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Vous trouverez ci-dessous le texte qui a permis à Loïc Hamon, éditeur du magazine Vivre à la campagne, de remporter le prix Moïse-Cossette édition 2011. Le texte « Ce n’est pas une banane » a été publié dans l’édition d’hiver 2010 de Vivre à la campagne.
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Lorsque j’ai lu le reportage d’Emmanuel Martinez sur l’apport des immigrants à la courtepointe rurale, en page 16 de ce numéro de Vivre à la campagne, j’ai été frappé par une image. Celle de la banane verte, ou banane plantain… Pour décrire l’hospitalité des Beaucerons, Carlos Atuesta, réfugié colombien qui travaille comme technicien agricole, cite en exemple son épicerie locale qui importe depuis peu des bananes plantain… « C’est un détail, dit-il, mais c’est très apprécié! »
Une banane plantain, lorsqu’on n’y regarde pas de trop près, ça ressemble en effet à une banane. Sauf que ça ne goûte pas la banane. Dans la tradition culinaire des pays chauds, on l’assimile d’ailleurs plus à un légume qu’à un fruit. Ça ressemble pourtant toujours à une banane à l’épicerie…
La vie des immigrants est ainsi constituée d’une multitude de « détails », de petites choses qui semblent familières au départ, mais qui ne sont plus tout à fait les mêmes. Une espèce de réalité décalée où plus rien, des aliments jusqu’aux relations entre les gens, n’est exactement pareil.
Cette anecdote du reportage a retenu mon attention malgré moi. Sans doute parce qu’elle faisait écho à une série de petites histoires semblables qui sont arrivées à ma famille, immigrée au Québec en 1965. Mon père, professeur d’agriculture en France, espérait, après avoir pris contact avec un conseiller agricole, venir enseigner dans une école d’agriculture. La réforme de l’éducation ayant été plus rapide que son avion, il en a été quitte pour un emploi de travailleur agricole sur une ferme de Lacolle. Ma mère, aide familiale, a quant à elle déniché un emploi dans une manufacture de couture du même village. Rompue au patois maraîchin de Vendée, sa terre d’origine, elle s’est trouvée rapidement à l’aise avec l’accent québécois. Étant habile de ses mains, on lui a offert de travailler d’abord à la coupe des patrons. En s’installant à son poste de travail, elle constate que sur son ruban à mesurer, les centimètres semblent plus longs que d’habitude… Ce sont des pouces! Malaise…
Mes parents ont fini par s’adapter et s’installer suffisamment pour faire venir leurs quatre enfants six mois plus tard. C’est ainsi qu’après plusieurs années, et nombre de malentendus, l’ancienne vie et la nouvelle vie se superposent, jusqu’à parfois se confondre, pour composer une nouvelle réalité « enrichie ».
La famille s’est ensuite élargie, puis les enfants se sont mis en ménage, fait des petits-enfants qui rêvent en québécois… Seul un des fils a mal tourné. Il est devenu journaliste puis éditeur de publications agricoles et rurales, mais ça, ça arrive dans les meilleures familles!
C’est à ce passé composé du futur incertain que se conjugue l’intégration, puis, l’enracinement des immigrants. Au-delà des études et des chiffres sur l’intégration et l’apport des immigrants à leur terre d’accueil, il y a des gens qui s’accrochent quotidiennement à leur rêve d’une nouvelle vie. À lui seul, ce rêve nourrit la terre d’accueil.
Bonne lecture!
Loïc Hamon
Éditeur