent de nombreuses ressources à la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ). En effet, la Convention de mise en marché du poulet de 2017 a par exemple établi un record historique de 44 jours d’audiences en arbitrage, sollicité l’intervention d’un grand nombre de témoins experts et débouché sur une décision étoffée de quelque 70 pages. Cette saga se poursuit encore aujourd’hui avec des décisions rendues en mars 2023 sur les plafonds et les locations de quota. Une autre décision attendue sur la nouvelle convention de mise en marché du poulet, sujet qui a été débattu en arbitrage devant la Régie pendant une dizaine de jours à la fin 2022, devrait être dévoilée prochainement.
Dans ce contexte qui met en scène l’office de production et les autres joueurs de la filière, dont les acheteurs, les producteurs peuvent se sentir perdus. C’est par exemple le cas du producteur avicole Frédéric Gaucher, qui n’a pas pu expliquer, lors des audiences tenues en décembre 2021, comment la modification réglementaire sur les locations de quota proposée par les Éleveurs de volailles du Québec (EVQ) pouvait affecter son travail. Après avoir été questionné par l’avocat des EVQ, il a entre autres indiqué « ne pas être un expert en réglementation et ne pas toujours comprendre la façon de les interpréter ».
Son avocate, Me Maryse Dubé, estime que 90 % de sa clientèle est dans la même position. « Ils connaissent beaucoup de notions techniques dans les règlements, comme combien de kilos ils peuvent produire, mais il y a de nombreuses subtilités qui leur échappent », constate celle qui compte 25 ans d’expérience en droit agricole.
Elle rappelle que la situation n’a pas toujours été aussi complexe, notamment en ce qui a trait aux règlements des offices de production. « L’humain étant ce qu’il est, plusieurs trouvaient des brèches qui ont été colmatées avec des amendements qui ont complexifié les règlements dans tous les secteurs de production, mais je dirais plus particulièrement dans ceux sous gestion de l’offre, où il y a une rareté de quota, ou encore dans ceux où les enjeux économiques sont grands, comme dans le porc », observe-t-elle.
Judiciarisation des dossiers
Cette complexification des règlements de production et des conventions de mise en marché collective, en raison de différents facteurs, dont la concentration de plusieurs joueurs de l’industrie agroalimentaire, ont forcé la RMAAQ à se réajuster, souligne Annie Royer, professeure titulaire de la Chaire d’analyse de la politique agricole et de la mise en marché collective à l’Université Laval.
« On assiste depuis environ une dizaine d’années à un phénomène de judiciarisation des dossiers à la RMAAQ, dit-elle. C’est une institution qui évolue avec des lois et des règlements. Cette judiciarisation était un passage obligé pour que ses décisions soient efficaces et plus crédibles sur le plan juridique », résume la professeure, qui se réfère aux conclusions tirées par l’une des étudiantes, Laurence Robert, qui s’est penchée sur la question dans un mémoire de maîtrise en 2020 et qui poursuit ses études doctorales en ce sens (voir autre texte en p.5).
Néanmoins, ce phénomène ne devrait pas affecter l’accessibilité à la Régie, rappelle Mme Royer. « Vous pouvez toujours aller devant la Régie sans avocat. Même si certains acteurs de l’industrie ont beaucoup d’argent pour se défendre, les régisseurs ont ce devoir d’écouter tout le monde et doivent faire l’effort de vulgariser leur décision. En revanche, ce devoir d’écoute amène d’autres défis, par exemple pour les délais », signale-t-elle.
En effet, confirme la présidente de la RMAAQ, Ginette Bureau, le rôle de la Régie est d’entendre « tant les individus que les enjeux reliés aux marchés collectifs ». Ce sont toutefois ces derniers qui mobilisent le plus de temps d’audiences, reconnaît-elle, et qui sont devenus « très, très judiciarisés » depuis quelques années. « C’est ce sur quoi j’aimerais travailler pour aider les gens à mieux s’entendre », mentionne-t-elle.