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La crainte d’une nouvelle diminution des achats de porcs par le géant Olymel pèse sur les épaules des producteurs porcins de la province, qui dépendent de cette entreprise pour vendre et transformer 80 % de leur production.
Le transformateur, qui a déjà abaissé ses achats de porcs québécois de 530 000 têtes dans la dernière année, a évoqué la possibilité de les réduire de 250 000 porcs supplémentaires au cours des prochains mois. Une telle menace survient alors que les Éleveurs de porcs du Québec ont fait passer de 40 $ à 25 $/100 kg le rabais temporaire qu’ils avaient consenti. Un autre transformateur, Aliments Asta, a aussi laissé entendre que la décision des Éleveurs d’abaisser ce rabais pourrait mener à des réductions d’achats de l’ordre de 50 000 porcs/an de sa part.
Le rabais temporaire appliqué depuis avril avait été adopté par les Éleveurs de porcs pour éviter une réduction d’achats de porcs plus importante de la part d’Olymel, qui fait face, comme d’autres transformateurs, à d’importants enjeux de main-d’œuvre combinés au ralentissement des exportations vers des marchés lucratifs comme la Chine et le Japon. Les Éleveurs de porcs expliquent de leur côté avoir réduit le rabais de 40 à 25 $ depuis la mi-octobre « pour aider la filière tout entière à passer au travers, dans un contexte économique mondial difficile pour les marchés du porc », a indiqué David Duval dans une réponse par courriel aux questions de La Terre.
Une situation complexe
En 35 ans de carrière dans l’industrie porcine, Christian Blais, directeur général d’Isoporc, entreprise de production indépendante qui possède plusieurs élevages, une meunerie, et qui est associée aux abattoirs d’Aliments Asta et de CBCo Alliance, dit ne jamais avoir vu une telle situation. « Dans les autres crises, soit les éleveurs soit les abattoirs faisaient de l’argent. Là, personne n’en fait », observe-t-il.
Pourtant, le dirigeant souligne que les prix du porc sont bons sur le marché et que la demande est bel et bien là, mais que les éleveurs voient leurs profits hypothéqués par l’explosion de leur coût de production en raison de l’inflation. « En ajoutant la coupure de 40 ou même 25 $ de moins par 100 kg de viande, ils ne pourront plus tenir très longtemps, puisqu’ils devront payer une prime ASRA [assurance stabilisation des revenus agricoles] plus élevée dès l’an prochain », ajoute-t-il.
Les transformateurs, de leur côté, perdent aussi de l’argent en achetant des porcs « plus cher que ce que ça leur coûte pour le transformer », précise-t-il.
De la pression sur les éleveurs
Le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Martin Caron, est inquiet de « toute cette pression mise sur les épaules des éleveurs porcins ». « Il ne faut pas que l’ASRA serve à financer la modernisation des usines d’abattage ou à éponger de mauvais investissements faits par ces entreprises. Il y a d’autres programmes pour ça. Mais c’est certain que pour un transformateur qui a fait de mauvais choix d’investissement, en payant par exemple trop cher pour une acquisition [en référence à l’acquisition de F. Ménard par Olymel en 2019], c’est plus facile de mettre la faute sur les producteurs en leur disant que leur porc est trop cher », dit-il. D’ailleurs, il souligne que l’UPA a déjà fait et continue de faire des représentations auprès du gouvernement pour que l’ASRA soit actualisée.
Entre-temps, tous fondent un grand espoir dans la nouvelle convention de mise en marché qui est présentement en processus de conciliation entre les producteurs et les transformateurs. À noter que les Éleveurs de porcs du Québec et Olymel ont tous deux décliné les demandes d’entrevue de La Terre pour ne pas interférer avec les négociations en cours.
Au sujet de l’intervention de l’État
Pour que l’industrie porcine demeure solide, un ancien directeur des affaires économiques aux Éleveurs de porcs du Québec, Vincent Cloutier, aujourd’hui conseiller principal en agriculture et agroalimentaire à la Banque Nationale, estime que l’intervention de l’État est nécessaire. « C’est fondamental que l’on continue de se poser des questions pour ajuster et faire évoluer des outils comme l’ASRA [assurance stabilisation des revenus agricoles], qui appuient la production », indique-t-il. Ce dernier dit constater une certaine pression sur la liquidité des producteurs, qui doivent assumer le tiers de leurs pertes par l’intermédiaire de la prime payée à l’ASRA.
Il reste néanmoins optimiste et estime que l’industrie porcine québécoise a toujours les outils pour être compétitive à l’échelle nord-américaine. « C’est certain qu’on traverse une crise, dont le principal enjeu est le manque de main-d’œuvre du côté des transformateurs, mais j’ai confiance qu’une solution sera trouvée et que la filière en sortira plus forte. Ça se peut que le volume de production soit revu entre-temps, mais on a déjà vu des crises depuis vingt ans. C’est une industrie solide », a-t-il confié, en entrevue avec La Terre.
Le ministre n’entend pas intervenir
La Terre a demandé au ministre André Lamontagne ce qu’il pense de la situation des producteurs de porcs, qui perdent notamment des volumes d’abattage et qui doivent offrir des rabais à leur acheteur, à même leur programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles. Il a répondu qu’il y a en place la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche qui vient arbitrer les relations entre les transformateurs et les producteurs. La Terre a ensuite voulu savoir si le ministère de l’Agriculture comptait aider les producteurs de porcs qui en arrachent présentement, ce à quoi il a répondu : « Ultimement, le message que j’ai tout le temps passé à la filière, c’est que plus cette filière va travailler de façon coordonnée et en confiance ensemble, plus ils vont tirer vers le haut tout ça. […] On s’aperçoit qu’il y a des discussions, des gestes de bonne volonté. Les gens veulent travailler ensemble et, ultimement, c’est par là que la filière va continuer », a-t-il dit.
Avec la collaboration de Martin Ménard